« La Dame de mes songes » : Guilhem Worms et Camille Delaforge au festival Rosa Bonheur

C’est un nouveau festival qui pourrait bien devenir rapidement un rendez-vous incontournable pour tous les mélomanes parisiens, franciliens… et les autres : le festival du Château de Rosa Bonheur, à Thomery, tout près de Fontainebleau, vient d’inaugurer sa toute première édition avec deux très beaux concerts : un duo piano/violoncelle vendredi 24 juillet, et un récital Guilhem Worms dimanche 26.

Le Château de By, dans lequel la peintre et sculptrice animalière Marie-Rosalie Bonheur, dite Rosa Bonheur (1822-1899) vécut aux côtés de sa compagne Nathalie Micas de 1860 à sa mort en 1899, fut probablement fondé au XVe siècle, avant d’être détruit et reconstruit au début du XVIIe siècle. Rénové par Rosa Bonheur elle-même, il n’a guère subi de transformations depuis… Les concerts du festival sont donnés dans le parc lorsque le temps le permet, ou dans l’orangerie du château.


Le cadre est en tout point adorable, l’accueil charmant, bref, tout est là pour passer un délicieux moment, surtout lorsque la qualité musicale est également au rendez-vous, comme ce fut le cas dimanche dernier.

Le programme concocté par les artistes est à la fois extrêmement varié (les œuvres entendues ont été composées entre les XIIe et XXe siècles) et homogène, par sa constante référence au monde ibérique. Le Festival Rosa Bonheur se proposant de mettre à l’honneur les compositrices, on trouve dans les pièces interprétées des pages signées Beatriz de Dia (trobairitz dauphinoise de langue occitane du XIIe siècle), Emiliana de Zubeldia, pianiste et compositrice espagnole du XXe siècle (1888-1987), ou encore Cécile Chaminade (1857-1944). Le choix du clavecin pour accompagner le chanteur surprend dans un premier temps, mais les artistes s’en expliquent eux-mêmes : 

« L’idée de choisir le clavecin s’est imposée en étudiant la version orchestrale du cycle Don Quichotte de Jacques Ibert qui avait lui-même choisi d’intégrer le clavecin à son orchestration. Ce choix permet de valoriser certains aspects de ces mélodies comme le traitement rythmique de l’accompagnement et son écriture en arpèges, forme privilégiée de l’écriture du clavecin. On peut alors mettre en lumière les sonorités et l’énergie qui se dégagent des inspirations populaires de cette musique ». Un choix qui s’avère très séduisant, le jeu vif  et constamment nuancé de Camille Delaforge s’adaptant remarquablement bien à l’art  de Guilhem Worms ainsi qu’aux très belles et très appréciées interventions d’Annie Couture à la vielle à roue (pour le A chantar de Beatriz de Dia et la Donna lombarda).

Ce concert confirme l’excellente impression laissée par Guilhem Worms lors de son récital parisien « Mozart et Salieri » du 13 décembre 2019 : le baryton-basse français semble aujourd’hui en pleine possession de ses moyens. La voix est d’une ductilité, d’une souplesse admirables, au point de paraître malléable à volonté, sans rien perdre de son velours et de son pouvoir de séduction jusqu’aux deux extrêmes de la tessiture. Sa maîtrise technique permet au chanteur une impeccable virtuosité (les arabesques vocales de la Nana de Sevilla de Lorca sont dessinées avec précision et sensualité), une très belle palette de nuances, des raffinements dans l’intensité et la variété des couleurs vraiment superbes, du forte le plus éclatant au plus doux pianissimo, tel celui qui clôt la saisissante « Chanson de la mort » de Don Quichotte de Jacques Ibert. Qui plus est, Guilhem Worms, fidèle à son habitude, ne se contente pas du seul beau chant mais met également un point d’honneur à caractériser chaque pièce en lui donnant sa couleur exacte : la noble douleur du A chantar de Beatriz de Dia, les caractères enjoué de Sevillanas (Lorca), ou endiablé de la Seguidilla de Collet sont ainsi parfaitement rendus. Guilhem Worms délivre également une interprétation magistrale d’autorité et de noirceur de la Donna Lombarda, chanson anonyme dans laquelle un fils enjoint à sa propre mère de se tuer pour avoir trompé et tenté d’assassiner son mari.

Un concert quasi familial, le baryton-basse ayant été accompagné par deux des trois femmes de sa vie (sa femme et sa mère… la troisième semblant de toute évidence  encore un peu trop jeune pour prendre part aux concerts de son papa !), au programme rare et superbement interprété, dont on apprend avec joie qu’il fera l’objet d’un enregistrement : à ne pas manquer !