Un Béatrice et Bénédict controversé pour la reprise à l’Opéra de Gênes

L’opéra de Gênes, pour sa première production de la nouvelle saison post-covid, présente un spectacle initialement projeté en décembre 2020 à l’Opéra de Lyon, qui avait dû être malheureusement annulé peu avant les représentations, et dont avait été faite seulement une captation vidéo.

L’opéra-comique de Berlioz, peu connu de ce côté des Alpes mais brillant, drôle et musicalement inventif, valait véritablement la peine de cette reprise et il faut en savoir gré à l’Opéra de Gênes, qui prend également le risque, pour la première production de la saison, d’une mise en scène peu conventionnelle. Malheureusement, la proposition de Damiano Michieletto, qui a d’ailleurs essuyé quelques huées lors de la première, pèche par beaucoup d’aspects, notamment la confusion des signes (le personnage de Somarone, interprété par Ivan Thirion, mal dessiné, s’agite par exemple sur la scène, dès l’Ouverture, sans qu’on comprenne bien quel est son rôle véritable) , et une certaine lourdeur symbolique (des papillons articulés qui vont et viennent des cages en verre pour signifier la liberté, Adam et Eve pour signifier l’amour hors des normes et de la religion…). Plus embêtant, certains choix de mise en scène posent en outre des problèmes scéniques et musicaux. Le choix de l’usage des micros de pied pour les récitatifs, au-delà du fait qu’ils créent du statisme et une certaine artificialité de ces moments d’échanges qui devraient, au contraire, être vifs et enlevés, ont le gros inconvénient de provoquer une baisse d’intensité entre les récitatifs et le chant (évidemment non sonorisé), qui renverse la dynamique naturelle de la pièce. Un autre détail, mais toujours irritant : la manie des metteurs en scène à vouloir déshabiller les chanteuses… Si le « striptease » de Hero à l’Acte I peut avoir une fonction scénique (elle ôte ses vêtements de ville pour endosser la robe de mariée), celui de Béatrice à l’Acte II, en proie à la passion, semble en revanche totalement gratuit. Il y a cependant de beaux moments dans le spectacle, notamment le jeu autour de l’accessoire du matelas au premier acte, d’abord vertical, qui chute ensuite à l’horizontale, et finalement coupé en deux, provoquant la scission de la scène en deux parties, pour symboliser la brûlante attraction-répulsion entre les deux protagonistes principaux. Le fameux duo nocturne de Héro et Ursule est également magnifiquement mis en valeur par un décor végétal, tropical et tout en clair-obscur, où aucun élément ne vient distraire de la déambulation onirique des deux chanteuses. Était-il cependant vraiment nécessaire de faire chuter et donc détruire toutes ces plantes, chaque soir, par la bascule spectaculaire de la scène se transformant en cage ? Les dernières scènes sont plus réussies, mettant en exergue l’ironie mordante du livret de Berlioz sur les clichés amoureux et opératiques.

Du point de vue musical, l’orchestre de l’Opéra Carlo Felice se montre à la hauteur de l’œuvre, malgré une direction (assurée par Donato Renzetti ) manquant un peu de dynamisme, et quelques soucis de coordination avec le plateau lors de la première, qui se résoudront probablement lors des soirées suivantes. Comme souvent dans la musique de Berlioz, les vents sont à l’honneur, occasion pour les pupitres de l’orchestre du Carlo Felice de démontrer leur grande virtuosité.

Du côté des chanteurs, beaucoup de talent, en particulier le trio féminin de tête. Cecilia Molinari est une superbe Béatrice, incandescente et légère à la fois, à la diction impeccable, avec de grands qualités scéniques, une voix colorée et égale sur toute la tessiture, et un phrasé toujours expressif et émouvant. Benedetta Torre, à la diction moins précise, gagne cependant en assurance et en puissance au fur et mesure du spectacle ; elle vient à bout très honorablement des périlleuses vocalises de Héro et livre une belle performance, très applaudie. Le mezzo chaud et puissant de Eve-Maud Hubeaux complète ce beau trio, triomphant dans un Nocturne suspendu, délicat et profond. Côté masculin, la partition sert surtout Bénédict, interprété par un Julien Behr au timbre lumineux et puissant, qui donne toute sa mesure dans le grand air « Me marier ? » de l’Acte I, parvenant à contrebalancer le statisme de la mise en scène par sa présence scénique.

Malgré ces défauts, le spectacle parvient malgré tout à émouvoir, en grande partie grâce aux musiciens (orchestre, chœur et plateau de chanteurs) et à la dimension technique (lumières, effets de plateau). Gageons que le choix de cette production, polémique mais de qualité, signe un renouveau dans la ligne artistique de l’Opéra Carlo Felice, et augure des spectacles novateurs pour la saison à venir.

https://www.youtube.com/watch?v=lLjuGJTOWJU

Béatrice et Bénédict à l’Opéra de Lyon dans la mise en scène de Daminano Michieletto

Les artistes

Béatrice: Cecilia Molinari
Benedict : Julien Behr
Hero: Benedetta Torre
Claudio : Yoann Dubruque
Ursule : Eve-Maud Hubeaux
Somarone : Ivan Thirion

Orchestre et chœurs de l’Opéra Carlo Felice, dir. Donato Renzetti

Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca
Chorégraphie :Chiara Vecchi
Lumières : Alessandro Carletti

Le programme

Béatrice et Bénédict

Opéra-comique en deux actes, livret du compositeur (d’après Shakespeare), créé le 9 août 1862 à Baden-Baden.

Représentation du 28 octobre 2022, Opéra Carlo Felice de Gênes.