Les festivals de l’été –
Le charme irrésistible de L’Amico Fritz enthousiasme Gattières !

L’Amico Fritz, festival de Gattières, juillet 2025
De l’ensemble de la production mascagnienne, L’Amico Fritz est, avec Cavalleria Rusticana, le seul ouvrage du maître livournais à avoir conservé les faveurs de l’affiche… en Italie du moins car, en France, cela faisait longtemps que l’ouvrage n’était plus programmé, d’où l’évènement constitué par cette série de soirées estivales à Gattières ! Le résultat aura été à la hauteur de nos attentes.
Une mise en scène qui joue la carte de la simplicité et permet de mettre en valeur la superbe partition de Mascagni
Avec cette trente sixième édition, Gattières serait-il en train de devenir « le » festival lyrique français dans lequel l’amateur d’opéra tout comme le dilettante curieux ont le plus de chance d’entendre des œuvres magnifiques, signées de grands compositeurs mais ayant déserté, pour des raisons inexplicables, les maisons d’opéras ? Avec La rondine l’été dernier et L’Amico Fritz, cette année, on est en tout cas convaincu que ces ouvrages méritent amplement de retrouver le chemin des théâtres français ! C’est donc avec un immense plaisir qu’il convient de saluer l’équipe de bénévoles d’Opus Opéra qui, sous la direction de Stéphanie Courmes, effectue un travail remarquable tant dans la concrétisation scénique et musicale du projet opératique à l’affiche – avec, il convient d’y insister, l’étroite collaboration de l’orchestre philharmonique de Nice – que dans la coordination et l’animation de tout ce qui contribue, de près ou de loin, à faire exister une telle manifestation : par les temps de disette dans lesquels se retrouvent souvent nombre de nos institutions culturelles, le pari relevé et gagné par Opus Opéra mérite d’être souligné et largement encouragé !
L’Amico Fritz est construit sur une intrigue simple, nous parlant directement – mais avec discrétion – de ces intermittences du cœur, sans artifice aucun.
L’idée de la metteuse en scène Jeanne Pansard-Besson de situer l’action dans le village de… Gattières, dont David est devenu le maire, et faisant de Fritz Kobus, un mécène goûtant les arts et finissant, comme Suzel, à se prendre au double charme de la musique et de l’amour, permet fort subtilement de mettre au centre la musique raffinée et le texte poétique et émouvant de Mascagni : n’est-ce pas là l’essentiel pour se replonger dans une œuvre passablement délaissée ?
Comme à l’accoutumée, le cadre apaisant et au lyrisme bucolique de la place Grimaldi du village, avec ses arbres et sa maison en façade dont les nombreuses fenêtres constituent autant de lieux de l’intimité des principaux personnages – belle idée d’y faire ainsi apparaître Suzel et Fritz confiant à la nuit estivale, dans le silence, leurs sentiments… – fournit un décor naturel inestimable à ce type d’ouvrage.
Une distribution à l’engagement superlatif dans la défense de la partition
Jouant tout particulièrement sur la mise en valeur des contrastes d’une partition naviguant constamment entre drame lyrique et comédie en musique, la direction de la jeune cheffe d’orchestre d’origine polonaise Barbara Dragan, à la tête de l’orchestre philharmonique de Nice, prend le parti de privilégier la couleur chambriste de l’ouvrage – fertile en passages de belle facture comme nous le fait entendre le fiévreux violon solo préparant à l’entrée du musicien tzigane Beppe ou encore le bucolique cor anglais au début de l’acte II – parfois au détriment de la fluidité de l’ensemble du plateau vocal. Quel luxe en tout cas, pour un festival en région, que de disposer d’une phalange de l’importance et de la qualité du philharmonique de Nice !
