Elīna Garanča au Théâtre des Champs-Élysées, promenade musicale dans les jardins d’Espagne.

Photo : © Paul Schirnhofer/Deutsche Grammophon

La série « Les Grandes Voix – Les Grands Solistes » débutait sa saison aux Théâtres des Champs-Élysées  avec un récital de la mezzo-soprano Elīna Garanča. Une promenade musicale aux couleurs résolument espagnoles mais avec quelques détours… inattendus. 

La mezzo-soprano lettone qui vit maintenant en Espagne depuis de nombreuses années souhaitait vraisemblablement donner des couleurs hispanisantes à ce récital. C’est bien cette impression qui reste à l’oreille de l’auditeur à l’issue de ces deux heures de promenade musicale.

Comme cela peut arriver, même lorsque la promenade est magnifique, on reste parfois froid devant tant de beautés et les débuts de la marche peuvent laisser nos envies de dépaysement inassouvies. La première partie de ce récital nous emmène du Tyrol (Luisa Miller) à Paris (Adriana Lecouvreur) en passant par l’Italie (La Forza del destino)  mais c’est d’Estrémadure qu’Elīna Garanča prend son envol avec la Chanson du voile  (« Nel giardin del bello», extrait de Don Carlo) comme tour de chauffe. La voix est ample et souple, encore précautionneuse, avec un passage marqué vers le registre grave qui demande à  se souder au registre supérieur et des attaques un peu floues. Légers « accrocs » qui disparaitront rapidement en cours de soirée.

Elīna Garanča  (Don Carlo, Verdi : « Nel giardin del bello« )

D’Eboli, la mezzo-soprano, rompue au style rossinien  maitrise la grammaire belcantiste (trilles et vocalises) même si on remarque la disparition de quelques note piquées et une simplification de certaines coloratures en fin de couplets. Le second air de la princesse (« O don fatale, o don crudel ») met en valeur la magnifique projection de la chanteuse et la puissance de ses aigus. Elīna Garanča fait ce qu’elle veut de sa voix et cela s’entend même si une certaine froideur interprétative ajoutée à des graves très peu poitrinés et une diction manquant de mordant rendent le personnage  uniforme là où on attendrait plus de bruit et de fureur.

Passons sur l’air d’Adrianna Lecouvreur, « Ecco, respiro appena… Io son l’umile ancella », techniquement maitrisé, mais dont on se demande ce qu’il vient faire ici tant il manque de cette lumière et de l’abandon que peuvent lui donner la voix d’un soprano… L’auditeur se perd un peu devant tant de paysages musicaux différents mais c’est de la seconde partie de ce récital que viendra la lumière.

Elīna Garanča  (La Tabernera del puerto, Sarozabal : « No puede ser !)

Le chemin n’est pas moins sinueux dans cette seconde partie avec quelques détours par la Norvège, l’Argentine ou l’Autriche sur la route de l’Espagne. Pourtant, l’émotion («Lela», Rosenta Mato / Castelao), l’humour (« Al pensar en el dueño de mis amores », Chapí) , l’explosion de vie (« La boda de Luis Alonso », Geronimo Giménez) et la joie incomparable qu’ Elīna Garanča donne ces oeuvres effacent toutes réserves du public. La mezzo-soprano se révèle dans ces pages plus légères et on ne demande qu’à la suivre. Elle ira jusqu’à « emprunter » le célèbre air de ténor  « No puede ser ! » extrait de La Tabernera del puerto de Pablo Sarozabal. Pourquoi ? Parce qu’elle l’aime, qu’elle sait porter le pantalon et … qu’elle a tout simplement envie de le chanter. La dame a du caractère et elle nous le fait entendre. Couleurs sombres et ampleur sonore, facilité de la voix sur toute la tessiture, cette ballade de santé pour la chanteuse est un voyage sur des cimes que l’auditeur ne redescendra pas jusqu’au trois bis de ce programme. Après « Al pensar en el dueño de mis amores » et l’incontournable « Granada », ce voyage musical culmine avec une Habanera  de Carmen qui nous rappelle qu’Elīna Garanča en est une des plus grande titulaires du moment. Fin du voyage en Espagne, la promesse est tenue.

Elīna Garanča  (Carmen, Bizet : « L’amour est un oiseau rebelle« )

Cette arrivée à bon port n’aurait pu se faire sans l’excellent accompagnement du Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz et du chef Karel Mark Chichon. La première partie instrumentale avait pu paraître légèrement terne même si parfaitement exécutée, si l’on excepte un douloureux solo d’alto dans l’Intermezzo extrait de Manon Lescaut  de Puccini. La seconde partie révèle la diversité des qualités techniques de la phalange « allemande »  et un investissement sans faille. La direction de  Karel Mark Chichon est précise, musicalement très construite et non dénuée d’humour. Le chef est à l’écoute et l’unisson de sa partenaire qui est aussi son épouse à la ville. Chaque crescendo, respiration et tempo est parfaitement étudié et travaillé, et cela s’entend.  De doux baisers entre le chef et la soliste viendront saluer ce magnifique travail d’équipe. Baisers envoyés d’une main par Elīna Garanča à un public heureux d’avoir partagé, avec de si bons guides,  ce voyage musical varié et pourtant espagnol.

Les artistes

Elina Garanca, mezzo-soprano
Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz
Karel Mark Chichon, direction

Le programme

Théâtre des Champs-Élysées, le 14 octobre 2019

Verdi
Luisa Miller, ouverture
« Nel giardin del bello », air extrait de Don Carlo

Puccini
Manon Lescaut, Intermezzo

Cilea
« Ecco, respiro appena… Io son l’umile ancella », air extrait d’Adriana Lecouvreur

Verdi
La Forza del destino, ouverture
« O don fatale, o don crudel », air extrait de Don Carlo

Federico Chueca
El Bateo, prélude

Grieg
« T’estimo » (arrangement Langley)

Stanislao Gastaldon
« Musica proibita » (arrangement Chichon)

Von Suppè
Leitche Kavallerie, ouverture

Rosenta Mato / Castelao
«Lela»

Carlos Gardel
« El dia que me quieras »

Geronimo Giménez
« La boda de Luis Alonso », Intermezzo

Pablo Sarozabal
« No puede ser ! », air extrait de La Tabernera del puerto

Bis :
Ruperto Chapí 
« Al pensar en el dueño de mis amores », air extrait de Las hijas del Zebedeo

Agustín Lara
« Granada »

Bizet,
« L’amour est un oiseau rebelle », air extrait de Carmen