Les festivals de l’été –
Innsbruck : LA FIDA NINFA, une favola pastorale du Vivaldi de la maturité

Innsbrucker Festwochen der Alten Musik : Vivaldi, La fida ninfa

Le festival d’Innsbruck redonne vie à une œuvre majeure de Vivaldi : un beau succès, malgré une lecture scénique décevante.

Une œuvre majeure du catalogue vivaldien

À l’occasion de la première de La fida ninfa, l’un des édifices théâtraux les plus coûteux du XVIIIe siècle, le Teatro Filarmonico de Vérone, fut inauguré le 6 janvier 1732. La commande de l’opéra avait été passée à Antonio Vivaldi, mais uniquement parce que Giuseppe Maria Orlandini, qui devait à l’origine mettre le livret en musique, n’était plus disponible lorsque le moment fut venu de composer l’œuvre. Probablement écrit en moins de deux mois, l’opéra fut monté avec grand succès : les décors de Bibbiena, les ballets d’Andrea Catani, le texte de Scipione Maffei (figure marquante de la culture italienne du XVIIIe siècle et financier de la construction du nouveau théâtre), l’orchestre, composé d’excellents virtuoses et, enfin, la musique même « du Signor Vivaldi » furent loués. On apprécia moins les chanteurs, pourtant renommés (Giovanna Gasperini, Gerolama Madonis, Francesco Venturini, Giuseppe Valentini) mais désavantagés par le peu de répétitions. L’opéra fut ensuite représenté en 1737 pour célébrer la naissance de la première fille de l’impératrice Marie-Thérèse au Theater am Kärntnertor de Vienne, ville où Vivaldi devait passer la dernière année de sa vie.

Sous le numéro de catalogue RV714, La fida ninfa est le 32e des opéras qui nous sont parvenus selon Reinhard Strohm, le plus grand spécialiste du théâtre musical du Prêtre roux. Fruit de sa pleine maturité, les trois actes présentent une série d’airs magnifiques avec lesquels Vivaldi transfigure les codes et les lieux communs de l’opera seria dont regorge le livret de Maffei. Le texte mêle nymphes (perçus ici comme des jeunes femmes associées aux bergers et aux paysans) et pirates dans une intrigue complexe où enlèvements, erreurs d’identité, amours complexes, fausses morts, suicides annoncés, tempêtes maritimes et interventions divines ne trouvent leur résolution qu’à la fin de l’opéra, comme dans un thriller d’Agatha Christie, au point que Narete déclare : « Tout est clair » tandis que Morasto conclut par : « Ô dieux suprêmes ! | Par quelles voies occultes conduisez-vous les mortels ?  » Le tout est habillé d’une musique extraordinaire : les vingt numéros musicaux comprennent une série d’ensembles (un duo, un trio, un quatuor et quelques courts chœurs) et des pages solistes dont certaines, rivalisant de virtuosité vocale, comptent parmi les plus difficiles de Vivaldi.

Une lecture scénique décevante

Pour la 47e édition du Festival di Musica Antica, la dernière confiée au directeur artistique Alessandro De Marchi, le compositeur des deux œuvres au programme est donc Antonio Vivaldi, dont L’Olimpiade et La fida ninfa sont mises en scène. Outre diverses autres pièces de concert de ce compositeur, l’oratorio Juditha Triumphans est également présenté. On a toutefois l’impression que les efforts de production ont surtout favorisé L’Olimpiade plutôt que La fida ninfa : dans le premier, des chanteurs célèbres se sont produits et la mise en scène a été bien accueillie ; le second a été confié à des chanteurs prometteurs mais quelque peu immatures, et la représentation s’est révélée  visuellement décevante. Le metteur en scène François de Carpentries n’a pas cherché à actualiser l’histoire et s’est contenté d’une lecture linéaire avec une scénographie, signée Karine van Hercke, qui a également conçu les costumes, qui a paru « bon marché » pour un festival aussi important que celui d’Innsbruck : un mouton en résine à gauche et un drapeau de pirate à droite définissent les deux mondes, des rondins ou des pierres dessinées sur du carton et une chaise de style Louis XVI sont les seuls éléments de l’unique tableau. Des chaînes ou des monstres peints descendent d’en haut pour définir les différents environnements proposés : paysage boisé avec vue sur le palais d’Oralto au premier acte ; port de mer au deuxième ; refuge fleuri, paysage montagneux accidenté avec l’entrée d’une grande caverne, le palais d’Éole au troisième. Les allées et venues frénétiques des personnages ne constituent pas une idée de mise en scène convaincante, et les costumes fantaisistes des bergers, riches en plumes, satisfont l’œil par leurs couleurs mais ne contribuent pas à définir les personnages, à l’exception d’Oralto, sorte de Jack Sparrow de Pirates des Caraïbes. La « fable pastorale » prend des allures de conte de fées non seulement dans les costumes mais aussi dans la présence d’une licorne blanche ailée et le passage tout aussi incompréhensible d’un personnage féminin en vert qui réapparaît sous les traits de Junon dans le finale.

