Natalie Dessay donne la voix aux femmes à l’Opéra de Bordeaux

Natalie Dessay donne la voix aux femmes à l’Opéra de Bordeaux

Accompagnée par Philippe Cassard au piano, la fameuse soprano interprète avec émotion des lieder de compositrices telles que Fanny Hensel-Mendelssohn, Clara Schumann, ou encore Alma Mahler. Elle nous fait découvrir, grâce au programme Momentum, destiné à promouvoir les jeunes artistes talentueux fragilisés par la crise actuelle, le trio « Les Itinérantes », composé de jeunes femmes proposant des chants polyphoniques a capella, dans divers registres et dans de nombreuses langues.

Natalie Dessay est une artiste engagée, elle tâche de faire sortir de l’oubli les pièces de femmes, notamment celles que la sœur de Félix Mendelssohn composait et interprétait lors des traditionnelles Sonntagsmusiken. Parmi le florilège qu’elle nous présente, l’on perçoit, tour à tour la plainte avec Ich kann wohl manchmal singen, sur un texte de Eichendorff, le reproche avec Vorwurf sur un texte de Lenau, ou encore l’espérance avec Suleika, sur un texte de Marianne von Willemer. Si la soprano semble avoir pâti des frimas de la saison nouvelle, puisqu’elle tousse à la fin des partitions au début du récital, ses prouesses vocales n’en sont que plus remarquables : les crescendos subito sont parfaitement réalisés, l’articulation est précise et le texte, prononcé tout en retenue pour rendre compte de la force poétique des paroles. Le second morceau est mis en relief par des nuances pianissimo exquises et un soutien vocal infaillible dans les graves. Enfin, sur les arpèges colorés du pianiste, Natalie Dessay pose avec légèreté sa voix et exécute des modulations toujours très justes faisant résonner un vibrato naturel particulièrement subtil dans nuances douces.

Le deuxième portrait de femme que la soprano nous fait découvrir est celui de Clara Schumann, pianiste virtuose, restée injustement dans l’ombre de son mari. Le premier chant qui ouvre ce cycle est alors Liebst du un Schönheit, une ode à l’amour, composée sur un texte de F.Rückert. Le second chant, intitulé Geheimes Flüstern hier und dort mêle sentiments et nature, et nous fait tressaillir à l’écoute des aigus cristallins. S’ensuit Sie liebten sich beide, dont le texte poétique de Henrich Heine est mis en valeur par la soprano qui multiplie les accents et nous révèle toute la capacité expressive des notes graves. Le soutien vocal est impeccable, les aigus purs et pleins de sensibilité pour décrire un amour mutuel resté à jamais inavoué. Alors, afin de remédier au triste sort de ces amants oubliés, la soprano chante la déclaration d’amour avec la mélodie Warum willst du and’re fragen, dite dans les mots de Rückert. Enfin, le cycle de chants de Clara Schumann se clôt en apothéose avec un air romantique par excellence, caractéristique du Sturm und Drang, mouvement Romantique allemand. La soprano se montre brillante dans ce morceau, à la fois adoptant un ton quelque peu désinvolte dans les graves et un ton exhortatif dans le forte. Par ailleurs, ses nuances piano sont émises tout en vigueur, l’éventail expressif des nuances est déployé : le pianissimo est tour à tour confident, impertinent ou lascif.

Le pianiste, complice de la cantatrice nous propose alors son interprétation de la Romance pour piano op.21 en la mineur, les effets de ralentis qu’il exécute tout en douceur rendent un véritable hommage à la compositrice.

Il est alors temps pour Natalie Dessay de présenter le trio de jeunes filles croisé par hasard, dans une église de Bretagne.

Enfin, Alma Mahler est mise à l’honneur : fille d’une cantatrice et épouse de Gustav Mahler, elle a composé des œuvres intimes méconnues mettant en musique les poésies de Heine ou Werfel. La première chanson, intitulée Laue Sommernacht « Douce nuit d’été » commence avec un jeu au piano qui fait penser aux arpèges liquides des morceaux de Debussy, Natalie Dessay l’interprète avec des trilles souples, tout en délicatesse. Ensuite, les paroles désinvoltes de Rilke sont prononcées dans Bei dir ist est traut  avec une légèreté vocale qui sous-entend un air mutin avant l’élan lyrique sincère. Le dernier chant, intitulé In meinem Vater’s Garten est entonné avec beaucoup d’entrain et évoque une atmosphère bucolique. Le rythme est souligné par les nombreux rebondissements vocaux, et le refrain, « Süsser Traum » est interprété avec des glissendos jazzy, qui contrastent avec le ton parfois implacable de la soprano dans les aigus des couplets.

