« Intérieur » de Joan Magrané Figuera au Châtelet – Maeterlinck lui va si bien

Crédits photos : © Anne-Elise Grosbois

Tandis que des volutes de fumée s’élèvent de la fosse d’orchestre, des cintres descend lentement un fil à linge couvert de vêtements blancs, sauf une robe colorée, vers le milieu. Cette robe, le public ne le sait pas encore, mais c’est celle que portait la noyée dont on vient annoncer la mort à la famille qui habite ici : ses parents, ses sœurs, son petit frère. La maison qu’ils habitent, on la devine d’abord dans l’obscurité, minuscule, lointaine, comme jadis Jorge Lavelli avait montré le château d’Allemonde dans sa production de Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Paris. Sur ce plateau presque nu apparaissent bientôt un récitant et six instrumentistes, dont les paroles et la musique alternent avec ce que produit l’orchestre en fosse, tandis qu’une danseuse vient à son tour représenter la défunte : après être restée longtemps sous un jet de pluie, elle viendra finalement se poser à terre, s’allonger et lentement rouler, rouler vers le bord du plateau, mais sans aller jusqu’à tomber dans la fosse comme Tosca se jetant du haut du château Saint-Ange.

Joan Magrané Figuera

Tel est en raccourci le spectacle que Silvia Costa a conçu pour Intérieur, partition composée par le Catalan Joan Magrané Figuera. L’idée de mettre en musique cette pièce de Maeterlinck lui a été suggéré par Matthias Pintscher, qui dirige également l’œuvre, à la tête de l’Ensemble intercontemporain. La partition semble faite, elle aussi, de ces murmures, de ces bribes de phrase, de ces insinuations propres à l’écriture du dramaturge belge, 

et l’on avoue ne pas avoir forcément senti à l’écoute la distinction que suggère le compositeur dans sa note d’intention, entre le prélude, la deuxième partie descriptive et une conclusion qui serait « plus active, plus explicite, susceptible d’amener toute l’énergie vers la tension finale ». La musique de Joan Magrané Figuera est séduisante mais ne semble pas irriguée par une tension dramatique  qui ne serait pas superflue.

Michel Vuillermoz, sociétaire de la Comédie-Française, est le récitant qui se charge de déclamer tout le texte de la pièce, normalement confié à deux personnages masculins principaux et à deux jeunes filles, mais ici abrégé et condensé en une sorte de monologue. Ce que l’on gagne en concision, on le perd aussi en animation sur le plateau, et les mouvements des uns et des autres (le récitant, les six instrumentistes et la danseuse), même très limités, en deviennent un peu gratuits car coupés de toute véritable fonction explicite. Si le spectacle a indéniablement quelque chose d’envoûtant par sa lenteur, son inaction même – et l’on comprend que ce texte ait pu séduire un partisan du minimalisme comme Claude Régy – peut-être aurait-il gagné à être un peu moins épuré.

https://www.youtube.com/watch?v=N442pKZeHzI
Les artistes

Récitant : Michel Vuillermoz

Danse : Flora Gaudin

Ensemble intercontemporain, dir. Matthias Pintscher
Mise en scène : Silvia Costa
Lumières : Matteo Bambi
Costumes : Laura Dondoli

Le programme

« Intérieur »

Musique de Joan Magrané Figuera, paroles de Maurice Maeterlinck, d’après sa pièce Intérieur, créé le 22 octobre 2021 au Châtelet (Paris). 

Représentation du 22 octobre 2021, Châtelet (Paris).