Idomeneo à l’essentiel à Avignon

Si Idomeneo n’a pas sur les scènes la fortune de la trilogie Da Ponte ou de la Flûte enchantée, il est cependant heureux que les salles tendent, ces dernières années, à lui redonner une place plus significative dans les programmations. Et cette saison se révèle fertile, avec pas moins de deux productions en deux mois. Après Metz, l’Opéra Grand Avignon propose une nouvelle mise en scène confiée à Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, en résidence dans la maison vauclusienne pour deux saisons, et que l’on connaît – surtout pour le second – pour avoir longuement collaboré avec Romeo Castellucci. Le duo partage avec l’homme de théâtre italien cette sollicitation des arts plastiques pour façonner la narration et l’évocation dramatiques. De fait, les deux complices signent décors et costumes, rehaussés par les lumières tamisées de Giacomo Gorini, lesquelles n’interdisent pas cependant la lisibilité visuelle du plateau, avec quelques éléments vidéographiques ajoutés par Simone Rovellini.

L’argument de l’opéra de Mozart, dans lequel, au-delà de l’ancrage dans l’Antiquité hellénique, affleurent des motifs centraux chez le compositeur autrichien – en germe dans Lucio Silla déjà et qui trouvent un accomplissement ultime dans la Clemenza di Tito, tels la relation père-fils, le gouvernement par la bienveillance, l’importance du pardon – affirme une économie parfois délicate à traduire dans une véritable tension dramaturgique. La présente lecture a choisi de s’appuyer sur un remodelage permanent d’éléments scénographiques signifiants, avec un sens certain de la direction d’acteurs. Ainsi, la soirée s’ouvre sur un cercle symbolique, au centre duquel trône un canon rotatif autour d’un parterre de boulets : Ilia, Troyenne, reste en marge ennemie de cette enceinte grecque menée par Idamante. Si Idomeneo émerge des langes d’un tombeau, revenant d’une mort que l’on croyait certaine, la fureur divine à la fin du deuxième acte est condensée par l’image d’un volcan. Le tumulus éteint de ce cône sera le puits dans lequel plongera Idamante pour affronter le monstre, et dont ressortira un sac de toile percé par le roi. L’adversaire aura été vaincu. S’il n’explore sans doute pas de ressources inédites de l’ouvrage, le spectacle se signale par une appréciable cohérence.

Dans le rôle-titre, Jonathan Boyd assume un engagement certain. Sans renoncer à une intégrité mature du timbre et de la technique, il sait les subordonner à l’intelligence et l’intensité de l’expression. En Idamante, Albane Carrère se distingue par une homogénéité idéalement androgyne sans négliger par trop de placidité les tourments du personnage. Une semblable vie dans l’incarnation se retrouve dans l’Ilia de Chiara Skereth, au babil frémissant de sensibilité et de fraîche sincérité. Serenad Uyar, que l’on avait déjà applaudie à Metz, contraste par un timbre  plus sombre et une virtuosité caractérisant la vindicte désespérée de l’héroïne tragique, aux confins de la folie.

Principale victime des coupures dans la partition – on regrette entre autres l’absence de l’arioso accompagnato du troisième acte – l’Arbace d’Antonio Mandrillo ne démérite aucunement dans la position du confident royal enseigne de la paix avec le drapeau blanc en image finale, comme reddition des superstitions face à la Raison. On saluera le Grand Prêtre de Neptune bien projeté de Yoann Le Lan, ainsi que la puissance robuste de Wojtek Smilek dans l’intervention de la Voix, sans oublier les interventions des chœurs préparés par Aurore Marchand, et dont se détachent les apparitions de deux Crétoises – Ninon Massery et Clelia Moreau –  et deux Troyens – Julien Desplantes et Augusto Garcia. Il est heureux que les apparitions secondaires ne soient pas sacrifiées, contribuant à la consistance du plateau.

Dans la fosse, Debora Waldman fait respirer la vitalité et les couleurs dramatiques de la partition, par-delà quelques menues fragilités dans les pupitres d’un Orchestre national Avignon-Provence investi comme on ne l’avait pas entendu depuis un certain temps. Quant au continuo de Frédéric Rouillon, au clavecin, là où d’aucuns préféreraient les demi-teintes du pianoforte, il privilégie une efficacité qui ne prend pas le risque de variations bavardes. En somme, l’essentiel d’Idomeneo, qui a l’avantage d’une durée plus ramassée, propice peut-être à réconcilier le public avec une œuvre qui le mériterait.

Opéra Grand Avignon

Les artistes

Idomeneo Jonathan Boyd
Idamante Albane Carrère
Ilia Chiara Skerath
Elettra Serenad Uyar
Arbace Antonio Mandrillo
Gran Sacerdote di Nettuno (Grand prêtre de Neptune) Yoann Le Lan
La Voce (La Voix) Wojtek Smilek
Due Cretese (Deux Crétoises) Ninon Massery / Clelia Moreau 
Due Troiani (Deux Troyens) Julien Desplantes / Augusto Garcia 

Chœur de l’Opéra Grand Avignon – Direction : Aurore Marchand
Orchestre National Avignon-Provence

Direction musicale Debora Waldman

Mise en scène  Sandra Pocceschi et Giacomo Strada
Collaboratrice aux costumes Sofia Vannini
Assistante à la mise en scène Héloïse Sérazin
Lumières Giacomo Gorini
Vidéaste Simone Rovellini

Le programme

Idomeneo, re di Creta
Dramma per musica en trois actes, K 366, de Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
Livret de Giovanni Battista Varesco d’après ‘Idoménée’ d’Antoine Danchet
Création à Munich, Residenztheater, 29 janvier 1781

Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon 

Opéra Grand Avignon, France
Représentation du vendredi 25 mars 2022, 20h30