Un Macbeth cinématographique ouvre la nouvelle saison de la Scala

Pour la 5e fois, Macbeth ouvre la saison lyrique du Temple italien de l’Opéra… avec un plateau de stars et une mise en scène cinématographique !

Davide Livermore propose, comme à son habitude, un spectacle habilement truffé de références cinématographiques dans lequel s’illustrent Luca Salsi, Anna Netrebko et Ildar Abdrazakov. Mais l’aspect certes spectaculaire de sa mise en scène ne masque-t-il pas l’absence d’une idée directrice forte?…

Pour une fois, l’Italie prend le contre-pied positif de la tendance générale : alors qu’à l’étranger, notamment en Allemagne et en Autriche, les théâtres ferment en raison de la quatrième vague de la pandémie de Covid, nous avons ici une frénésie d’activités qui a conduit à des programmations simultanées de spectacles, et notamment de premières. La date incontournable du calendrier des opéras italiens, c’est bien sûr le 7 décembre avec l’ouverture rituelle et très attendue de la nouvelle saison de La Scala. Les images désespérantes de la Wiener Staatsoper vide pour Don Giovanni le lundi 6 décembre sont heureusement contrebalancées par celles de la Sala del Piemarini pleine à craquer et somptueusement décorée de roses et d’orchidées.

C’est la cinquième fois que Macbeth ouvre la saison du théâtre milanais : en 1938 (sous la direction de Gino Marinuzzi, mise en scène d’Oskar Walleck), en 1952 (De Sabata/Ebert, avec Callas), en 1975 (Abbado/Strehler) et en 1997 (Muti/Vick). Et c’est le maestro Riccardo Chailly qui officie aujourd’hui, pour sa huitième Première à la Scala. Le chef milanais a choisi la version parisienne de 1865, la plus fréquemment jouée. Après la première de 1847, Verdi avait écrit une version différente avec ballet, l’œuvre devant être jouée à Paris au Théâtre Lyrique. Le chœur « Patria oppressa » avait à l’occasion été modifié, de même que la mort de Macbeth : dans la version initiale, Macbeth meurt sur scène après son air « Mal per me che m’affidai », une scène supprimée à Paris mais récupérée ici, bien que certains critiques et musicologues, tel Massimo Mila, s’opposent à cette version hybride. À Paris, l’œuvre avait  été jouée en français, mais Verdi avait fait sa révision à partir d’un texte italien qui n’a été traduit en français que plus tard, contrairement à ce qui se passa pour Don Carlos ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire de donner Macbeth en français, comme on le fait pour l’œuvre tirée de Schiller.

Quand Riccardo Chailly dirige un thriller…

La lecture proposée par Chailly est très théâtrale, avec des tempi dilatés et solennels, mais le récit est toujours dramatique, et certaines pages, comme celles qui précèdent les interventions de la Lady ou les apparitions des futurs souverains, ont la tension d’un véritable thriller. Son orchestre rend au mieux les couleurs sombres et livides de la partition, ainsi que les moments de fête de l’histoire, toujours un peu inquiétants cependant… Le chef d’orchestre milanais met ainsi en valeur les spécificités si particulières de cet opéra qui en font un des chefs-d’œuvre du compositeur.

Plateau de stars

Les chanteurs sont des habitués des premières de la Scala (ils en sont tous à leur quatrième ou cinquième Saint Ambroise !), et comptent parmi les meilleurs du moment. Anna Netrebko reprend le rôle de la Lady, avec un vernis vocal qui s’est légèrement terni; et sa cavatine d’entrée n’est pas des plus réussies. Mais par la suite, elle s’améliore jusqu’à une scène de folie palpitante – et pas seulement parce qu’elle est harnachée à six mètres de hauteur –, même si l’aigu final est émis avec difficulté. Actrice au fort tempérament, elle fait de son personnage une figure redoutable que seule la folie peut apaiser : le deuxième couplet du toast, après l’égarement de son mari à la vue du fantôme de Banco, est véritablement effrayant par la violence menaçante qu’il exprime. Gianluca Falaschi l’habille sublimement en épouse d’un oligarque milliardaire russe, vêtu de satin orné de phénix brodés. Lors de la fête, la Lady, devenue Reine, arbore une improbable coiffure digne de la tante Pim (celle du comic strip américain Pim Pam Poum !) qui la rend à la fois grotesque et effrayante.

Luca Salsi revient lui aussi au rôle de Macbeth.  Le baryton de Parme interprète le personnage avec une grande autorité vocale, et un chant faisant la part belle aux mots, aux couleurs sombres et aux tons étouffés. Sa silhouette, cependant, n’est-elle pas plus proche de celle d’un bon vivant de la vallée du Pô que de celle d’un perfide souverain écossais ?…

En revanche, la présence scénique et vocale d’Ildar Abdrazakov (Banco) est gigantesque dans tous les sens du terme, jusque dans le visage géant qui apparaît et gâche la fête de son meurtrier. Francesco Meli, comme toujours, chante très bien l’aria de Macduff et cette fois, il arrive même à se mouvoir efficacement dans le duel final avec Macbeth – qu’il pousse, après l’avoir transpercé, dans un ascenseur (oui, il y a un ascenseur…) vers l’enfer. Les comprimarii sont également luxueux : Iván Ayón Rivas est un Malcom lumineux, Chiara Isotton (Lady’s Lady) dans le concertato du premier final lance un do qui fait de l’ombre à la diva, tandis qu’Andrea Pellegrini est un médecin impeccable ; les autres sont également excellents.

