Une nuit au musée : Nancy accueille la production d’Orlando créée au théâtre du Châtelet en janvier dernier

Orlando, Opéra de Nancy, vendredi 3 octobre 2025
Première loge n’avait pas encore rendu compte de la nouvelle production d’Orlando programmée par Olivier Py pour sa première saison à la tête du théâtre du Châtelet. La reprise de ce spectacle en ouverture de la saison lyrique nancéienne est l’occasion de corriger ce manque.
La vérité sort de la bouche des enfants
Depuis le succès populaire du film La Nuit au musée sorti sur les écrans en 2006, plus personne n’ignore que les œuvres d’art ont leur vie propre et que, à la nuit close, elles s’animent et entretiennent entre elles un dialogue fécond. À l’opéra, nombreux sont les metteurs en scène qui se sont abreuvés à cette source d’inspiration mais tous ne l’ont pas fait avec la même intelligence qu’Alvis Hermanis et son mémorable Trouvère, à Salzbourg, en 2014.
Sans atteindre au sommet du spectacle autrichien, il est réjouissant de compter la mise en scène d’Orlando par Jeanne Desoubeaux au nombre des réussites et de constater que Haendel s’accommode aussi bien que Verdi de l’expérience d’une nuit au musée.
Le spectacle créé à Paris en janvier 2025 repose sur l’idée simple d’une sortie culturelle organisée par un instituteur pour les élèves de sa classe de Cours Élémentaire. Adepte d’une pédagogie bienveillante, le maitre d’école est rapidement débordé par des enfants inattentifs et braillards et se voit contraint par les agents du musée d’écourter la visite. Dans la cohue de ce départ précipité, quelques enfants faussent compagnie à leurs camarades et se laissent enfermer dans le musée pour la nuit… Coupés des adultes le temps de quelques heures et libres de laisser vagabonder leur imagination au gré des toiles qui peuplent les cimaises, les enfants ne tardent pas à donner vie à un portrait de fringant gentilhomme peint à la manière de Largillière.
De cette expérience d’enfermement onirique, Jeanne Desoubeaux tire matière à un spectacle d’une parfaite lisibilité et d’une extrême fluidité dans des décors de Cécile Trémolières qui ne sont pas sans rappeler le chic des productions de Robert Carsen et de Laurent Pelly. Et qu’importe finalement si les affres amoureuses d’Orlando passent au second plan des aventures des jeunes naufragés de la nuit au musée : d’un bout à l’autre de l’ouvrage, le spectateur est embarqué au côté des enfants dans cette expérience qu’on aurait tous aimé vivre à la lisière de l’excitation et de la peur.
Ce qui séduit aussi dans le travail de Jeanne Desoubeaux, c’est qu’elle ne prétend pas asséner de leçon ni réinventer la pédopsychiatrie : dans son musée, les enfants rêvent de chevaliers, de princesses, de bergères et de magiciens qui se battent à l’épée et se chamaillent au gré de sentiments amoureux aussi sincères et changeants que ceux des cours d’école. Et si Orlando est si malheureux de n’être pas aimé d’Angelica qui lui préfère Medoro, ce n’est jamais ni plus ni moins sérieux que des amours enfantines.
Comme l’instituteur sonne la fin de la récréation, le lever du jour vient in extremis interrompre les rêveries des écoliers et voit l’irruption au musée de mamans angoissées qui ont toutes le visage des héros et héroïnes de cette nuit magique. La leçon du spectacle n’est pas difficile à tirer : quelle que soit la puissance de l’imagination des enfants, elle ne se nourrit jamais que de leur quotidien et de l’incontournable figure maternelle.
Caro Sassone
Composé en 1732 pour le castrat Senesino, Orlando n’a rien à envier aux partitions d’Alcina ou de Rinaldo mais n’a pas bénéficié, ces dernières années, d’autant de productions scéniques que le reste du catalogue haendélien. Le découvrir dans toute l’intégrité de ses trois actes est d’abord à porter au crédit de Christophe Rousset qui poursuit avec lui sa patiente exploration de l’opera seria du settecento.
Alors que les Talens lyriques avaient assuré l’accompagnement musical des représentations parisiennes de l’hiver dernier, Christophe Rousset a accepté de prendre la direction de l’orchestre de l’opéra national de Nancy-Lorraine et de travailler avec les musiciens lorrains le grain baroque de leur interprétation. Dès les premiers accords de l’ouverture – et malgré les bavardages parasites des enfants sur scène – on est bluffé par le son de la phalange nancéienne et du résultat obtenu au terme de quelques semaines de répétitions avec un spécialiste du répertoire baroque ! Sous la direction du Maestro, les différents pupitres s’accordent les uns aux autres pour donner une pâte orchestrale ductile et brillante, d’une impeccable tenue et privée des raucités caractéristiques des instruments anciens.