Dans les figures villageoises que constituent les amis et voisins de Fritz, on a plaisir à découvrir les voix de Milena Lohachova (Caterina), Alan Starovoitov ( Hanezò) et Pierre Eladlia (Federico). On connaissait déjà, par contre, la belle personnalité scénique et vocale de la mezzo-soprano Noelia Ibáñez, entendue l’été dernier dans les doubles rôles de Suzy et Lolette de La rondine : venue remplacer Valentine Lemercier, c’est en seulement quelques jours que la chanteuse d’origine espagnole a appris le rôle. Comme nous avions déjà pu l’écrire, la personnalité scénique remarquable de cette jeune et talentueuse artiste lui permet d’être immédiatement dans le spectacle et de faire de Beppe un personnage secondaire… essentiel ! En outre, d’un strict point de vue vocal, la voix s’est particulièrement développée dans le médium, ce qui nous permet d’entendre un « Oh pallida che un giorno mi guardasti » à la parfaite projection, rigoureux de style et d’une couleur vocale qui est bien celle d’une mezzo-soprano authentique ! Nous l’écrivons de nouveau, une artiste talentueuse à suivre et… à inviter plus souvent dans nos théâtres.
Découverte, en ce qui nous concerne, que la voix du baryton Ivan Thirion dont le parcours sur de nombreuses scènes européennes (Bruxelles, Liège, Genève, festival d’Aix-en-Provence…) est déjà significatif : d’un engagement scénique faisant de David, là encore, un personnage avec lequel il faut compter, Ivan Thirion dispose d’une voix égale sur tout l’ambitus dont le haut medium et l’aigu assuré donnent à l’apostrophe « Per voi, ghiottoni inutili » la dimension d’un grand air de baryton… redécouvert ! L’un des grands moments de la soirée.
Nous attendions avec impatience la prise de rôle de Charlotte Bonnet en Suzel. Dans un rôle taillé pour ses moyens authentiques de soprano lyrique, la chanteuse française délivre une interprétation de premier ordre qui permet, à nouveau, d’admirer les couleurs moirées d’une voix qui n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’elle peut s’envoler dans les hautes sphères du medium et de l’aigu, à la vaillance étonnante. Ici, c’est en particulier dans les longues et émouvantes phrases du « duo des cerises » puis dans le lyrisme de « Non mi resta che il pianto » que l’engagement scénique et vocal de cette belle artiste, l’une des plus attractives du panorama lyrique français actuel, nous transporte. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas qui salue triomphalement cette prise de rôle que l’on aura plaisir, espérons-le, à réentendre !
Prise de rôle également que celle de Davide Battiniello en Fritz : dans un rôle dans lequel ont triomphé les plus illustres divi du dernier siècle, la voix de ce jeune ténor napolitain, élève de Giuseppe Polese et, plus récemment, de Francesca Patané, séduit immédiatement par sa musicalité et un style rigoureux dans l’interprétation vocale : ici, tout est sous contrôle et la voix ne tombe jamais dans certains des errements dits « véristes » qui ont si souvent desservis cette musique pourtant admirable, si l’on veut bien se donner la peine de la chanter « bel canto » ! Mettant du temps à se libérer dans les notes de passage vers l’extrême aigu – qui pourra encore gagner en projection -, Davide Battiniello délivre cependant un « duo des cerises » au legato admirable, rejoignant sa partenaire principale dans un instant suspendu de romantisme parfait. Sans nul doute, un chanteur dont nous aurons l’occasion de reparler.
A l’issue de cette soirée particulièrement appréciée par un public nombreux et enthousiaste, il convient de formuler des vœux pour qu’Opus Opéra puisse continuer à produire longtemps de tels moments de qualité musicale !
Fritz Kobus : Davide Battiniello
Suzel : Charlotte Bonnet
David : Ivan Thirion
Beppe : Noélia Ibáñez
Hanezo : Alan Starovoitov
Federico : Pierre Eladlia
Caterina : Milena Lohachova
Orchestre philharmonique de Nice, direction :Barbara Dragan
Mise en scène : Jeanne Pansard-Besson
L’Amico Fritz
Opéra en trois actes de Pietro Mascagni (1863-1945), livret de Nicola Daspuro d’après le roman L’Ami Fritz d’Erckmann-Chatrian (1864), créé au Teatro Costanzi, Rome, le 31 octobre 1891
Festival de Gattières, samedi 19 juillet 2025.