André Tubeuf : l’aède de la critique musicale tire sa révérence

Les hommages  se sont succédé cet après-midi sur les réseaux sociaux spécialisés dans le domaine musical et la Ministre de la Culture, avec les mots qui conviennent, a parlé à son propos d’un « passeur incomparable » : André Tubeuf nous a quitté aujourd’hui à l’âge de 90 ans.

En préparant hier mon compte-rendu sur Le Coq d’or donné au Festival d’Aix-en-Provence, j’ai posé sur mon bureau, comme souvent, le Dictionnaire amoureux de la Musique [1], l’un de ces ouvrages lumineux dans lesquels on sait, quelle que soit l’entrée choisie, qu’Euterpe a murmuré à l’oreille de son auteur pour inspirer sa plume, à l’occasion jusqu’à un hermétisme syntaxique qui en agaçait certains et faisait les délices de bien autres, dont nous.

Alors que le différé des Meistersinger vient de commencer sur France Musique, je me souviens de mes premières lectures d’André Tubeuf : c’était à l’occasion du numéro spécial de L’Avant-Scène Opéra couplé à la parution de cet extraordinaire coffret de vinyles : Les Introuvables du Chant Wagnérien (1984) où ce collectionneur compulsif avait mis à disposition de la publication un nombre hallucinant de photos inédites d’artistes wagnériens du « Monde d’hier » que je découvrais les yeux écarquillés, comme un enfant qui aurait pour la première fois la révélation de la magie de Noël !

Très vite, André Tubeuf fut associé pour moi à ce globe-trotter de l’art lyrique (Wanderer serait bien sûr plus conforme à l’homme !) qui, alors qu’il était pensionnaire – pas toujours heureux – au lycée Louis-le-Grand puis rue d’Ulm, s’embarquait, par toutes saisons, avec quelques-uns de ses camarades pour des destinations qui s’appelaient Munich ou Vienne, à la recherche de ses chanteurs préférés : Hans Hotter, Sena Jurinac, Elisabeth Schwarzkopf, bien sûr…. Cela vous forge une personnalité et vous donne un appétit insatiable… ce dont ne manqua jamais André Tubeuf, tout comme de cette curiosité et de cette nécessité de transmettre qui l’animait tant, et dont on pouvait toujours sentir l’importance, à la sortie d’une salle de concert ou d’un jury de concours, où nous avions pu le croiser, constructif et bienveillant pour de jeunes artistes dont certains sont aujourd’hui à l’affiche de grandes maisons d’Opéra.

Les livres d’André Tubeuf – même  les plus recentrés sur le domaine musical, car il y en eut d’autres et de bons [2] ! – sont tout sauf les sommes de musicologie d’un agrégé parisien pédant : on y sent souvent passer, au contraire, le souffle d’air d’Orient de l’homme né à Smyrne et la vibration du dilettante stendhalien s’intéressant à tout.

À l’annonce de plusieurs parutions à venir, on se consolera, en ces temps de crise sanitaire où Paris est pour nous devenue bien lointaine, de n’avoir pas eu le temps de sonner, un beau jour, rue Milton où quelques happy few tentaient encore leur chance, ces derniers mois, pour rencontrer celui qui demeurera à jamais, dans la simplicité d’un sourire gourmand, l’une des plus authentiques mémoires de l’Art lyrique.

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[1] André Tubeuf, Dictionnaire amoureux de la Musique, Plon, 2012.

[2] En particulier, ses  émouvants souvenirs de jeunesse rappelés dans L’Orient derrière soi et Les Années Louis-le-Grand, tous publiés chez Actes Sud

https://www.youtube.com/watch?v=YRAHoNkRYEg

André Tubeuf évoque « le miracle du lied ».