Le public dijonnais s’envole sur Les Ailes du désir, opéra d’Othman Louati d’après Wim Wenders

Même s’il ne reçut, en 1987, ni le César, ni l’Oscar du meilleur film étranger, Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin) restent l’un des films les plus célèbres non seulement de Wim Wenders, mais aussi de la décennie 80-90. L’idée d’en faire un opéra peut surprendre dans un premier temps, tant le souvenir que l’on garde du film est celui d’une œuvre peut-être plus poétique que dramatique – avec notamment peu de dialogues mais plutôt des monologues : les fameux monologues intérieurs entendus et révélés par les anges qui planent au-dessus de la ville.

Gwendoline Soublin a habilement adapté le scénario du film (signé Wim Wenders et Richard Reitinger) : sans perdre en teneur poétique, le livret se plie aux contraintes scéniques et musicales du genre opéra (il permet ainsi de beaux monologues chantés, mais aussi des duos, des ensembles) sans jamais trahir l’original dont il reste finalement assez proche (les féminisations de Damiel, devenu ici Damielle, ou du directeur du cirque ne modifient guère les enjeux dramatiques ou poétiques de l’œuvre). L’effet « patchwork » ou juxtaposition de scènes (« choses vues », pensées intérieures…) est évité, notamment grâce à la musique qui assure l’indispensable lien entre les scènes, mais aussi à la belle mise en scène de Grégory Voillemet qui assure au spectacle une belle fluidité et suffisamment de narrativité pour « accrocher » le spectateur. Ainsi l’œuvre d’Othman Louati et Gwendoline Soublin parvient-elle, avec subtilité et poésie, à « raconter une épopée sans rebond », pour reprendre les propos de l’ange Cassiel. Dans une scénographie (signée Johanny Bert) tantôt épurée (de simples silhouettes se détachant sur un fond lumineux, façon Bob Wilson), tantôt sobrement figurative et efficacement évocatrice, évoluent acteurs et marionnettes (bravo aux marionnettistes pour leur travail si poétique et d’une très belle expressivité), avec une idée simple mais lumineuse : dans un premier temps, les acteurs incarnent les anges, et les marionnettes les humains. Mais cette distinction s’estompe progressivement, dès lors que l’ange Damielle cherche à s’humaniser et que, dans un cheminement parallèle, l’artiste de cirque Marion, qui tutoyait le ciel perchée sur son trapèze, quitte son statut d’acrobate suite à la fermeture du cirque.

La musique d’Othman Louati, novatrice tout en restant accessible et émouvante, fait entendre plusieurs pages marquantes : la scène qui ouvre l’œuvre, où les pensées intérieures se superposent pour former un ensemble étonnant (avant qu’elles ne s’individualisent et se fassent clairement et successivement entendre) ; les belles scènes où tel personnage se plaint de n’avoir « jamais été aimé », tel autre se remémore des souvenirs poignants de la dernière guerre (très émouvantes interventions de Benoit Rameau en « Amant jamais aimé » et Ronan Nédélec en « Vieux rescapé ») ; la rencontre entre Damielle et Marion au cours de laquelle les personnages ne s’expriment que par le biais de deux longues vocalises sans paroles,…
Les deux héroïnes sont incarnées par Camille Merckx, qui prête à Marion son beau timbre profond aux couleurs cuivrées, et Marie-Laure Garnier, pour qui le rôle de Damielle a été écrit : la soprano impressionne par son investissement scénique et vocal, maîtrisant l’ambitus très large exigé par le rôle auquel elle confère tantôt un aspect « terrien » (par l’ampleur de sa voix et la profondeur de ses graves), tantôt un côté aérien (par les belles envolées dans le registre aigu et le soin apporté au chant legato). Mais les autres artistes, tous parfaitement crédibles dans leurs rôles respectifs, sont également à citer : Shigeko Hata, tout aussi convaincante en Enfant qu’en Mendiante, Mathilde Ortscheidt, mezzo dont les graves profonds siéent particulièrement bien au rôle de la Directrice du Cirque, ou encore Romain Dayez dans le rôle assez exigeant de l’ange Cassiel, avec ces lignes vocales aiguës chantées en voix mixte (« Maintenant, Damielle, me dire… ») et l’indispensable douceur exigée par des répliques telles « Ne te retourne pas, je resterai près de toi… »). Le baryton confirme en tout cas, par la grande noblesse de son chant et de son jeu, que les personnages sérieux lui conviennent tout autant que les rôles bouffes dont il est assez coutumier !

Un beau spectacle – écouté avec attention par le public et salué chaleureusement au rideau final – qui, de janvier à mai, sera encore donné à Besançon, Compiègne, Nantes, Rennes et Tourcoing.

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Photos  prises lors des premières représentations au Bateau Feu (Dunkerque) les 9 et 10 novembre derniers. (© Christophe Raynaud de Lage )

Les artistes

Damielle : Marie-Laure Garnier
Cassiel : Romain Dayez
L’Enfant, la Mendiante : Shigeko Hata
La Mère sans insouciance, la Directrice du cirque : Mathilde Ortscheidt
Marion : Camille Merckx
Peter, L’Aimant jamais aimé : Benoit Rameau
Le Vieux rescapé, l’Employé du cirque et Nick Cave : Ronan Nédélec
Avec les marionnettistes Gabriel Allée, Lucile Beaune, Enzo Dorr, Eirini Patoura, Alexandra Vuillet, Aitor Sanz Juanes

Ensemble Miroirs Étendus, dir. Léo Margue
Mise en scène : Grégory Voillemet
Idée originale et scénographie : Johanny Bert
Chef de chant : Romain Louveau
Assistant scénographie : Grégoire Faucheux
Dramaturgie : Olivia Burton
Dessins : Sebastiano Toma
Lumières : Jean-Philippe Viguié
Costumes : Pétronille Salomé
Fabrication marionnettes : Amélie Madeline
Sonorisation : Anaïs Georgel
Régie générale : Aurélie Valle

Le programme

Les Ailes du désir

Opéra pour 7 chanteurs et 13 instrumentistes sonorisés d’Othman Louati, livret de Gwendoline Soublin d’après Wim Wenders, créé le 9 novembre 2023 à Dunkerque.
Opéra de Dijon, représentation du mercredi 10 janvier 2024.