Le chœur dans Macbeth a son moment de gloire avec « Patria oppressa » qui le dispute en émotion au célèbre « Va’ pensiero » : un excellent début pour le nouveau directeur du chœur Alberto Malazzi ! Daniel Ezralow met en place les numéros de danse avec une grande efficacité, notamment lors de certaines pages dévolues à  la Lady, au cours desquelles nous découvrons des talents insoupçonnés d’Annuska, effectuant habilement des pas de danse moderne chorégraphiés par le fondateur de MOMIX et ISO Dance.

La mise en scène de Davide Livermore : impressionnante… mais encore ?

La partie visuelle est confiée, pour la quatrième fois consécutive, à Davide Livermore, qui réalise un spectacle grandiose, sollicitant la technologie, avec comme d’habitude plusieurs références cinématographiques. La première scène, avec une voiture arrêtée dans un pays brumeux où se déroule le dernier épisode d’une guerre de gangs et où a lieu la première apparition des sorcières (ici des femmes tout à fait normales auxquelles on demande de mettre en mots la prophétie fatale) est d’une grande beauté. La lecture de Livermore occulte totalement la dimension surnaturelle de l’œuvre, ce qui arrive de plus en plus souvent dans les mises en scène contemporaines. Le surnaturel n’est plus d’actualité… La course-poursuite, en voiture, de Macbeth et Banco se poursuit jusqu’aux faubourgs désolés de la ville, puis jusqu’aux gratte-ciel du centre-ville. Le mur de LED avec les vidéos imaginées par D-Wok nous fait magiquement passer d’un monde à l’autre, de la « réalité » à la dystopie. C’est ici que commence l’ascension de Macbeth vers le pouvoir : depuis les derniers étages de sa tour de la Cour d’Écosse, auxquels on accède bien sûr par ascenseur, il complote pour tuer le roi Duncan afin d’usurper sa position. Depuis les fenêtres de son luxueux penthouse, la vue embrasse la métropole, telle la planète Coruscant dans La Guerre des étoiles, mais ici la perspective est déformée : les gratte-ciel se développent horizontalement, obliquement ou de haut en bas, comme dans le film Inception de Chistopher Nolan. Ce monde à l’envers reflète l’univers dévasté du couple maléfique dans sa course au pouvoir.

Le spectacle hyper-technologique de Livermore se réalise doublement : au théâtre et sur le petit écran dans le cadre de cette retransmission en direct à la télévision. Ce n’est pas seulement une question de gros plans et de cadrages : il y a certains moments que l’on ne peut admirer qu’à l’écran, comme les plans à l’intérieur de la voiture ou dans l’ascenseur – où le couple se livre à des rapports sexuels furieux. Ou encore la vue aérienne qu’a la Lady, au sommet du gratte-ciel, avec une plongée sur le trafic routier cinquante étages plus bas, un plan que nous avons vu d’innombrables fois au cinéma, mais qui se révèle ici étonnant. Ou bien encore, les images de la fête que les téléspectateurs voient se dérouler dans les derniers étages de la tour de la Cour écossaise, cadrées de loin, avec ici une référence évidente à Blade Runner.

Livermore gère brillamment les différents moyens qu’il utilise ; cependant, l’aspect très spectaculaire du spectacle semble cacher l’absence d’une idée forte et originale : le Macbeth de Michieletto, qui avait ouvert la saison de la Fenice en 2018, l’avait, ô combien… Les habituels signes de désapprobation à la fin du spectacle se référaient-ils à cela ou à la déception de ne pas avoir vu sur scène des kilts et des manoirs en ruine dans les landes écossaises ? Allez savoir…

Pour lire la version originale de cet article (en italien), c’est ici :



Les artistes

Macbetto : Luca Salsi
Banco : Ildar Abdrazakov
Macduff: Francesco Meli
Malcolm : Iván Ayón Rivas
Le médecin : Andrea Pellegrini
Lady Macbeth : Anna Netrebko
Dame de Lady Macbeth : Chiara Isotton

Chœurs et orchestre du Théâtre de la Scala, dir. Riccardo Chailly
Mise en scène : Davide Livermore
Décors : Giò Forma
Costumes : Gianluca Falaschi
Lumières : Antonio Castro
Vidéo : D-Wok
Chorégraphie : Daniel Ezralow

Le programme

Macbeth

Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei d’après William Shakespeare. Créé au Teatro della Pergola à Florence le 14 mars 1847.

Retransmission télévisée en direct, mardi 7 décembre 2021