Les festivals de l’été –
Chorégies 2025 – Concert « Scène émergente »
Un quatuor de voix solides et de personnalités bien trempées

Bénéficiant, avec Kira Parfeevets au piano, de la complicité musicale sans faille d’une véritable artiste, le concert « scène émergente » des Chorégies 2025 aura permis d’apprécier les belles personnalités, tant vocales que scéniques, de Juliette Tacchino, Chloé Chaume (soprani), Kaëlig Boché et Julien Henric (ténors).
Comme le précise, en maître des lieux, Jean-Louis Grinda, un festival international d’art lyrique tel que les Chorégies s’honore en permettant à de jeunes artistes – dont certains ont déjà des contrats au sein de grandes maisons d’opéra -, de se faire entendre et de prendre la lumière, en marge des concerts et opéras donnés devant le mur d’Auguste. Retour sur une cuvée 2025 au très bon goût.
Dès son entrée en scène, l’air décidée, on sait que la jeune soprano lirico-leggero Juliette Tacchino a quelque chose à dire au public ! Entendue l’an dernier lors de la finale des French Riviera Masters dans un « Adieu, notre petite table » de fort belle tenue, la chanteuse originaire de Nice confirme, dès un air de Cléopâtre extrait du Giulio Cesare de Hændel, mené à un tempo particulièrement enlevé par Kira Parfeevets, les qualités de préparation technique que nous avions immédiatement perçues lors de sa prestation niçoise : projection assurée, sens du phrasé et des nuances et – tout particulièrement dans cette aria ! – agilité brillante de la vocalise, tout y est ! En outre, dans le duo « Caro elisir… Esulti » de L’elisir d’amore, mais également dans les phrases de Lisette pour le quatuor du deuxième acte de La Rondine, les accents mutins et l’interprétation espiègle irrésistible ne font pas, pour autant, oublier à l’artiste un travail efficace sur le médium, qui permet d’oser un « O mio babbino caro » (Gianni Schicchi) de belle tenue, quoiqu’encore un peu vert. Mais c’est dans l’air d’Adelaïde, extrait de ce petit bijou de musique contemporaine qu’est The Enchanted Pig de Jonathan Dove, que la vis comica et le chant stylé – jusqu’à sa sortie de scène ! – de Juliette Tacchino trouvent matière à littéralement exploser ! Sans nul doute, un répertoire à continuer d’explorer – la participation, en fin de programme, à l’ensemble « Tonight » de West Side Story nous en persuade également – chez une artiste dont une partie des études musicales s’est déroulée outre-Atlantique. À noter dans l’agenda à suivre de Juliette Tacchino : Delphine dans Les Demoiselles de Rochefort au théâtre Lido 2, à Paris, à partir du 2 octobre prochain. Un emploi pour elle sans nul doute !
Si l’on connaissait déjà Chloé Chaume, familière, en particulier, du grand répertoire lyrique français, nous étions heureux de l’entendre dans un répertoire adapté à ses moyens de véritable soprano lyrique ! De fait, de l’air de Salomé « Il est doux, il est bon » (Hérodiade) au duo de St Sulpice, extrait de Manon, on retrouvait avec plaisir cette fierté de l’accent et cette beauté du phrasé, en particulier dans les phrases fiévreuses du « Oui, je suis cruelle et coupable » (Manon) où la longueur du souffle et une prononciation dont on ne perd pas un mot campent un personnage. En outre, l’« air de la lune » de Rusalka tout comme l’air de Magda dans La Rondine constituent des moments de pure poésie où Chloé Chaume peut, en outre, compter sur la sensibilité pianistique coutumière de Kira Parfeevets pour construire un écrin musical d’une grande délicatesse.
Avec le jeune Kaëlig Boché, révélation classique de l’ADAMI en 2017 et membre de la promotion 2023-24 de Génération Opéra, on se trouve face à un jeune interprète qui devrait, lui aussi, trouver sa voie, pour ce qui est de l’avenir immédiat, dans le répertoire de ténor di grazia, typologie vocale dont il dispose de la plupart des atouts : élégance du phrasé, qualité de la projection, art de la vocalise, prononciation parfaite. Si la voix, malgré de belles intentions et une musicalité sans faille, nous a paru encore perfectible dans l’air de Lensky (Eugène Onéguine), le Nemorino du duo de L’elisir d’amore est d’ores et déjà fort bien adapté aux moyens actuels de ce chanteur à la vocalise assurée. En décembre 2023, alors qu’il chantait Monsieur Choufleuri à Rennes, Stéphane Lelièvre avait écrit que sa belle intervention dans le trio italien « laissait espérer, dans quelque temps, de belles incursions dans certains rôles italiens de tenore leggero ou di grazia » : en voici la confirmation ! Le ténor trouve par ailleurs évidemment, avec le Rondo de Quipasseparla, extrait du Voyage dans la lune puis avec la mélodie bretonne de Louis Aubert « La Mauvaise Prière », les meilleurs moments d’une authentique personnalité, à suivre absolument !
