Opéra de Lyon : La fanciulla del Rhône

Comme nous l’écrivions dans notre dernier édito, programmer Turandot ou Bohème en cette année du centenaire ne saurait nullement constituer un hommage à Puccini. En revanche, permettre au public de réentendre Le Villi (comme à tout récemment à l’Opéra de Liège) ou La fanciulla del West constitue une vraie bonne surprise, surtout lorsque les concerts ou représentations sont à la hauteur des attentes du public. Ce fut le cas à Liège en février dernier, c’était également le cas vendredi dernier à l’Opéra de Lyon, si l’on en croit le triomphe remporté par les artistes.

À tout seigneur, tout honneur : Daniele Rustioni empoigne la partition de Puccini avec une énergie, une passion de tous les instants – sans compter une attention permanente aux chanteurs et à l’équilibre fosse/plateau, une science du coloris orchestral souveraine, et surtout un sens de l’efficacité théâtrale imparable : dès les premières mesures du prélude, le drame vous empoigne et ne vous lâche plus, grâce, également, à un orchestre de l’Opéra de Lyon chauffé à blanc, impressionnant de précision et de puissance évocatrice. Le chef et les musiciens seront à juste titre très chaleureusement applaudis au rideau final.

Mais la très grande réussite musicale du spectacle repose aussi en grande partie sur une distribution soignée jusque dans les plus petits rôles, au sein desquels on remarque la présence de Léo Vermot-Desroches et Valentin Thill, deux jeunes ténors récemment remarqués au Concours Voix Nouvelles, et d’où se distinguent notamment deux jeunes chanteurs du Lyon Opéra Studio : le vaillant Nick de Robert Lewis, et la Wowkle de Thandiswa Mpongwana, aux interventions parfaitement maîtrisées. Dans La fanciulla, comme dans Tosca, tout repose cependant, sur le trio soprano-ténor-baryton. On avait entendu Claudio Sgura dans la Missa di Gloria et Le Villi liégeois. On le retrouve ici avec plaisir dans le rôle de Jack Rance, dans une forme vocale encore meilleure, nous a-t-il semblé. Le baryton italien offre du shérif un portrait nuancé, vocalement et scéniquement (nous y reviendrons), loin de la brute épaisse à laquelle certains interprètes réduisent le personnage. Riccardo Massi a été, ce soir, un Dick Johnson proche de l’idéal. Le timbre est très agréable, la voix efficacement projetée, mais c’est surtout le style que nous avons apprécié chez le ténor italien : Riccardo Massi parvient en effet à proposer une incarnation fougueuse et émouvante du personnage sans pour autant jamais s’abandonner aux effets faciles dont certains interprètes se croient autorisés à lester cette musique. Pas de sanglots intempestifs, ni de ports de voix déplacés, ni de points d’orgue interminables, ni de parlando : l’émotion naît d’une ligne de chant soignée et nuancée et d’un grand respect de la partition. Un ténor que l’on retrouvera avec plaisir l’an prochain, toujours à Lyon, dans La forza del destino et Andrea Chénier. Chiara Isotton, enfin, triomphe dans le rôle-titre. La voix est extrêmement saine et offre aux spectateurs le sentiment très rassurant qu’aucun « accident » n’est possible, tant elle garde son homogénéité et son velouté sur l’ensemble de la tessiture, avec notamment des aigus sûrs, puissants, mais jamais criés. Comme son partenaire, Chiara Isotton soigne également l’interprétation du personnage, sensible, touchant, tantôt empreint de force ; tantôt naïf (quand Minnie se laisse gagner par l’amour… Rarement le début de l’acte II nous aura à ce point rappelé Butterfly se faisant belle elle aussi en l’honneur de l’homme qu’elle aime !) ; tantôt plein de grandeur, dans une scène finale superbement maîtrisée.

Le spectacle proposé par Tatjana Gürbaca a le bon goût de ne pas faire dire à l’œuvre de Puccini ce qu’elle ne dit pas. Certains lui ont reproché l’absence d’une vraie lecture, d’une véritable « vision ». Ce sont selon nous, la scénographie de Marc Weeger, d’une austérité un peu lassante (même si les décors sont superbement animés par les éclairages magnifiques de Stefan Bolliger) et les costumes de Dinah Ehm (inégaux : ceux de Rance et Johnson sont très réussis, ceux de Minnie aux deux premiers actes beaucoup moins…) qui déçoivent un peu. Si le spectacle reste un peu sage, on apprécie une caractérisation fine des personnages, notamment celle du shérif Rance : à rebours d’une tendance aujourd’hui sur-représentée qui fait du moindre personnage masculin (même l’amoureux transi a priori le plus inoffensif) un monstre brutal et insensible, Tatjana Gürbaca fait de Jack Rance un homme certes violent et peu sympathique, mais dont la brutalité s’explique par le fait de n’avoir, comme il le dit lui-même, « jamais aimé ni été aimé ». Rance n’est pas Scarpia : la scène du poker rappelle certes le second acte de Tosca, mais Scarpia ne se serait jamais embarrassé d’une partie de cartes pour attendre d’être fixé sur le fait de pouvoir posséder ou non la femme convoitée ! Lors du départ final de Minnie et Dick vers les montagnes de la Sierra Nevada, Rance braque un instant son revolver sur le couple d’amoureux, avant de le pointer vers sa tempe dans un acte de désespoir. Une subtilité de lecture appréciable, qui trouve sa source dans le livret et non dans l’imagination du metteur en scène, et qui tranche agréablement sur certaines caractérisations « à l’emporte-pièce » !


Pour découvrir notre conversation avec Chiara Isotton à l’occasion de sa prise de rôle en Minnie dans La fanciulla del West, c’est ici !

Les artistes

Minnie : Chiara Isotton
Jack Rance : Claudio Sgura
Dick Johnson : Riccardo Massi
Nick : Robert Lewis *
Ashby : Rafał Pawnuk
Sonora : Allen Boxer
Sid : Matthieu Toulouse
Trin : Zwakele Tshabalala
Bello : Ramiro Maturana
Harry : Léo Vermot-Desroches
Joe : Valentin Thill
Happy : Florent Karrer
Larkens : Pete Thanapat *
Wowkle : Thandiswa Mpongwana *
Jack Wallace : Paweł Trojak *

Orchestre, Chœurs et Studio de l’Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni
Mise en scène : Tatjana Gürbaca
Décors : Marc Weeger
Costumes : Dinah Ehm
Lumières : Stefan Bolliger
Chef des Chœurs : Benedict Kearns

* Solistes du Lyon Opéra Studio

Le programme

La Fille du Far West

Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini, livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini, d’après le drame de David Belasco, créé à New York en 1910
Opéra de Lyon, représentation du vendredi 15 mars 2024.