Il Xerse de Cavalli au Festival della Valle d’Itria

Ce n’est pas le Serse de Handel que propose le Festival della Valle d’Itria, mais la version plus rare composée par Cavalli au XVIIe siècle. Un spectacle un peu inégal, bien accueilli par le public.

La promenade à travers les siècles proposée par Sebastian Schwarz, directeur artistique du Festival della Valle d’Itria, nous ramène cette fois-ci au XVIIe siècle, le siècle qui a vu naître l’opéra, avec l’un des plus grands compositeurs de cette époque, et sans doute le plus populaire, Francesco Cavalli.

Il Xerse, drame musical en un prologue et trois actes sur un livret de Nicolò Minato librement inspiré du livre 7 des Histoires d’Hérodote, se situe exactement au milieu de la production opératique de Cavalli (il s’agit de son vingt-et-unième opéra). Comme presque tous les autres, il a été joué à Venise, au théâtre de Ss. Giovanni e Paolo, le 12 janvier 1655. L’histoire en est extrêmement compliquée : elle se concentre sur des histoires d’amour complexes, des intrigues de cour et des déguisements, qui voient se croiser deux couples (le roi Xerxès et Amastre ; le frère de Xerxès Arsamène et Romilda), la sœur de Romilda (Adelanta), leur père (Ariodate), un eunuque (Eumène), un précepteur (Aristone), un ambassadeur (Periarco), un page (Clito), un serviteur (Elviro) et deux magiciens (Sesostre et Scitalce).

La personnalité un peu particulière du monarque, qui s’est épris d’un platane, l’a couvert d’ornements en or et a fait « fouetter » et « marquer au fer rouge » les eaux de l’Hellespont pour avoir détruit le ponton qu’il avait fait construire pour relier l’Europe et l’Asie, se manifeste ici dans le caractère très changeant de ses sentiments, de brusques accès de colère alternant avec des moments de tristesse abyssale. Le livret de Nicolò Minato, qui avait déjà écrit L’Orimonte pour Cavalli cinq ans plus tôt et en écrira six autres par la suite, a été réadapté en 1694 par Silvio Stampiglia pour l’opéra de Giovanni Bononcini, puis de nouveau modifié (le nombre de personnages ayant été diminué) par un auteur anonyme et mis en musique par Georg Friedrich Händel en 1738 pour son Serse. L’œuvre de Cavalli a connu un grand succès à son époque, à tel point qu’elle fut choisie pour les célébrations du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne en 1660 à Paris.

Le Xerse de Cavalli commence par l’aria « Ombra mai fu », qui, dans la version de Händel, fut l’une des rares pages du XVIIIe siècle à acquérir une très grande popularité (avec l’inévitable version pour orgue utilisée lors des célébrations de mariages !). S’ensuit une série de très longs récitatifs mais des arias peu nombreux, bien que mémorables, comme la complainte de Xerse « Lasciatemi morire stelle spietate ». C’est précisément pour cette raison que dans les récitatifs, la plus grande attention doit être accordée aux mots. Malheureusement, ils sont ici exécutés très rapidement et les interprètes (dont certains ne sont pas italophones) ne soignent pas particulièrement leur diction… Francesco Maria Sardelli dirige un Orchestra Barocca Modo Antiquo pas toujours parfaitement cadré et dont certains instruments, comme le cornet, prédominent dans l’équilibre phonique. L’opéra fait l’objet de coupures à de nombreux endroits – les spectateurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux du XVIIe siècle et ne disposent pas des mêmes libertés et facilités qu’à cette époque-là – et le choix des tempi, toujours assez rapides, porte la représentation à trois heures et demie avec deux entractes.

Le ton semi-comique de cette intrigue complexe (qui n’est d’ailleurs peut-être pas exactement celui voulu par les auteurs…) est renforcé par la mise en scène de Leo Muscato, originaire de Martina Franca, qui pare le « dramma per musica » des tons de la commedia dell’arte, avec un jeu d’acteurs typique et des costumes, signés Giovanna Fiorentini, caricaturaux, comme celui dans le style Bollywood du personnage éponyme, la poupée de chiffon de Romilda, le pyjama avec tutus de l’Amore grassouillet, etc. Pour les innombrables apartés, indiqués entre parenthèses dans le livret, le réalisateur choisit de figer les autres personnages en stop motion d’un claquement de mains, ce qui donne très vite lieu à un gimmick extrêmement agaçant et devient l’objet favori des discussions du public pendant les entractes : ce n’était sans doute pas là l’effet escompté… La scénographie d’Andrea Belli, éclairée par les lumières d’Alessandro Carletti, nous plonge dans l’univers du conte de fées, avec notamment la vision d’une ville orientale qui pourrait figurer dans un livre d’images pour enfants. Le seul élément scénique supplémentaire consiste en une série de lanternes qui se balancent depuis les cintres.

La distribution est inégale. Le Xerse de Carlo Vistoli est excellent : les deux arias susmentionnées sont un exemple de phrasé et d’expressivité rendus par un timbre velouté et une ligne vocale très souple. Du reste de la distribution se distingue  l’Arsamene de Gaia Petrone, pourvue d’une grande personnalité scénique et d’un chant très sûr. En revanche, l’intonation de Carolina Lippo (Romilda) est incertaine, et l’Ariodate de Carlo Allemano excessivement maniéré. L’Adelanta de Dioklea Hoxha nous a paru un peu tapageuse et l’Elviro d’Aco Bišćević trop chargé… Le public accueille le spectacle par de chaleureux applaudissements – et des ovations pour Vistoli et Sardelli.  

Pour lire la version originale de cet article (italien), cliquez sur le drapeau !



Les artistes

Xerse Carlo Vistoli
Amastre Ekaterina Protsenko
Arsamene Gaia Petrone
Romilda Carolina Lippo
Adelanta Dioklea Hoxha
Ariodate Carlo Allemano
Aristone Nicolò Donini
Periarco Nicolò Balducci
Elviro Aco Bišcevic
Cupido Mario Fumarola
Le guardie Greta Corrente, Flavia Grazia Giuliani, Alessia Martino, Angelica Massafra

Orchestra Barocca Modo Antiquo, dir. Federico Maria Sardelli
Mise en scène Leo Muscato
Décors Andrea Belli
Costumes Giovanna Fiorentini
Lumières Alessandro Carletti 

Le programme

Il Xerse

Dramma per musica en un prologue et trois actes de Francesco Cavalli, livret de Nicolò Minato, créé à Venise, Teatro SS. Giovanni e Paolo, le 12 janvier 1655.
Édition Bärenreiter établie par Sara Elisa Stangalino et Hendrik Schulze.
Première représentation de la nouvelle édition critique.
Festival della Valle d’Itria, Martina Franca (Cortile Palazzo Ducale), représentation du lundi 25 juillet 2022.