Naples : Anna Netrebko offre son Aida au San Carlo

Anna Netrebko en pietà verdienne

Cette production signée Mauro Bolignini voit les débuts au San Carlo d’Anna Netrebko, qui chante ce soir sans son époux, indisposé…

Les rapports entre Verdi et la cité parthénopéenne n’ont pas été de tout repos. Songeons au Bal masqué (1859) que le compositeur, pressé par la censure des Bourbon, doit remanier. En 1870, Verdi décline le poste de directeur du Conservatoire, vacant depuis la mort de Saverio Mercadante. Les derniers séjours du Maître dans la capitale du Mezzogiorno voient se succéder Don Carlos en 1871, remanié en 1872, puis Aida en 1873. Après la création au Caire puis la première milanaise, les répétitions napolitaines sont mouvementées. Verdi compte cependant sur l’orchestre du San Carlo, qu’il juge supérieur à celui de la Scala, comme le rappelle le musicologue Diko Fabris dans le programme de salle.

Aujourd’hui, le temps est révolu où des regards condescendants réduisaient Don Carlos au rôle d’antichambre d’Aida. La série de représentations donnée ces jours-ci au San Carlo de Naples a néanmoins le mérite de souligner à quel point cette œuvre célèbre les noces du grand opéra et du melodramma italien. La direction énergique de Michelangelo Mazza, servie par une distribution aussi équilibrée que convaincante – cependant dominée par l’incomparable Anna Netrebko – emporte l’enthousiasme d’une salle avide de grand spectacle, comme en témoigne le succès attendu de la marche triomphale lors du finale de l’acte II. Et l’on ne peut guère reprocher au chef de donner au public napolitain ce qu’il attend.

Péplum or not péplum ?

On ne dira jamais assez tout le mal que le festival des Arènes de Vérone a fait à une œuvre trop souvent réduite à son héroïsme guerrier et aux marches triomphales, visuellement transformée en un péplum où ne manquent que Liz Taylor et Richard Burton. On regrette ainsi que la mise en scène de Mauro Bolignini, décédé en 2001, reprise par le Vénitien Bepi Morassi, peine à prendre un parti tranché : du péplum, il y en a, certes : costumes (Aldo Buti), sphinx et autres éléments de décor en témoignent. L’ensemble paraît pondéré par une tentative de stylisation. La scène est organisée en deux niveaux à la manière d’une tribune de stade. Cependant, en n’optant ni pour le kitsch assumé – façon Metropolitan Opera –, ni pour une véritable stylisation à la manière d’un Bob Wilson, Mauro Bolignini ne nous emmène nulle part.

Concédons que le défi est immense : comment gérer scéniquement les masses chorales, des prêtres et prêtresses aux guerriers, auxquelles il faut intégrer les ballets ? La séparation de la scène en deux plans a le mérite de mettre en valeur les solistes et d’établir un dialogue réussi entre ceux-ci et les chœurs. Les danses sont certes convenues, mais comment faire autrement ? Et les pas du corps de ballet sont particulièrement réussis lors de la danse des esclaves maures (chorégraphie de Giovanni Di Cicco).

Lors des actes III et IV, l’œuvre se dépouille de sa théâtralité monumentale, ce que la vision de Mauro Bolignini souligne bien. Un bleu profond éclaire le mur de scène (lumières de Fabio Barettin) alors que sonne l’heure de vérité pour chacun des protagonistes. Le drame se manifeste aussi par une tension permanente où les arie paraissent des excroissances des récitatifs. Voilà une Aida plus dramatique que lyrique, comme en témoigne la romance tant attendue « O patria mia » : Anna Netrebko entonne moins une prière qu’elle ne pousse un cri déchirant. Et si le spectateur songe en bien des passages, duos ou ensembles, à Don Carlos, il entend surtout un chant qui se rapproche à bien des égards de celui d’Otello.

Requiem pour Aida

Pour qui connaît la splendide version enregistrée au disque avec Anja Harteros et Jonas Kauffmann, l’interprétation de ce soir témoigne de partis-pris fort différents et non moins légitimes. Dès la première scène, Stefano La Colla, qui remplace au pied levé Yusif Eyvazov, souffrant, pose l’ambiance : sa voix chaude et puissante de ténor impose un Radamès héroïque et guerrier face à une Anna Netrebko dont le timbre s’assombrit pour camper la victime expiatoire de l’œuvre. Notons également la performance du baryton Franco Vassallo qui incarne un inflexible Amonasro, imposant à sa fille un choix terrible. Les autres solistes ne déméritent pas, qu’il s’agisse du roi de la basse Mattia Denti, ou encore du grand-prêtre du baryton Nicolas Testé, qui forment un duo fort dramatique lors du finale de l’acte I.

Voilà pour finir une interprétation qui, de bien des manières, fait songer à la Messa da Requiem, que Verdi compose trois ans plus tard. Les chœurs, préparés par José Luis Basso, sont d’une grande beauté. Tantôt portés par l’orchestre, tantôt dialoguant avec les solistes, ils donnent le sentiment que nous assistons à une funèbre cérémonie. Des prières des prêtresses aux cris de guerre des soldats égyptiens, nous retrouvons ce soir tous les contrastes et toute la dramatisation que Verdi élaborera bientôt pour les obsèques de Manzoni. Quant aux airs, ils tendent vers cette déclamation qui saisit dans le Libera me. Une voix, presque wagnérienne, paraît alors se distinguer : celle de la mezzo Ekaterina Gubanova qui domine tout l’acte IV.

Les artistes

Aida : Anna Netrebko
Amneris : Ekaterina Gubanova
Une prêtresse : Desirée Migliaccio
Radamès : Stefano La Colla
Amonasro : Franco Vassalo
Ramfis : Nicolas Testé
Le Roi d’Egypte : Mattia Denti
Un messager : Riccardo Rados

Orchestre et choeurs du Teatro di San Carlo, dir. Michelangelo Mazza
Ballet du Teatro San Carlo, chorégraphie : Giovanni Di Cicco
Mise en scène : Mauro Bolognini

 

Le programme

Aida

Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislansoni d’après Mariette, créé le 24 décembre 1871 au Caire.

Teatro San Carlo, représentation du lundi 21 février 2022