Musique Baroque en Avignon – Récital La morte di Lucrezia avec Amel Brahim-Djelloul

Dans le cadre de sa 23e saison, Musique Baroque en Avignon a donné une carte blanche à la soprano Amel Brahim-Djelloul. Concocté en lien avec le chef et claveciniste Jérôme Corréas, fondateur il y a plus de vingt ans de l’orchestre baroque Les Paladins, le programme d’un peu plus d’une heure est à la fois très dense et original. Intitulé La morte di Lucrezia, celui-ci est composé principalement des deux cantates de Scarlatti et Haendel écrites autour de la figure tragique de Lucrezia, complété par deux sonates de Vivaldi.

Les sonates n°3 et n°6 d’Antonio Vivaldi, pour violoncelle et basse continue, portent la même structure en quatre mouvements qui alternent entre largo et allegro. L’acoustique de l’amphithéâtre Mozart du conservatoire du Grand Avignon se révèle d’excellente qualité pour les deux instruments, sans réverbération et permettant ainsi une définition détaillée du son. C’est le violoncelle qui tient le rôle de soliste et déroule les jolies mélodies, d’une justesse d’intonation encore meilleure au cours des douces séquences, par rapport aux passages les plus agités. Le deuxième mouvement des deux compositions est particulièrement vif et très dansant, tandis que le quatrième, toujours en allegro, se révèle encore plus complexe d’exécution, en particulier pour la main gauche de Nicolas Crnjanski qui a fort à faire dans des rythmes très rapides.

À l’issue de la sonate n°3, Jérôme Corréas présente rapidement le programme au public, deux cantates absolument pas banales, tant musicalement que pour le thème retenu du viol de Lucrèce, objet assez éloigné des canons baroques de l’époque. Au-delà du viol puis du suicide de Lucrèce, il s’agit aussi d’un fait politique, la destinée tragique de cette femme et noble Romaine annonçant la reprise en mains de la ville par les Romains, occupée par des envahisseurs étrusques. Présents à Rome à la même période, les deux compositeurs demandent au même cardinal Benedetto Pamphilij un livret pour leur cantate.

L’oreille met un tout petit temps à s’adapter à l’acoustique légèrement moins précise pour la voix au début de la cantate « Lucrezia Romana » d’Alessandro Scarlatti. Mais on est rapidement conquis par l’engagement que met Amel Brahim-Djelloul dans cette sorte d’opéra miniature : les récitatifs sont émis avec un fort relief dramatique et les ariosos successifs présentent un large spectre des affects de l’héroïne, entre fureur (« Barbaro, hai vinto »), tristesse (« Ma che farai mio cor? ») et un désespoir qui se conclut par la mort de Lucrèce (« Io manco, io cado, io moro, io spiro ») et un dernier « Addio » susurré dans un souffle. La voix projette ici avec énergie, tout en évitant le cri, les courts passages d’agilité étant passés avec souplesse.

Après la sonate n°6 en forme de repos – mérité ! – pour la chanteuse, la cantate « La Lucrezia » de Georg Friedrich Haendel nous montre un condensé du génie du compositeur. La pièce alterne à nouveau entre récitatifs et airs, entre douleur et fureur pour ces derniers. La soprano explore toutes les facettes du chant, par exemple une note prise typiquement de manière baroque, d’abord sans vibrato, puis tenue et enflée, renforçant la souffrance de la femme violée. L’alliage des lignes mélodiques du violoncelle et de la soprano est élégant, tandis que de son clavecin, Jérôme Corréas assure la coordination et la maîtrise de l’ensemble. Amel Brahim-Djelloul amène de petites variations bienvenues dans les reprises de ses rares airs da capo. Son abattage est également sans failles dans le long air « Il suol che preme, l’aura che spira… »), rapide et particulièrement fleuri, tout comme au cours d’un petit passage qui suit où l’on croit entendre « Venti, turbini, prestate » du futur Rinaldo. Mais l’interprète montre aussi ses qualités de musicalité, longueur de souffle, maîtrise de la ligne pour les passages élégiaques. La conclusion (« E furibonda e crude nell’inferno farò la mia vendetta ») est une promesse de vengeance absolument explosive, en passant d’un aigu surpuissant au sombre grave final, après un saut d’intervalle vertigineux.

Les artistes accordent un bis, l’air extrait d’Alcina « Credete al mio dolore » chanté par Morgana au troisième acte. La mélodie principale au violoncelle est d’une suprême inspiration et les aigus de la soprano sont attaqués et tenus avec splendeur, dans une douce ligne au legato soigné.

Les artistes

Amel Brahim-Djelloul, soprano

Nicolas Crnjanski, violoncelle 
Jérôme Correas, clavecin

Le programme

Scarlatti, Lucrezia romana
Händel, Lucrezia
Vivaldi, sonates n° 3 et 6

Concert du dimanche 5 février 2023, Conservatoire du Grand Avignon – Amphithéâtre Mozart.