À Bruxelles, Les Huguenots plus forts que la Covid !

Malgré des répétitions fortement perturbées par l’apparition de cas de Covid, cette reprise des Huguenots vus par Olivier Py est une belle réussite et remporte un franc succès. 

Reprise compliquée pour ces Huguenots vus par Olivier Py, dont la création avait eu lieu en ces lieux-mêmes en 2011 (et qui avaient été repris peu après à l’Opéra du Rhin) : la Covid, qui semble hélas faire un retour remarqué sur les scènes lyriques (voyez notre compte rendu de l’Ariane à Naxos florentine) a très fortement perturbé les répétitions de ces représentations, au point que la première de dimanche dernier a dû être annulée, et que le spectacle du mercredi 15 juin a été proposé au public sans qu’il y ait eu ni pré-générale, ni générale ! De fait, les artistes se retrouvaient sur scène pour la première fois après une séparation… de sept jours. Dans ces conditions, la qualité du résultat d’ensemble, au-delà de quelques petits problèmes observés ici ou là, tient du prodige : la prestation musicale (chœurs et orchestre) éblouit, tout est parfaitement en place, y compris les difficiles ensembles et les grandes masses chorales, preuve du degré de professionnalisme atteint par les équipes de la Monnaie – mais aussi de l’excellent travail d’Evelino Pidò qui parvient à conférer à l’œuvre sa noirceur tragique sans jamais sombrer dans la grandiloquence menaçant parfois de poindre ici ou là…

La mise en scène d’Oliver Py est bien connue, elle compte parmi celles qui ont été globalement plutôt bien accueillies par la critique. Au-delà des procédés chers au metteur en scène français (spots lumineux éblouissant les spectateurs, prédominance des tons noirs et gris, façades mobiles du décor, importance accordée à la sexualité et à la nudité, etc. : ses « tics », diront ses détracteurs ; sa « patte », selon ses admirateurs), on ne peut qu’apprécier la beauté de la scénographie (les décors sont signés Pierre-André Weitz), la puissance visuelle de certains tableaux (la bénédiction des poignards, le saisissant massacre final), l’habileté à rendre le propos universel : aux costumes renaissants sont ainsi mêlés des habits XIXe ou contemporains, aux épées viennent s’ajouter quelques fusils d’assaut, jusque dans les mains de l’évêque qui brandit l’arme glorieusement au-dessus de sa tète lors de la bénédiction. Ce geste, loin d’être une exagération ou une caricature anti-cléricale, rappelle avec force l’inexplicable mais récurrente compromission des religions avec la guerre, au fil des siècles passés mais pas seulement : impossible, en voyant cette scène de ne pas penser à certain patriarche russe appelant à la guerre sainte en bénissant les missiles destinés à détruire l’Ukraine… Un seul acte déçoit vraiment : celui de Chenonceau, où les relations entre Marguerite et Raoul prennent une dimension sexuelle parfaitement hors de propos. Certes, la Reine et Raoul de Nangis ne sont pas insensibles l’un à l’autre, et la trivialité assez incongrue du motif musical chanté par la Reine (« Ah ! Si j’étais coquette ! ») peut autoriser un « rapprochement » physique entre les deux personnages. De là à ce que Marguerite se fasse joyeusement trousser dans son bassin rempli d’eau par le gentilhomme protestant qu’elle tente de séduire au nom de Valentine, il n’y a qu’un pas… que le metteur en scène franchit avec pour conséquence de transformer ce qui pouvait être une idée en simple provocation potache [1].

