La Force du destin au Festival Verdi de Parme : « Alvaro, io t’amo ! »

Très beau succès pour cette Forza del destino parmesane, où Gregory Kunde remporte un nouveau triomphe.

Des quatre opéras présentés à Parme cette année, La Forza del destino était particulièrement attendue par les admirateurs de Gregory Kunde, impatients de retrouver le chanteur dans un des emplois de ténor lyrique ou lirico-spinto qui sont désormais les siens. Le public n’a pas été déçu par la prestation du ténor américain qui, après presque 45 ans[1] d’une carrière qui l’a conduit du bel canto rossinien ou du romantisme français au Calaf de Puccini et à l’Otello de Verdi, a conservé une santé vocale réellement bluffante ! Il serait malvenu de s’arrêter sur un soutien vocal un peu moins ferme qu’autrefois, ou quelques notes un peu « grises » entendues ici ou là : la fougue de l’interprétation, la probité d’un chant encore étonnamment maîtrisé, l’endurance dont le chanteur fait preuve (dans un rôle certes moins brillant que ceux de Manrico ou Riccardo, mais long et exigeant) forcent l’admiration ; et par les salves d’applaudissements qui couronnent l’air du 3e acte ou qui accueillent Gregory Kunde au rideau final, les spectateurs semblent crier au ténor américain, à l’unisson de Leonora : « Alvaro, io t’amo ! ».

Autour de Kunde gravite une fort belle distribution, où brille avant tout le Carlo d’Amartuvshin Enkhbat, lui aussi salué par des applaudissements frénétiques. La voix du baryton mongol, un étonnant mélange de force et de douceur, se déploie sans aucun accroc sur toute la tessiture et se projette dans la salle du Teatro Regio avec une facilité déconcertante, le chanteur ne faisant qu’une bouchée de son « Urna fatale » du III ou de ses duos avec Alvaro. La ligne de chant est par ailleurs constamment soignée et l’interprète fait preuve d’un engagement scénique plus important qu’à l’accoutumée : Amartuvshin Enkhbat confirme ainsi la place de premier plan qu’il occupe aujourd’hui chez les barytons verdiens. Liudmyla Monastyrska est une très belle Leonora, qui fort heureusement, ne se contente pas de faire étalage de ses (très) grands moyens : si la voix est ample et puissante, elle est aussi capable de beaux allègements lui permettant de respecter le cantabile de certaines pages (« Deh, non m’abbandonar », et, plus encore, « La Vergine degli Angeli ») et de ne pas crier certains aigus (le « Invan la pace » de son dernier air, sans être pianissimo, est émis en douceur et sans rupture de la ligne de chant). Tout au plus repère-t-on certaines tensions dans l’aigu dans le duo avec le père supérieur (acte II), mais n’est-ce pas également le cas avec (presque) toutes les Leonora ?…

Des rôles de second plan se distinguent le Père supérieur inhabituellement jeune de silhouette et de voix de Marko Mimica, au chant noble et assuré, le Melitone de Roberto de Candia, dont la verve comique ne s’exerce jamais au détriment de la qualité du chant, la Preziosilla (très applaudie) d’Annalisa Stroppa, pleine d’entrain et au chant dénué de vulgarité (ce qui n’est pas toujours le cas dans ce rôle où l’on peut être tenté d’en faire beaucoup…), le Trabucco efficace d’Andrea Giovanni et le chirurgien d’Andrea Pellegrini qui, en quelques répliques seulement, parvient à attirer l’attention de l’auditeur…

Après une entrée ratée (les « Holà ! » qui ouvrent le deuxième acte), les chœurs du Teatro Comunale de Bologne atteignent le même (très bon) niveau que celui de l’orchestre (lui aussi issu de l’Opéra bolognais), sous la direction remarquable de Roberto Abbado : précise et ciselée – mais sans maniérisme –, lyrique et dramatique – mais sans jamais verser dans l’impétuosité excessive –, elle sait aussi se faire plus légère dans les moments de comédie. Le chef italien remporte à l’issue du spectacle un très grand succès, amplement mérité.

La mise en scène de Yannis Kokkos, enfin, se regarde sans heurter la musique, ce qui est finalement assez reposant… Elle se déploie dans des décors sobres et stylisés, assez réussis aux deux premiers actes, un peu moins aux deux derniers, mais pêche par un manque d’imagination (le jeu d’acteurs est on ne peut plus conventionnel), et l’absence d’une véritable ligne directrice qui parviendrait à donner une cohérence et une impression de suivi et de progression à une intrigue passablement décousue, encore plus difficile, selon nous, à rendre crédible et dramatiquement efficace que celle du Trouvère… Cela ne gâte en rien le succès d’une belle soirée d’opéra, chaleureusement applaudie par les spectateurs.

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[1] Ses débuts (en Cassio à l’Opéra de Chicago) remontent à 1978.

Les artistes

Leonora : Liudmyla Monastyrska
Don Alvaro : Gregory Kunde
Don Carlo di Varga : Amartuvshin Enkhbat
Padre guardiano : Marko Micica
Fra’ Melitone : Roberto de Candia
Preziosilla : Annalisa Stroppa
Mastro Trabuco : Andrea Giovannini
Il Marchese di Calatrava : Marco Spotti
Curra : Natalia Gavrilan
Un alcade : Jacobo Ochoa
Un chirurgo : Andrea Pellegrini

Orchestra e coro del Teatro Comunale di Bologna, dir. Roberto Abbado 
Chef de chœur : Gea Garatti Ansini
Mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos
Drammaturgie : Anne Blancard
Lumières : Giuseppe di Iorio
Chorégraphie : Marta Bevilacqua
Vidéo : Sergio Metalli

Le programme

La Forza del destino (La Force du destin)

Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après  Alvaro o la forza del destino d’Ángel de Saavedra, créé le 10 novembre 1862 au Théâtre impérial Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg (version définitive : 27 février 1869, Teatro alla Scala, Milan)

Festival Verdi de Parme, Teatro Regio di Parma, Représentation du samedi 1er octobre 2022