I Capuleti e i Montecchi reviennent en force à l’Opéra royal de Wallonie
I Capuleti et i Montecchi, Opéra royal de Wallonie, 19 mai 2024
La nouvelle production d’Allex Aguilera sert de cadre à des interprètes d’exception
Filiations rossiniennes
I Capuleti e i Montecchi reviennent en force à l’Opéra royal de Wallonie après une absence de presque trois lustres. Très sobre, la nouvelle mise en scène d’Allex Aguilera sert surtout de cadre à des interprètes d’exception. Un pan de rempart ou d’un château médiéval sur le côté, un rideau rouge semble tout d’abord cacher ce que l’on pourrait croire une forme stylisée des célèbres Arche scaligere de Vérone, tombeaux prémonitoires du destin ultime du couple protagoniste. Il n’en est rien. Le parallélépipède qui s’en dégage servira, en un premier temps, d’écrin à l’apparition de Giulietta en robe blanche de mariée, puis à une pantomime où six danseurs des deux sexes jouent d’improbables saynètes de la séduction. À l’opposé la statue véronèse de Juliette, mais acéphale, et une balustrade en fer forgé, devant peut-être signifier le balcon shakespearien qui n’apparaît pas dans le titre bellinien, comme nous le rappelle, dans le programme de salle, le réalisateur, aussi concepteur des décors.
Puisqu’il s’agit d’un opéra où s’enchaînent trois airs de présentation, suivons, une fois n’est pas coutume, le fil des événements. Dans des costumes de l’époque de la création de l’œuvre, dessinés par Françoise Raybaud, le chœur maison introduit quelque peu timidement la cavatine de Tebaldo. Parmi les meilleurs ténors rossiniens de sa génération, Maxim Mironov essaie depuis quelque temps d’étendre la palette de ses personnages. Après un premier Elvino à Dresde l’an dernier, si nos sources sont fiables, il ajoute aujourd’hui un nouveau rôle à son répertoire. Il use des mêmes qualités auxquelles il nous a habitués chez Rossini. Et si c’est encore le cygne de Pesaro que l’on entend en filigrane dans l’accent du premier récitatif, très articulé, c’est par l’élégance que se singularise sa cavatine, parfaitement maîtrisée, avant une cabalette à l’aigu solide, malgré un éclat légèrement voilé, menée en tout cas sans vulgarité ni esbrouffe. Comment la filiation rossinienne ne se justifierait-elle pas mieux, si ce n’est dans ce répertoire ?
Un opéra de genre ?
Étant donné que dans sa note d’intention, Allex Aguilera annonce ne pas voir « la nécessité de déguiser une chanteuse afin de lui donner une apparence de réalisme masculin », nous nous attendions à une conception dans le genre que notre société a tendance à appeler “consensuel”. Cela aurait quand même fait fi de la tradition de cette période de transition où dans les rôles héroïques coexistent voix féminines, recueillant l’héritage aigu des castrats, et ténors. Si l’on fait abstraction d’un chemisier un peu plus bouffant, c’est bien en travesti noir que Raffaella Lupinacci incarne Romeo. À la scène de la rencontre avec sa bien-aimée, son frac en toile rouge damassée aura une longue traîne, mais l’interprète chaussera toujours son pantalon blanc. Et ce n’est que dans une projection (vidéos d’Arnaud Pottier), pendant les notes devant introduire l’entrée de Giulietta, que l’on voit défaire son corsage, dans une posture sans doute davantage féminine. Qu’à cela ne tienne. Dans sa sortita, la cantatrice italienne, qui a aussi chanté Giulietta à Vilnius en 2022, fait état d’un grave très riche dès le récitatif, d’une diction et d’un portamanto uniques dans la cavatine et de couleurs chatoyantes dans la cabalette. Émouvante dans le récitatif du caveau, elle tire les larmes dans son air du désarroi.
À l’élocution tout aussi magistrale, Rosa Feola caractérise à son tour la romanza de l’héroïne par un legato de premier ordre et par des teintes savamment variées. À juste titre, le public lui réserve une ovation bien méritée. À l’acte II – la troisième partie du découpage originel –, revêtue d’une robe bleu clair, lorsque les reflets des eaux de l’Adige, coulant aux pieds du Castelvecchio, se projettent à l’arrière-plan (lumières de Luigi Pordiguero), c’est d’une ligne prodigieuse qu’elle investit son grand air sur lequel viennent se greffer à maintes reprises les interventions de Lorenzo, de son père et du chœur.
Dans les deux duos qui les réunissent, Raffaella Lupinacci se distingue par le brillant de son timbre, Rosa Feola par la virtuosité dans les notes aiguës, les deux artistes, rompues à ce style et visiblement issues de la même école, montrant une complicité sans égal qui se parachève dans le travail d’orfèvrerie qu’elles accomplissent à la fois sur les paroles et sur les notes de la strette. Dès lors, le duo de la mort impressionne, notamment par la souplesse du haut du registre et par le cri ultime de la soprano.
Issu de Zaira, le cortège funèbre commémorant le père se greffe sur le duo entre Romeo et Tebaldo qui annonce Lucia di Lammermoor à deux endroits : le défi des deux rivaux dit de la tour de Wolferag et la complainte intervenant dans le tempo di mezzo du finale d’Edgardo que récupérera Verdi dans le Miserere du Trovatore. Tout aussi assortis, Raffaella Lupinacci et Maxim Mironov s’en sortent à leur tour avec les honneurs.
Des comprimari de luxe
Respectivement Lorenzo (qui a troqué sa bure contre un costume gris pastel) et Capellio, Adolfo Corrado et Roberto Lorenzi sont un luxe en comprimari, à tel point que l’on regrette que leurs rôles ne prévoient pas de morceau solo et qu’ils ne chantent pas davantage. De récitatifs en scènes, ils s’intègrent à merveille dans la distribution, notamment dans le quintette exemplaire du finale central et dans le concertato où le chœur retrouve toute sa vaillance. Les deux partis adverses s’opposant aussi par la couleur vestimentaire : en noir les Capulets, en violet les Montaigus.
Habitué des scènes internationales, Maurizio Benini accompagne judicieusement les chanteurs, malgré une ouverture un peu pressée, notamment chez les cuivres, et où les vents se montrent par moments hésitants.
Un champ de bataille se dresse à l’arrière-plan à l’issue du double sacrifice. Cette catharsis semble affecter positivement les spectateurs qui s’en donnent à cœur joie.
Capellio : Roberto Lorenzi
Giulietta : Rosa Feola
Romeo : Raffaella Lupinacci
Tebaldo : Maxim Mironov
Lorenzo : Adolfo Corrado
Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège : dir. Maurizio Benini et Denis Segond
Mise en scène et décors : Allex Aguilera
Costumes : Françoise Raybaud
Lumières : Luigi Pordiguero
Vidéos : Arnaud Pottier
I Capuleti et i Montecchi
Tragedia lirica en quatre parties de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créée au Teatro La Fenice de Venise le 11 mars 1830.
Liège, Opéra royal de Wallonie, dimanche 19 mai 2024