À l’opéra Bastille, une Cendrillon sans paillettes et tout de même somptueuse !

Un écran de cinéma très vintage, un format des années 1920, descend lentement du haut de la scène, les lumières s’éteignent et l’orchestre attaque avec éclat le bref prélude du premier acte. Un beau dessin animé, en noir et blanc, introduit l’action. Les dessins reproduisent les illustrations de Berthold Reichel et Barbara Krokisius. Après ce bref clin d’œil rétro, la scène s’ouvre et, surprise, on se retrouve face à un décor industriel : des machines infernales, avec engrenages, turbines, pistons et circuits électriques qui scintillent. Une véritable ambiance de conte de fées ! Et pourtant on découvre vite que c’est la demeure ou vit notre Cendrillon, avec son père Pandolfe et surtout avec sa belle-mère, la vaniteuse Madame de la Haltière, et ses deux filles un peu sottes, Noémie et Dorothée. La machine qui domine la scène et qui est manœuvrée par la méchante patronne n’est autre qu’un propulseur de princesses, où la jeune-fille qui rentre en déshabillé par une porte, sort toute parée en rose bonbon de l’autre. Un décor pour le moins surprenant…

La mise en scène de Mariame Clément reproposée par l’Opéra met en avant une approche socio-culturelle du conte de fées de Perrault, mis en musique par Jules Massenet en 1899, et le fait à travers une série de bonnes intuitions. Ainsi, oubliant le Grand Siècle auquel se réfèrent le livret d’Henri Cain et la musique de Massenet, Cendrillon est transportée à la Belle Epoque. La terrifiante Madame de la Haltière, épouse du faible et soumis Pandolfe et dirigeant une industrie qui produit des filles à marier, se fixe son but ultime. Elle doit préparer ses deux filles pour le bal, afin de les présenter au Prince et de les marier convenablement. Totalement dépendantes de cette mère possessive, Noémie et Dorothée sont poussées à l’intérieur de cette machine infernale qui les expulse « coffrées » en robe de bal, et partent avec Pandolfe, oubliant la petite Cendrillon seule à la maison. Et pourtant, même sans carrosse, celle-ci ira bien au bal en montgolfière. On croyait bien connaître l’histoire, mais voilà…

On a néanmoins plaisir à revivre cette fable grâce à une mise en scène pleine d’ironie et de trouvailles irrévérencieuses. Ainsi, le personnage de la Fée, pétillante d’espièglerie, est le miroir positif de Mme de la Haltière : son but est le même, mais il est destiné à Cendrillon. Le deuxième acte nous présente un Prince Charmant ennuyé et en pleine révolte, qui boit un peu trop, se damnant pour trouver l’amour et se moquant des étiquettes. La scène du bal en ce sens est très réussie, et on découvre enfin une Cendrillon drôle, qui étouffe sous sa robe rose meringuée et qui finit par séduire le Prince en chemise culottes et convers. Petit bémol pour le décor de la salle du palais royal, qui, voulant évoquer les structures élégantes d’Eiffel au Grand Palais, ressemble en fin de compte à la structure non moins parisienne des Pavillons Baltard. Un moment qui nous laisse un peu perplexe est celui du tableau féerique au pied de l’arbre de la Fée au troisième acte. À ce moment la scène se soulève et nous dévoile un souterrain avec des structures en métal et des portes qui ressemblent à d’énormes chauffe-eau. Ici se déroule le beau duo d’amour entre Cendrillon et le Prince charmant, et à un moment donné le chauffe-eau s’ouvre, dévoilant un « cœur sanglant » en format géant. On aurait pu trouver peut-être une image plus romantique…

La production a bénéficié d’une distribution vocale somptueuse, qui réussit avec brio les hardiesses de l’écriture de Massenet. En premier lieu, le jeune soprano Jeanine de Bique nous offre une interprétation mémorable de Cendrillon. Nous avons entendu une artiste extraordinaire, dotée d’un timbre extrêmement riche et d’une vocalité large à l’émission puissante, changeant aisément de registre mais aussi capable de sublimer les nuances voulues par le compositeur. À la fois drôle et émouvante, elle irradie la scène par son charisme et sa grande aisance de mouvement, malgré une diction pas toujours assurée.

Elle était accompagnée par un Prince Charmant extrêmement convaincant, parfaitement interprété par le mezzo Paula Murrihy, qui réussit à composer un rôle vocalement complexe, où l’élan vocal passionné du jeune amoureux alterne avec une belle ligne de chant dans les phrases alanguies des deux superbes duos d’amour avec Cendrillon.

Les seconds rôles sont luxuriants. La Fée, toute de vocalises et d’espièglerie, est incarnée de façon extrêmement drôle et ironique par le soprano colorature Caroline Wettergreen, vocalement très élégante. Elle apparaît à la fin du premier acte dans une robe argentée moulante et clinquante, les cheveux longs et aérés, dans un look Céline Dion vraiment irrésistible. Pandolfe est incarné avec métier et une intelligence d’acteur comique par un Laurent Naouri en bonne forme vocale, sublime de douceur et de lyrisme dans le duo du troisième acte avec Cendrillon « Là nous serons heureux… ». Le public a dévolu une ovation à Mme de la Haltière, composée avec extrême drôlerie et une grande prestance vocale par Daniela Barcellona, qui reprend un rôle qu’elle avait déjà interprété l’année dernière, en affinant encore son jeu de nouvelles trouvailles hilarantes. Belle prestation également des talentueuses Emy Gazeilles et Marine Chagnon, dont les Noémie et Dorothée font preuve de grande vivacité juvénile.

Une mention particulière à la direction dynamique et fougueuse de Keri-Lynn Wilson, qui maîtrise parfaitement le pastiche de style de la partition de Massenet, entre les formules du XVIIIe siècle, les enchantements sonores de l’univers féerique du conte, ou encore le symbolisme pré-debussyste. La cheffe conduit l’orchestre somptueux de l’Opéra en mettant en lumière le lexique à la fois érudit et novateur de Massenet, avec un sens aigu de la phrase mélodique qui met constamment en valeur les voix.

Une véritable réussite à savourer avec délectation.

Les artistes

Cendrillon : Jeanine De Bique
Madame de la Haltière : Daniela Barcellona
Le Prince charmant : Paula Murrihy
La Fée : Caroline Wettergreen
Noémie : Emy Gazeilles
Dorothée : Marine Chagnon
Pandolfe : Laurent Naouri
Le Roi : Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté : Luca Sannai
Le Surintendant des plaisirs : Laurent Laberdesque
Le Premier ministre : Fabio Bellenghi
Six Esprits : Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie van den Woestyne, Blandine Folio Peres

Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Keri-Lynn Wilson
Choeur de l’Opéra national de Paris, dir. Alessandro Di Stefano
Mise en scène : Mariame Clément
Décors et costumes : Julia Hansen
Lumières : Ulrik Gad
Vidéo : Etienne Guiol
Chorégraphie : Mathieu Guilhaumon

Le programme

Cendrillon

Opéra en quatre actes et six tableaux de Jules Massenet, livret d’Henri Cain et de Paul Collin, créé à l’Opéra-Comique le 24 mai 1899.
Opéra national de Paris-Bastille, représentation du mercredi 25 octobre 2023