Xynthia, un message écologique porté par un spectacle poétique au Théâtre Monfort

Qui a dit que l’opéra était déconnecté des préoccupations actuelles ? Après Cassandra à Bruxelles en septembre dernier, qui dénonçait efficacement l’incurie des dirigeants face au réchauffement climatique, voici Xynthia, « opéra engagé » donné actuellement au Théâtre Montfort et créé à Reims en octobre 2023.

La thématique en est également écologique, avec, comme dans Cassandra, un aller-retour entre diverses strates temporelles : un passé lointain avec une référence à Cynthia, avatar d’Artémis et déesse de la nature sauvage ; un passé proche – et fictif – avec la pièce d’Ibsen Un ennemi du peuple (1883) dont le livret (particulièrement habile et signé Valentine Losseau) s’inspire librement ; l’époque actuelle avec la tempête Xynthia ayant frappé l’Europe de l’Ouest en 2010 – et plus spécifiquement, en France, la commune de  La faute-sur-Mer en Vendée. La strate temporelle la plus lointaine est évoquée dans les premières mesures de l’œuvre de Thomas Nguyen, aux sonorités sourdes et profondes, « évoquant notre connexion au Cosmos où la molécule d’eau s’est formée » (dixit le compositeur… Un possible hommage à L’Or du Rhin ?) et la danse de l’androgyne Sébastien Ly, corps masculin mais chevelure féminine, incarnation de la déesse antique. Le passé proche est celui de la pièce d’Ibsen, mettant en scène le docteur Stockmann ayant découvert que les eaux de la station thermale de son village sont contaminées et étant devenu « l’ennemi du peuple » pour avoir rendu publique la situation – ce qui a pour effet d’engendrer de dispendieux travaux. Le présent est quant à lui incarné par Alix Riemer, la « messagère du peuple », interpellant les personnages du livret comme les spectateurs, tissant des liens entre le drame qui se joue et la catastrophe écologique de 2010.

Musicalement, l’œuvre se singularise de ce qu’on entend habituellement à l’opéra par le parti pris d’une sonorisation aux finalités expressives plus qu’amplificatrices, et un accompagnement des voix par certains instruments plutôt atypiques dans l’univers lyrique (les voix sont ici accompagnées par le cristal Baschet, les ondes Martenot, la harpe, les clarinettes en si bémol et basse, le clavier Fender Rhodes, et les percussions augmentées d’un système électroacoustique joué en direct). Les musiciens sont tous dirigés avec précision et conviction par Yann Molénat, qui tient lui-même le clavier. L’écriture vocale est quant à elle limpide, privilégiant l’expressivité, la ligne mélodique et l’intelligibilité du texte. Certaines pages sont néanmoins assez exigeantes pour les chanteurs (les longues tirades a cappella de la scène au cours de laquelle Stockmann tente de révéler la vérité, par exemple).

La distribution réunie pour l’occasion fait preuve d’un engagement vocal et scénique sans faille : Halidou Nombre incarne au mieux le docteur dépassé par les événements et incrédule devant la réaction de ses proches et des autorités. Emmanuelle Jakubek (une artiste aux compétences multiples : elle est à la fois chanteuse, danseuse, actrice, violoniste) fait entendre, dans le rôle de sa fille Petra, une voix d’une belle rondeur, pure, à l’ambitus large. Stéphanie Guérin (Premier Prix Femme Prix Spécial « Andréa Guiot » du concours Opéra en Arles 2021) est une Aslaksen à la fois détestable et drôle, avec sa chevelure et ses perles blanches rappelant irrésistiblement certaine directrice générale du FMI… Fabien Hyon, timbre clair, articulation nette, implication scénique totale, convainc lui aussi pleinement dans le rôle de l’antipathique et peu fiable Billing.

Mais si le spectacle est une réussite et séduit les spectateurs (y compris les jeunes, très présents et attentifs en cette soirée du 18 octobre), c’est aussi grâce à la mise en scène poétique réglée par Mikaël Serre, qui, avec la complicité de Jimmy Boury (création vidéo), rend lisible la superposition des différentes strates temporelles et privilégie la fluidité de la narration – tout en mettant judicieusement en valeur les quelques scènes où l’intensité, l’urgence dramatiques se font particulièrement prégnantes. Un beau spectacle, vecteur d’un message ô combien utile, que l’on peut applaudir au Théâtre Monfort jusqu’au 22 octobre – et que l’on pourra revoir à Clermont-ferrand le 26 janvier 24.

Les artistes

Emmanuelle Jakubek, soprano
Stéphanie Guérin, mezzo
Fabien Hyon, ténor
Halidou Nombre, baryton
Alix Riemer, comédienne
Sébastien Ly, danseur

Musiciens
Thomas Bloch, cristal Baschet, ondes Martenot
Pauline Haas,  harpe
Juliette Adam, clarinettes
Pierre Tanguy, percussions et électroacoustique
Yann Molénat, direction musicale et Fender Rhodes

Direction musicale : Yann Molénat

Mise en scène : Mikaël Serre
Assistante mise en scène : Naïma Perlot-Lhuillier
Chorégraphie : Kitsou Dubois
Scénographie : Charlotte Gautier Van Tour
Costumes : Anaïs Heureaux
Chef de chant : Jeanne Vallée
Création sonore : Pierre Tanguy
Création lumière : Jimmy Boury
Création vidéo : Léa Troulard et Charlotte Gautier Van Tour
Régisseur général : Christian Ravelomaniraka
Régisseur son : Samuel Allain
Production : Agnès Prévost
Diffusion : Bureau Formart
Affiche : Damien Richard
Graphisme : Hélène Pallut
Photos : Florent Mayolet

Le programme

Xynthia

Opéra de Thomas Nguyen, Livret de Valentine Losseau d’après Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, créé à Reims en octobre 2023.

Représentation du mercredi 18 octobre 2023, Théâtre Sylvia Monfort (Paris)