Ouverture de la saison avignonnaise avec un ROSENKAVALIER de très belle tenue
Après Peter Grimes donné en ouverture de la saison dernière, c’est au tour cette année du Rosenkavalier de Richard Strauss de faire son entrée au répertoire de l’Opéra Grand Avignon. En coproduction avec le Theater Trier, le spectacle signé par Jean-Claude Berutti et déjà monté à Trèves entre mai et juillet de cette année, est proposé aux spectateurs avignonnais pour deux représentations. Force est de constater malheureusement en ce vendredi soir que le titre ne fait pas salle pleine – phénomène récurrent dans ce théâtre dès qu’on s’éloigne des éternelles Carmen, Traviata ou Tosca… –, c’est bien dommage car le dicton à propos des absents qui ont « toujours tort » est bien confirmé à l’issue de cette belle soirée d’opéra.
Assez éloignée d’un Regietheater omniprésent ces dernières années, la réalisation visuelle de Jean-Claude Berutti est de facture classique et permet un déroulé fluide de la straussienne conversation en musique. La scénographie de Rudy Sabounghi, surtout fonctionnelle, ne fait pas dans le luxe pour la chambre de la Maréchale au premier acte, ni chez Faninal au suivant, le dernier acte à l’auberge nous montrant les décors de hautes cloisons vus par l’arrière. À part de petites retouches du livret, comme le coiffeur Hippolyte joué par une femme ou encore le garçon noir Mohammed remplacé ce soir par une petite fille blanche, l’élément le plus marquant est la projection d’extraits d’un film en noir et blanc. On voit donc sur le tulle en avant-scène, ainsi que sur la paroi en fond de plateau, des images tirées du film muet Le Chevalier à la rose, réalisé par Robert Wiene en 1925, réalisateur davantage connu pour Le Cabinet du Docteur Caligari (1920). Les courtes séquences, parfois visionnées au ralenti ou à rebours, doublent ainsi l’action en cours sur scène, l’œil étant – comme souvent ! – irrémédiablement attiré par l’image.
Mais le premier triomphateur de la soirée, et maître d’œuvre principal de la réussite d’ensemble, est le chef Jochem Hochstenbach, garant de la coordination entre fosse et plateau, ainsi que de la qualité musicale. Le chef néerlandais était certes au pupitre du Theater Trier il y a quelques mois pour le même ouvrage (il y est d’ailleurs directeur musical), mais on imagine l’important travail de préparation pour amener l’Orchestre national Avignon-Provence à un tel niveau de compétence, dans un opéra qui est loin de se situer dans son ADN. S’il faut un petit moment à l’entame pour mettre en place un joli fondu orchestral – les cuivres prenant le dessus avec d’infimes décalages –, l’élégance, voire l’aristocratie viennoise du son s’installe vite, sans se relâcher jusqu’au rideau final. Les cordes sonnent en particulier avec un beau moelleux, les bois sont expressifs et les passages rythmiquement difficiles, comme par exemple le début du III à l’auberge, sont passés sans encombre.
Des trois rôles féminins principaux, c’est l’Octavian de Hanna Larissa Naujoks qui impressionne le plus. Appelée moins d’une semaine avant cette première pour remplacer Violette Polchi initialement programmée, la mezzo allemande possède sans problème le format vocal du rôle : timbre séduisant et chaud, instrument de qualité homogène sur l’étendue et projection vocale vigoureuse lorsqu’il le faut. Déjà titulaire à Trèves, la Maréchale de Tineke Van Ingelgem se montre moins égale avec un bas médium peu sonore, pour lequel il faut par moments tendre l’oreille pour saisir le texte, alors que le registre aigu sonne bien plus épanoui. Plus qu’une aristocrate appartenant à la haute société, cette Maréchale est avant tout une femme d’un plus grand naturel, qui aime et souffre du temps qui passe, la fin mélancolique du premier acte convoyant sa dose d’émotion quand la soprano s’exprime sur un fin tissu orchestral.
L’autre soprano Sheva Tehoval a toutes les notes du rôle de Sophie, même s’il lui faut un tout petit temps pour atteindre avec la juste intonation les aigus les plus stratosphériques de sa partie. On retrouve ce court moment de petite faiblesse à la toute fin de l’opéra, sur les dernières notes en compagnie d’Octavian, mais l’ensemble de ses autres prestations, également en duos ou au cours du sublime trio avant la conclusion, donnent l’occasion à la voix de se déployer avec sérénité et musicalité.
Doté de graves abyssaux, le baron Ochs de Mischa Schelomianski est lubrique à souhait, tout en sachant ne pas en faire trop scéniquement. Mis à part deux ou trois aigus décolorés, aucune réserve n’est à formuler et on apprécie en particulier la dynamique qu’il met en œuvre pour débiter son texte. Le baryton Jean-Marc Salzmann (Herr von Faninal) est également solidement timbré, la puissance de Kresimir Spicer (Valzacchi) impressionne dans ses courtes interventions et l’autre ténor Carlos Natale conduit avec délicatesse l’air du chanteur italien « Di rigori armato il seno », oasis de bel canto dans cet océan de conversation allemande ! Faisant équipe avec Valzacchi comme deux paparazzi, appareil photo en bandoulière pour l’un et micro dans la main de l’autre, l’Annina d’Hélène Bernardy développe aussi un fort volume sonore, accompagné d’un vibrato qui colle bien au personnage, tandis que Diana Axentii (Marianne) fait entendre un joli son concentré. Olivier Trommenschlager et Jean-François Baron complètent la distribution dans des rôles plus secondaires, cependant que le chœur et la maîtrise de l’Opéra Grand Avignon soignent leurs interventions.
Die Feldmarschallin : Tineke Van Ingelgem
Der Baron Ochs auf Lerchenau : Mischa Scheliomanksi
Octavian : Hanna Larissa Naujoks
Herr von Faninal : Jean-Marc Salzmann
Sophie : Sheva Tehoval
Marianne : Diana Axentii
Valzacchi : Kresimir Spicer
Annina : Hélène Bernardy
Der Haushofmeister der Marshallin / bei Faninal Ein Wirt : Olivier Trommenschlager
Ein Sänger : Carlos Natale
Ein Polizeikommissar : Jean-François Baron
Orchestre national Avignon-Provence, Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, dir. Jochem Hochstenbach
Mise en scène : Jean-Claude Berutti
Scénographie : Rudy Sabounghi
Costumes : Jeanny Kratochwil
Lumières : Christophe Forey
Der Rosenkavalier
Opéra en trois actes de Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannsthal d’après Les Amours du chevalier de Faublas de Jean-Baptiste Louvet « de Couvray », créé au Königliches Opernhaus de Dresde le 26 janvier 1911.
Représentation du vendredi 7 octobre 2022, Opéra Grand Avignon.