Retour de Turandot à l’Opéra Bastille – Nouvelle production

Turandot à l’Opéra Bastille : un grand Wilson !

Une impression d’extraordinaire professionnalisme

Annoncée comme inédite, la nouvelle Turandot proposée par l’Opéra national de Paris est une coproduction avec le Teatro Real de Madrid où elle a fait ses preuves en 2018 (voir le compte rendu de Stéphane Lelièvre ici), l’Opéra national de Lituanie (Vilnius), la Canadian Opera Company de Toronto et le Grand Opera de Houston.

Dès le lever du rideau, c’est une impression d’extraordinaire professionnalisme qui se dégage de la mise en scène de Robert Wilson. Les costumes, issus du crayon de Jacques Reynaud, sont d’époque, même si les repères chronologiques restent le plus souvent indéterminés. Les poses sont statuaires chez tous les figurants mais aussi chez Liù, Calaf et Timur, bien que leur gestuelle se révèle bientôt très dynamique, voire inusuelle pour le réalisateur américain. Les chœurs ont ici leur emploi sans doute le plus marquant et donnent d’emblée un exemple de cette opulence qu’évoque le chef d’orchestre dans le programme de salle.

Relevons également le magnifique tableau du sacrifice du prétendant au mariage, incarné vraisemblablement par un danseur, s’acheminant vers son exécution sur un arrière-plan lunaire aux nuances évanescentes. Il faut d’ailleurs saluer les admirables éclairages conçus par Bob Wilson lui-même à l’aide de John Torres. C’est là qu’apparaît l’héroïne, encore muette pour le moment, sur un rayon lumineux en guise de passerelle. Le rouge de sa robe renvoie au rideau de scène, métaphore probablement banale de sa soif de sang, quoique toujours fonctionnelle et traitée ici avec raffinement. À l’acte II Altoum (Carlo Bosi) assiste au tableau des énigmes comme en apesanteur et son kimono impérial est aussi somptueux que ceux des savants donnant la réplique à Calaf et visiblement appelés à exprimer également le désespoir de leur princesse. Comme le rappelle le texte introductif de Frédéric Maurin, « un entrelacs en formes noires » vient symboliser la nuit fatidique de l’acte III, sorte de forêt venant menacer plus que l’obscurité ce « consentement au bonheur ».

Une esclave de glace

Dès ces premières répliques, Gwyn Hughes Jones tire le ténor dramatique de Calaf vers un lyrisme qui lui sied manifestement davantage. Son premier air atteint tout de même à une très grande intensité et, malgré quelques faiblesses dans l’aigu, sa ligne et son phrasé sont en tout point exemplaires. Et si sa scène de candidature devient par moment problématique, l’interprète gagne en assurance lorsqu’il s’agit de résoudre les énigmes et, malgré les limites de la projection, son dernier air fait preuve d’une extrême intelligence du texte.

Esclave de glace, la Liù de Guanqun Yu, à ses débuts sur la première scène lyrique française, est bien plus froide que son hypothétique rivale et ne parvient jamais à nous bouleverser. Son air de l’acte I doit même franchir quelques hésitations avant de s’affirmer (mais nous assistions, il est vrai, à un soir de première). De bonne école, sa mort, testament de Puccini, laisse le spectateur de marbre.

Faisant elle aussi son entrée à l’Opéra, Elena Pankratova donne corps à une Turandot aux allures rappelant quelque peu Ghena Dimitrova. Impressionnante sans être impérieuse, c’est dans sa confrontation avec Calaf que sa voix gagne en émotion, et en autorité dans son refus de l’évidence de sa défaite.

Timur caverneux à souhait, Vitalij Kowaljow affiche un père tout en demi-teinte. Lointain écho de la commedia dell’arte (suivant toujours le programme de salle), ou de ce que l’on a pris l’habitude d’inscrire dans cette catégorie trop souvent considérée de manière plutôt relâchée, Ping, Pang, Pong, interprétés respectivement par Alessio Arduini, Jinxu Xiahou et Matthew Newlin, semblent davantage issus d’un cabaret berlinois de l’époque de la composition du chef-d’œuvre puccinien. Ils s’intègrent parfaitement à la conception d’ensemble et, outre que vocalement très bons, ils constituent un atout non négligeable de la mise en scène.

Mariage du verbe et de la note

Malgré quelques légers dérapages dans les timbales, la direction de Gustavo Dudamel s’investit corps et âme dans ce mariage du verbe et de la note que perçoit le chef dans ce titre inachevé, afin de véhiculer ce qu’il ressent comme « l’idée de Beauté » du compositeur. C’est ainsi que pour le finale de Franco Alfano, le peuple se rassemble, formant des silhouettes noires sur un arrière-fond rouge dans un ultime tableau particulièrement suggestif.

Le public fait un triomphe à Liù plus qu’à Turandot et à Calaf, dont les interprètes sont tout aussi méritants, voire supérieurs, que leur collègue venue d’Orient. Va savoir… éternelle question de l’empathie du théâtre et de l’identification du spectateur au personnage ?

Turandot était absente de l’affiche parisienne depuis bientôt vingt ans, après la dernière reprise de la mise en scène de Francesca Zambello. Un retour plus que bienvenu.

Les artistes

Turandot : Elena Pankratova
Liù : Guanqun Yu
Calaf : Gwyn Hughes Jones
Timur : Vitalij Kowaljow
Altoum : Carlo Bosi
Ping : Alessio Arduini
Pang : Jinxu Xiahou
Pong : Matthew Newlin
Un Mandarino : Bogdan Talos

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Gustavo Dudamel

Mise en scène Robert Wilson

Le programme

Turandot

Dramma lirico en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé au Teatro alla Scala de Milan le 25 avril 1926.

Opéra Bastille, samedi 4 décembre 2021