Opéra d’Avignon : le succès d’une TOSCA populaire

Il y a plusieurs gagnants dans cette représentation de Tosca, à commencer par la partition elle-même. Écouter et voir l’œuvre de Puccini pour la énième fois, en ce centenaire de la mort du compositeur, ne cesse de renouveler le bonheur de l’écoute d’un drame magnifiquement écrit, tant pour le texte que pour une musique capiteuse et devenue célébrissime, bien au-delà d’un Vissi d’arte rabâché.

Avignon accueillait donc, pour trois représentations, la reprise d’un spectacle initialement monté à Trèves par Jean-Claude Berutti. Elle y fut jouée dix fois dans ce théâtre allemand entre le 18 novembre 2022 et avril 23. Ce 5 avril, cette Tosca a réussi un triple pari : celui d’un succès populaire, avec une salle comblée, un public enthousiaste ; celui d’un fort moment de musique grâce à un travail de groupe, à une direction passionnée et passionnante ; celui de prendre un vrai parti dans le débat actuel autour des mises en scènes d’opéra[1].

Tout comme dans Samson et Dalila, donné en juin dernier ici-même, dès les premières notes, l’Orchestre National Avignon-Provence nous saisit. La tension ne faiblit à aucun moment et le chef a su faire entendre toute la palette mouvante de la sensualité et de la terreur, du drame et de ses fureurs. Le travail de Federico Santi est remarquable d’engagement et de précision, de subtilité et de couleurs. Et l’on se prend à découvrir tels contrechants de clarinette basse et contrebasson durant le monologue de Scarpia, ou d’autres détails qui ne sont en rien factices mais révèlent une passionnante lecture de la partition. De la douceur des duos d’amour entre Tosca et Mario au déchainement du Te deum, de la terrifiante scène de torture à l’affrontement Scarpia-Tosca, c’est bien d’abord à Federico Santi que l’on doit une belle soirée puccinienne, avec une distribution inégale.
Les chœurs sont parfaits d’ensemble et de musicalité, avec une mention particulière pour la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, vivante et très engagée dans la scène finale du premier acte.

Oublions la pâleur du pâtre au troisième acte, l’indigence d’un Spoletta qui déparait dans ce spectacle où le rôle d’Angelotti était tenu par Ugo Rabec à la voix de basse profonde alors que Jean-Marc Salzmann campait un truculent sacristain. C’est bien sûr le trio fatal qui attire tous les regards.

C’était là une prise de rôle pour Sébastien Guèze qui donnait de son personnage une interprétation toute en vaillance et en force plus qu’en nuances, avec des aigus triomphants et un volume sonore impressionnant. La fougue de la jeunesse de Mario Cavaradossi nous saute au visage et enchante le public. Gageons que le ténor cherchera à creuser le rôle afin de lui donner une épaisseur moins univoque.
Barbara Haveman possède de nombreuses qualités, tant vocales que scéniques[2] et dessine une Floria Tosca amoureuse, à la voix fière et puissante mais non exempte de vibrato. Peut-être manque-t-il encore une plus forte incarnation d’un rôle qui demande plus de flamboyance.
Quant au baryton André Heyboer, qui campe un Scarpia impressionnant, véritable bigot sadique, sa voix sombre et sa présence s’accordent parfaitement au rôle. C’est lui qui fascine, terrifie, nous emporte dans un maelstrom de noirceur, faisant de sa présence le moment le plus fort de cette soirée lyrique.

La mise en scène de Jean-Claude Berutti s’inscrit dans un souci du détail en lien direct avec chacun des souhaits du compositeur. Les didascalies sont respectées et le décor choisi ne nous projette ni dans l’espace interstellaire, ni dans une période évoquant quelque dictature historique ou fantasmée. Nous voici plongés au temps souhaité par Puccini et dans des espaces précis : ceux du livret.
Facilité ? Réalisme et clarté du propos qui permetten de se concentrer sur l’intrigue elle-même, nous transportant à Sant’Andrea della Valle, puis au Palais Farnèse et enfin au château Saint-Ange – le tout grâce à des projections vidéo captées in situ par Julien Soulié. Les lieux s’animent, les couleurs changent, les effets sont rares, sans recherche de stylisation. Une façon de refaire au théâtre, le film tourné dans les lieux mêmes du drame[3] ? Une vision personnelle et respectueuse, donnant une véritable cohérence à la représentation, offrant quelques images fortes pour un beau spectacle qui rend l’opéra populaire.

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[1] Voir le récent article du ténor Cyrille Dubois.

[2] Les avignonnais se souviennent peut-être de son Amelia dans le Simon Boccanegra donné en 2015.

[3] Avec Raina Kabaivanska, Placido Domingo et Sherrill Milnes, le film est visible ici.

Les artistes

Floria Tosca : Barbara Haveman
Mario Cavaradossi : Sébastien Guèze
Il Barone Scarpia : André Heyboer
Cesare Angelotti : Ugo Rabec
Spoletta : Francesco Cipri
Un sagrestano : Jean-Marc Salzmann

Orchestre national Avignon-Provence – Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avigno. Direction musicale Federico Santi

Mise en scène Jean-Claude Berutti

 

Le programme

Tosca

Opéra en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de Victorien Sardou. Créé au Teatro Constanzi à Rome le 14 janvier 1900.

Opéra Grand Avignon, vendredi 5 avril 2024