Marie-Laure Garnier et ses complices chambristes à l’Opéra d’Avignon

Croire en la puissance expressive de la musique de chambre romantique française… Les jeunes interprètes réunis autour du soprano Marie-Laure Garnier et de la pianiste Célia Oneto Bensaïd le démontrent avec fougue ou subtilité sur le plateau de l’Opéra Grand Avignon. Le public y souscrit pleinement, bien que l’affluence ne soit pas au rendez-vous. 

Une sélection poétique et musicale

Unir César Franck et Ernest Chausson dans un programme chambriste : c’est une initiative heureuse, fruit de la résidence de la jeune pianiste Célia Oneto Bensaïd à l’Opéra Grand Avignon. Le fameux Quintette en fa mineur pour cordes et piano de César Franck (1880), pièce maîtresse du romantisme francophone, est entouré d’un portique de mélodies d’Ernest Chausson, son contemporain et émule. En 2023, cette programmation est la quasi transposition d’une séance de la Société nationale de musique, foyer du renouveau musical après 1870.

La sélection poétique des mélodies mise sur le raffinement précieux du poète Charles Cros dans La Chanson perpétuelle (1898), interprétée en lever de rideau, puis sur le symbolisme du Poème de l’amour et de la mer (1892) sous les vers désenchantés de Maurice Bouchor, ami de Chausson. Cette mélodie pour voix et orchestre paraît ici dans la transcription pour soprano et quintette de Franck Villard. Le miracle d’un concert au programme calibré s’incarne dans la connexion des pièces entre elles, qui se réfléchissent telles des miroirs pour l’auditeur auditrice. Ce soir, les pièces vocales tissent des interférences poétiques avec chacun des trois mouvements du Quintette. Notamment, les courbes alanguies du 1er mouvement renvoient au « grand frémissement » de la Chanson perpétuelle, alors que l’agitation de l’Allegro final se réfléchit sur les paysages maritimes ou intérieurs du Poème de l’amour, dans une tension aussi dramatique. L’autre point commun des œuvres réside dans un aspect d’écriture que tout auditeur peut appréhender sans en connaître le principe, ni même le nom. Le procédé cyclique (unification de plusieurs mouvements d’une œuvre par une cellule matrice) enrobe le cycle de mélodies de Chausson, comme les mouvements du Quintette, ce qui enrichit notre écoute.

L’interprétation d’une rare sensibilité

Si l’auditoire perçoit toutes ces interférences, c’est grâce à la rare complicité d’ex-étudiants du Conservatoire national Supérieur de Musique de Paris. Les six musicien.ne.s se retrouvent autour du duo que forment Marie-Laure Garnier (soprano) et Célia Oneto Bensaïd (chambriste elle-même lauréate de nombreux prix internationaux). Toutes deux spécialisées dans la mélodie française, elles sont lauréates du Concours Nadia et Lilli Boulanger (2017). Quant au Quatuor Hanson, fondé en 2013, sa discographie déjà récompensée dévoile son approche pertinente en tout terrain (de J. Haydn à George Crumb) tandis que leur jeu ménage l’égalité des partenaires. Cette égalité des quatre archets est autant « orchestrale » dans le Quintette qu’intimiste dans les dialogues individuels qu’ils entrelacent au chant. Tout au plus peut-on regretter que le subtil violoncelle (solo de l’admirable interlude du Poème de Chausson) soit un peu éclipsé par les basses volumineuses du piano à queue dans le Quintette.

Le soprano lyrique Marie-Laure Garnier (native de Kourou) porte haut les couleurs de la Guyane française depuis ses récompenses successives (voir notre Interview en ligne) la conduisant aux Victoires de la musique (2021). Comment résumer avec des mots la maîtrise du souffle, le timbre charnu (grave), clair (médium), devenant amplement lyrique (aigu) tandis que sa présence sculpturale demeure en retrait des quartettistes sur la scène ? Cependant, ce qui captive davantage, c’est la manière dont elle soumet sa ligne de chant au texte poétique et à sa prosodie (moins performante dans l’aigu). Autant les vagues vocales déferlent en osmose des instruments dans le premier volet de triptyque (La fleur des eaux), autant la subtile conduite sans vibrato se fond dans le tissu des cordes sur les vers : « Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux, l’oubli ». Enfin la séquence conclusive du Temps des lilas offre une fin suspendue, smorzando, d’un dépouillement émouvant. Les six interprètes sont récompensés par un LONG silence de l’auditoire, état de grâce avant les applaudissements.

Voici donc d’authentiques ambassadeurs de la mélodie française. Ambassadeurs généreux puisque leur bis nous gratifie d’une mélodie enjouée, issue de La Bonne chanson de Gabriel Fauré – L’hiver a cessé. En Avignon en janvier, c’est presque la réalité avec le réchauffement climatique …

Les artistes

Marie-Laure Garnier, soprano
Célia Oneto Bensaïd, piano

Quatuor Hanson : Anton Hanson, Jules Dussap, Gabrielle Lafait, Simon Dechambre

Le programme

  • César Franck, Quintette avec piano en fa mineur
  • Ernest Chausson, Chanson perpétuelle 37; Le Poème de l’amour et de la mer op. 19 (transcription pour voix haute et quintette de F. Villard

Concert du 10 janvier 2023, Opéra Grand Avignon