Découverte, en ce qui nous concerne, que la voix de Julien Henric, ténor lyrique à la carrière déjà plus que prometteuse si l’on en juge par les scènes et les festivals internationaux déjà fréquentés (Salzbourg, Aix-en-Provence, Bergame, Liceu de Barcelone, Teatro Regio de Turin, Monaco…). Disons-le tout net : nous avons été happé, dès l’air de Vaudémont de Iolanta, par la plénitude d’une voix égale sur tout l’ambitus, à la colonne sonore déjà impressionnante et ne changeant pas de couleur dans l’extrême aigu ! Particulièrement téméraire dans le choix des airs, duos et ensembles choisis (« Ah, fuyez douce image ! » et duo de St Sulpice dans Manon, puis redoutable quatuor de La Rondine), le jeune ténor d’origine lyonnaise fait montre d’une prononciation parfaite du français et d’une facilité dans les notes de passage qui le font passer avec une belle aisance du haut médium à l’aigu. Le chant nuancé et le falsetto ne sont également pas en reste, comme le magnifique « Maria » de West Side Story nous le fait entendre. Nous ne pouvons que former des vœux pour que cette jeune voix poursuive dans son parcours d’excellence ! A noter que Julien Henric sera deux fois à l’affiche du Grand Théâtre de Bordeaux, la saison prochaine : dans Vaudémont de Iolanta et dans l’évènement lyrique que devrait être la redécouverte de La Montagne noire d’Augusta Holmès ! « Première Loge » y sera représenté sans nul doute.
Et, comme toute bonne cuvée se termine souvent par un « brindisi », c’est celui de La traviata, brillamment entonné par ces quatre beaux artistes, qui clôt cette édition 2025, sous les chaleureux applaudissements d’un public visiblement conquis.
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Retrouvez Kaëlig Boché en interview ici !
Chloé Chaume, soprano
Juliette Tacchino, soprano
Kaëlig Boché, ténor
Julien Henric, ténor
Kira Parfeevets, piano
Franck Ropion, lumières
Récital Scène émergente
George Friedrich Haendel, Giulio Cesare in Egitto, « Da tempeste il legno infranto » (Juliette Tacchino)
Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Eugène Onéguine, « Kuda, kuda » (Kaëlig Boché)
Antonín Dvořák, Rusalka, « Air de la lune » (Chloé Chaume)
Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Iolanta, « Net! Chary Lask Krasy M’atezhnaj » (Julien Henric)
Gaetano Donizetti, L’Elisir d’amore, « Caro elisir… Esulti pur la barbara » (Kaëlig Boché et Juliette Tacchino)
Jules Massenet, Manon, « Ah, fuyez, douce image » (Julien Henric)
Jules Massenet, Hérodiade, « Il est doux, il est bon » (Chloé Chaume)
Jacques Offenbach, Le Voyage dans la Lune, « Le prince qui passe par là » (Kaëlig Boché)
Jules Massenet, Manon, duo de St Sulpice « Toi ! Vous ! » (Chloé Chaume et Julien Henric)
Giacomo Puccini, Gianni Schicchi, « O mio babbino caro » (Juliette Tacchino)
Giacomo Puccini, La Rondine, « Chi il bel sogno di Doretta » (Chloé Chaume)
Giacomo Puccini, La Rondine, quatuor de l’acte II, « Bevo al tuo fresco sorriso » (Chloé Chaume, Julien Henric, Juliette Tacchino et Kaëlig Boché)
Louis Aubert, « La Mauvaise Prière » (Kaëlig Boché)
Jonathan Dove, The Enchanted Pig, « It’s my wedding » (Juliette Tacchino)
Leonard Bernstein, West Side Story, « Maria » (Julien Henric)
Leonard Bernstein, West Side Story, « Tonight » (Chloé Chaume, Julien Henric, Juliette Tacchino et Kaëlig Boché)
Bis : Giuseppe Verdi, La traviata, « Libiamo », (Chloé Chaume, Julien Henric, Juliette Tacchino et Kaëlig Boché)
Orange, Palais des Princes, récital du Mardi 15 juillet 2025