La distribution réunie par la Monnaie est globalement de grande qualité, et la performance des chanteurs est d’autant plus méritante qu’il s’agissait pour tous – ou presque – de prises de rôles ! Il faut, pour que l’œuvre « tienne » dramatiquement, une solide équipe de seconds rôles, capables de donner tout leur poids aux figures catholiques et protestantes qui gravitent autour des personnages principaux. C’est ici le cas, avec notamment un De Retz (Yoann Dubruque) vaillant et un Maxime Melnik qui tire efficacement son épingle du jeu dans les interventions de Bois-Rosé. Alexandre Vinogradov possède la noirceur nécessaire à la chanson huguenote du premier acte, mais aussi la noblesse et l’humanité qui sont celles du personnage dans son choral du III et dans sa relation protectrice envers Raoul. Le français, en revanche, reste perfectible. Vittorio Prato est quant à lui parfaitement compréhensible. Très à l’aise vocalement, il incarne un Nevers extrêmement crédible, aussi bien dans l’orgie du premier acte que dans son refus de participer au massacre final. Le timbre fruité et la ligne de chant ciselée d’Ambroisine Bré séduisent dans le rôle du Page Urbain, et Nicolas Cavallier possède toute la noblesse mais aussi l’autorité du vieux Comte de Saint-Bris. La Marguerite de Lenneke Ruiten a été très bien accueillie par le public : toutes les notes sont là, la ligne de chant est soignée, mais le timbre nous a semblé manquer légèrement de séduction et le suraigu est un peu dur… Enea Scala aborde avec vaillance le rôle difficile de Raoul, long et dont l’écriture est assez tendue. Il en privilégie le côté héroïque et réussit particulièrement le difficile air du Ve acte « À la lueur de leurs torches funèbres », dont l’éclat rappelle de très près celui du chant d’Arnold au IVe acte de Guillaume Tell. Enfin Karine Deshayes triomphe : la tessiture de Valentine correspond parfaitement à ses moyens actuels : elle s’y promène avec aisance et naturel, ce qui lui permet de soigner tout particulièrement la diction et les nuances, avec au total un portrait très touchant – parce que très bien incarné vocalement et scéniquement – de la fille du Comte de Saint-Bris. Une superbe prise de rôle !

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[1] Quant aux vocalises et aigus atteints par la Reine au moment ou Raoul lui prodigue certaines caresses buccales, le procédé paraissait déjà complètement éculé il y a dix ans : je vous laisse deviner l’effet produit par cette scène aujourd’hui…

Les artistes

Marguerite de Valois : Lenneke Ruiten
Valentine : Karine Deshayes
Urbain : Ambroisine Bré
Raoul de Nangis : Enea Scala
Comte de Saint-Bris : Nicolas Cavallier
Comte de Nevers : Vittorio Prato
De Retz : Yoann Dubruque
Marcel : Alexander Vinogradov
Cossé : Pierre Derhet
Tavannes : Valentin Thill
Thoré : Patrick Bolleire
Méru : Jean-Luc Ballestra
Dame d’honneur : Blandine Coulon
Bohémienne : Fiorella Hincapie
Une coryphée & Bohémienne : Margaux de Valensart
Maurevert & 3e moine : Luca dall’Amico
Bois-Rosé & 1er moine : Maxime Melnik
Un moine : Emmanuel Junk
Un valet : Alain-Pierre Wingelinckx
Deux jeunes filles catholiques : Alessia Thais Berardi, Marta Beretta
Un archer du guet : René Latyea
Un étudiant catholique : Alain-Pierre Wingelinckx
Trois coryphées : Alain-Pierre Wingelinckx, Pascal Macou, Emmanuel Junk

Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, dir. Evelino Pidò
Chef des chœurs : Emmanuel Trenque
Académie des chœurs de la Monnaie, dir. Benoît Giaux
Mise en scène : Olivier Py
Reprise de la mise en scène & Chorégraphie : Daniel Izzo
Décors & costumes : Pierre-André Weitz
Éclairages : Bertrand Killy

Le programme

Les Huguenots

Opéra en cinq actes et trois tableaux de Giacomo Meyerbeer, livret d’Eugène Scribe et Émile Deschamps, créé en 1836 à Paris
Bruxelles, Théâtre de La Monnaie, représentation du mercredi 15 juin 2022