Sur scène au contraire, les cinq protagonistes réunis par le Directeur général Matthieu Dussouillez constituent la fine fleur du chant baroque et mettent leur expérience au service d’un spectacle musicalement irréprochable.
Dans le rôle-titre, la mezzo israélienne Noa Beinart parait une évidence tant sa silhouette réussit à créer l’illusion androgyne ! Vocalement, elle est aussi un Orlando proche de l’idéal et l’on comprend qu’elle soit si rapidement devenue la coqueluche des grandes maisons d’opéra autrichiennes et allemandes. D’un grain mordoré, aussi rond dans les graves que brillant dans les aigus, son instrument couvre un ambitus suffisamment large pour se jouer de toutes les difficultés de ce personnage tourmenté, tantôt matamore dans l’aria « Fammi combattere », tantôt désespéré dans le lamento « Gia l’ebbro mio ciglio ».
Trop rare sur les scènes françaises, Mélissa Petit incarne une Angelica féline et séductrice, à la silhouette particulièrement mise en valeur par les perruques et les costumes d’inspiration Grand Siècle d’Alex Costantino. Le soprano crémeux et la clarté adamantine des aigus de cette artiste font merveille dans la série d’arie composée par Haendel pour son personnage, notamment « Se fedel vuoi » qu’elle interprète avec une longueur de souffle maitrisé et un trille d’airain. Les directeurs de salle français seraient bien inspirés d’aller l’écouter en Allemagne où elle se produit fréquemment et de l’inviter plus souvent dans nos théâtres nationaux.
Rose Naggar-Tremblay interprète le rôle travesti de Medoro et l’investit de toute la puissance de son mezzo opulent. Si la partition ne lui accorde qu’un nombre limité de morceaux, l’interprétation qu’elle livre de l’aria « Se’l cor mai ti dirà » constitue un moment suspendu de bel canto baroque d’une enivrante beauté.
Dans le rôle de la bergère Dorinda, Michèle Bréant réussit elle-aussi à tirer son épingle du jeu et bénéficie de jolies trouvailles de mise en scène qui font de son personnage un des plus attachants du spectacle. Dès sa première ariette « Ho un certo rossore », on est séduit par un timbre clair, des aigus haut-perchés et une simplicité d’effets qui dessinent le portrait d’une chanteuse sincère et engagée.
Seul interprète masculin du plateau, Olivier Gourdy prête à Zoroastre sa silhouette de dandy et un timbre aux graves de bronze. À mille lieux des barbons auxquels sont souvent réduits les magiciens des opéras baroques, cette jeune basse donne à entendre une voix souple, aussi agile dans les appogiatures que sonore dans les notes de passage. La jubilation qui transparait des nombreuses scènes qu’il partage avec les enfants témoigne aussi d’un authentique plaisir du jeu. Pour toutes ces raisons, on aurait plaisir à le réentendre dans un rôle buffa de Rossini ou Donizetti.
Quiconque serait curieux de (re)découvrir Orlando et de partager l’enthousiasme du public nancéien pourra retrouver très vite la même production au théâtre de la Ville de Luxembourg (14 et 16 novembre) : Christophe Rousset y sera à la tête de ses Talens lyriques et dirigera la même distribution qu’à Nancy, à l’exception du rôle d’Orlando confié le temps des deux représentations luxembourgeoises à Katarina Bradic qui avait assuré la création parisienne du spectacle.
Orlando : Noa Beinart
Angelica : Mélissa Petit
Medoro: Rose Naggar-Tremblay
Dorinda: Michèle Bréant
Zoroastro: Olivier Gourdy
Élèves du Conservatoire régional du Grand Nancy
Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine, dir. Christophe Rousset
Assistanat à la direction musicale, clavecin et chef de chant : Korneel Bernolet
Mise en scène : Jeanne Desoubeaux
Chorégraphie : Rodolphe Fouillot
Reprise de la chorégraphie : Gösta Sträng
Scénographie : Cécile Trémolières
Costumes : Alex Costantino
Lumières : Thomas Coux dit Castille
Coordination d’intimité : Monia Aït El Hadj
Assistanat à la mise en scène : Laura Ketels
Assistanat à la scénographie : Helen Hebert
Régie de production : Aurélie Valle
Régie de scène : Adeline Kespi
Régie enfants : Catherine Rose
Orlando
Opera seria en trois actes de Georg Friedrich Haendel, livret d’après celui de Carlo Sigismondo Capece pour Domenico Scarlatti, lui-même tiré de l’Orlando furioso de l’Arioste. Créé le 27 janvier 1733 au King’s Theatre, à Londres.
Opéra national de Nancy-Lorraine, représentation du vendredi 3 octobre 2025.