Une équipe de jeunes interprètes

La précieuse partition est dirigée avec précision par Chiara Cattani, une cheffe ne bénéficiant ni de relations politiques, ni de nominations institutionnelles, mais qui dirige avec compétence et parvient à extraire le meilleur de l’ensemble instrumental Barockorchester:Jung [sic], dont la jeunesse est inscrite dans le nom même ! Précision dans les attaques, tempi et dynamique sont corrects, peut-être sans fioritures particulières, mais l’ équilibre avec les chanteurs est excellent de même que les moments solo des instrumentistes.

Le plus grand pari de cette production était peut-être de confier une œuvre aussi exigeante à de jeunes interprètes certes pleins de bonne volonté, mais avec des résultats pas toujours enthousiasmants. Licori est, avec Morasto, le personnage à qui revient le plus grand nombre de numéros solistes : deux airs consécutifs au premier acte, un au deuxième et un au troisième, lesquels airs ne sont pas particulièrement virtuoses mais intenses : Chelsea Zurflüh, qui a remporté le deuxième prix au concours Cesti de l’année dernière, les aborde avec le style et la sensibilité attendus. La voix est puissante, bien qu’un peu immature, mais la personnalité est déjà là, ainsi que le tempérament. Son aria la plus célèbre, « Alma oppressa da sorte crudele », dans laquelle la musique de Vivaldi atteint une profondeur extrême, bien interprétée par la soprano suisse, est très applaudie. L’autre personnage à qui revient le plus grand nombre d’arias est Morasto, en réalité  Osmino, un berger de Scyros et désormais le lieutenant du pirate. Il est interprété par le contre-ténor tchèque Vojtěch Pelka avec une grande agilité et une présence scénique adéquate. Ses arias sont les plus virtuoses. Un autre contre-ténor incarne Osmino (en réalité Tirsi), également berger à Scyros, un personnage qui n’a qu’un seul air solo au deuxième acte, mais qui est présent dans deux duos, avec Elpina au premier acte et avec Narete au troisième, et dans le quatuor du deuxième : Nicolò Balducci est un chanteur possédant un beau timbre, une grande musicalité et un excellent phrasé et il est peut-être l’interprète le plus convaincant, y compris pour l’articulation claire des mots. Ce n’est certainement pas la plus grande qualité de la jeune basse ukrainienne Yevhen Rakhmanin, lequel possède un instrument vocal généreux, des graves sonores, mais une ligne musicale quelque peu désordonnée et une diction totalement incompréhensible : pour le comprendre, il nous faut lire les sous-titres en allemand – la seule langue présente dans les programmes, soit dit en passant. Dans le rôle de Narete, on attendait le lauréat du concours Cesti 2022, Laurence Kilsby, qui avait enchanté le public et le jury par son interprétation magistrale de l’émouvant air « Deh, ti piega, deh consenti« , un air répébissé à la fin du concert final de l’année dernière et qui avait valu au ténor britannique un premier prix bien mérité. Nous avons finalement entendu un autre ténor britannique, Kieran White : son personnage n’a que deux airs solos, tous deux à l’acte II, plus un duo avec Osmino à l’acte III. Interprète élégant et sensible, sa prestation dans l’air susmentionné qui conclut la première des deux parties de l’opéra a été appréciée, mais on aurait aimé plus de pureté dans la ligne vocale et des sons plus clairs. La mezzo-soprano Eline Welle complétait la distribution vocale, une voix à la couleur agréable et à la bonne musicalité qui se manifestent dans les deux airs solos et dans les deux ensembles où s’exprime son personnage d’Elpina, l’autre nymphe de Scyros.

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Les artistes

Licori : Chelsea Zurflüh
Morasto (Osmino) : Vojtěch Pelka
Osmino (Tirsi) : Nicolò Balducci
Oralto : Yevhen Rakhmanin
Narete : Kieran White
Elpina : Eline Welle

Barockorchester:Jung, dir. Chiara Cattani

Mise en scène et lumières : François de Carpentries
Décors et costumes : Karine Van Hercke

Le programme

La fida ninfa

En 3 actes d’Antonio Vivaldi, livret du marquis Scipione Maffei, créé à Vérone le 6 janvier 1732 (Teatro Filarmonico)

Innsbruck, Haus der Musik, 17 août 2023