Il est alors temps pour Natalie Dessay de présenter le trio de jeunes filles croisé par hasard, dans une église de Bretagne. Les « itinérantes » parcourent le pays et chantent dans des châteaux, des lieux de culte, ou même dans la nature, des chants polyphoniques de tous horizons, arrangés par leurs soins. Elles interprètent Alfonsina y el mar, de Félix Luna et Ariel Ramirez complètement a capella, selon l’arrangement de Manon Cousin. Les voix sont homogènes, les morceaux surprennent interprétés sans instruments mais le trio séduit, les couleurs de voix des trois jeunes filles sont distinctes, ce qui produit une interprétation cohérente sans que le caractère de chacune ne soit étouffé.  Les jeunes filles proposent ensuite de faire redécouvrir au public une mélodie médiévale « Assez me plest e bien le voil » d’après un arrangement de Pauline Langlois de Swarte. La chanson, très originale émeut le public, qui se trouve subitement transporté à une autre époque. La voix a le pouvoir de transcender les époques et les cultures, c’est ce que les Itinérantes se sont attachées à nous dire grâce à leur chant, notamment celui du Lakota lullaby, berceuse amérindienne sioux composée par Robert « Tree » Cody et arrangée par Elodie Pont. Le son est très ouvert, parfois un peu nasillard, les repirations sont accentuées pour servir de rythmique et les coups répétés donnés sur la poitrine font office de percussions. L’interprétation, quoique surprenante est réussie et invite au voyage. Enfin, les trois voix terminent leur programme éclectique par « Ederlez » un chant Rom des Balkans composé par Goran Bregovic : Les Itinérantes ont eu raison de faire halte à Bordeaux, elles ont conquis le public.

La soprano s’amuse et amuse le public. La variété de son expression vocale est impressionnante.

Natalie Dessay revient alors sur scène et propose Trois poèmes de Louise de Vilmorin de Poulenc : successivement Le Garçon de Liège, Au-delà, et Aux officiers de la garde blanche. La soprano s’amuse avec le texte « eau de vie, au-delà », elle l’exprime en musique par des contrastes saisissants et un air affecté à prendre au second degré, notamment audible dans la coupure «  Ah ! Je m’ennuie à Mou-rir !». Le public est presque enjoint à rire, toutes les émotions sont transposées dans ce spectacle inédit. Le dernier chant de Poulenc qui est interprété est La Dame de Monte Carlo, à la fois léger, parfois lancinant, souvent impertinent et constamment cynique, cet air est interprété à merveille par la soprano. L’on pense même à une mise en abîme de son chant dans le texte quand elle énonce « c’est joli de dire je joue ». En effet, la soprano s’amuse et amuse le public, la variété de son expression vocale est impressionnante, notamment illustrée à la toute fin avec le crescendo expansif de « Monte Caaaar » suivi d’un « lo » bref et précis.

C’est alors au tour de Massenet d’être présenté, le pianiste joue la Mélodie op.17 n°5 pour piano, et Natalie Dessay reste sur scène, tout attentive. Suit presque sans césure le fameux air « Pleurez mes yeux » du Cid, interprété avec brio et dont la note finale pianissimo tenue en point d’orgue avec un soutien exemplaire a suscité chez le public un tonnerre d’applaudissements. Afin de clôturer le récital, la soprano interprète le Liebestod d’Isolde du Tristan et Iseult de Wagner. Le pianiste se démarque par son accompagnement tout en subtilités : il joue la réduction piano-chant de Liszt, la voix de Natalie Dessay la suit avec éclat. Enfin, cédant aux caprices du public, la soprano propose en bis « Je ris de me voir si belle en ce miroir » du Faust de Gounod, où la dérision de l’air des bijoux n’entache en rien le lyrisme de la cantatrice.

Le voyage de Fanny Bousquet a été pris en charge par l’Opéra national de Bordeaux.