À Marseille, une TOSCA en voix…

Marseille : une Tosca de qualité bientôt diffusée en streaming

Dans une production d’une (trop ?) grande sobriété, déjà présentée sur la scène phocéenne lors de la saison 2014/15, Louis Désirée met en relief toute la noirceur du thriller psychologique inspiré de Victorien Sardou et génialement mis en musique par Giacomo Puccini.

Un opéra particulièrement lié au cœur lyrique de Marseille

Durant le dernier demi-siècle, le théâtre Art Déco de la place Reyer aura gardé la mémoire de quelques-unes des très grandes distributions de Tosca : ici, les Mario Cavaradossi ont trouvé d’illustres défenseurs en la personne de Mario del Monaco, Vladimir Atlantov, Giacomo Aragall, Giuseppe Giacomini, Veriano Luchetti ou, plus près de nous, Giuseppe Gipali et Giorgio Berrugi.

Pour l’amour de son Mario, Floria Tosca s’est appelée Gerry De Groot, Eva Marton, Raina Kabaïvanska, Ghena Dimitrova, Teresa Zylis-Gara, Stefka Evstatieva ou encore l’hollywoodienne Catherine Naglestad.

Quant à celui devant qui tremblait tout Rome, le baron Scarpia, il nous a souvent inquiété sous les traits d’Ingvar Wixell, José Van Dam, Alain Fondary, Jean-Philippe Lafont ou de l’impressionnant Carlos Almaguer.

C’est donc en évoquant le souvenir de certaines de ces soirées délirantes que l’on écrit ces lignes, à la fois heureux de retrouver ce théâtre mais attristé de ne pas l’entendre crouler sous les applaudissements de l’un des publics les plus attachants qui soit !

Une production qui vise à l’essentiel mais qui ne convainc que partiellement

C’est en vain que l’on chercherait dans cette production de temps de crise, les fastes ecclésiastiques de l’église San Andrea della Valle (malgré deux grands portraits pré-raphaëlites de Marie-Madeleine) ou les rouges et ors du Palais Farnese. N’est pas davantage convié, sur la terrasse du Château St Ange, l’Archange St Michel ! C’est donc autour d’un monument unique devenant à la fois chapelle des Attavanti, balcon de la demeure du chef de la police ou cachot de prison d’État que se noue de façon particulièrement angoissante ce drame intemporel pétri d’amour, de jalousie, de vice et de vertu, dont on finit par espérer l’issue dans la mort libératrice tant son atmosphère, nimbée du clair-obscur des lumières de Patrick Méeüs, est étouffante.

Ce parti pris serait d’autant plus défendable s’il était mis au service d’une direction scénique au cordeau et pouvait compter sur quelques chanteurs-acteurs indispensables dans ce type de répertoire. Ce n’est malheureusement guère le cas avec la distribution réunie pour cette captation vidéo qui nous a paru le plus souvent livrée à elle-même, se contentant au mieux d’un jeu stéréotypé voire – dans le cas de l’interprète de Scarpia – à la limite de l’histrionisme.

Une édition musicale et vocale en demi-teinte

Si musicalement on a connu la direction de Giuliano Carella moins métronomique  et plus engagée – l’édition Ricordi pour effectif réduit qui a du être adoptée y est sans doute pour quelque chose ? –, les agencements bienvenus, en loge et au balcon, du chœur, impeccablement préparé par Emmanuel Trenque, et des percussions de cloches continuent à restituer toute la poésie nostalgique et la puissance d’évocation de pages telles que l’aube se levant sur Rome ou le Te Deum du final du 1er acte.

Côté vocal, on retrouve avec plaisir plusieurs des interprètes de ces rôles de composition qui constituent souvent le théâtre lyrique du tournant du siècle : le sacristain, Spoletta et Sciarrone disposent ainsi avec Jacques Calatayud, Loïc Félix et Jean-Marie Delpas de chanteurs à la projection vocale adaptée à ces brèves, mais toujours marquantes, apparitions. C’est moins le cas de l’Angelotti de Patrick Bolleire, qui nous laisse sur un sentiment d’inabouti.

Pas de grande soirée de Tosca sans un trio de tête à toute épreuve : c’est donc au ténor argentin Marcelo Puente, déjà familier des plus grands rôles de ténor spinto, qu’il revenait d’incarner Mario, l’émouvant et voltairien héros libertaire. Après un « Recondita armonia » timide, la voix – au volume adéquat – se libère et délivre un beau legato dans les duos avec Tosca. La vaillance des passages attendus (« La vita mi costasse » et « Vittoria ! ») est au rendez-vous et nous conduit à un lamento de belle facture dont l’émotion n’est pas absente.

Le Scarpia de Samuel Youn – applaudi sans réserve ici même, en 2015, dans Le Vaisseau Fantôme –  ne se situe malheureusement pas sous les mêmes latitudes : ce n’est pas une question de volume, dont le baryton-basse coréen ne manque pas, ni d’homogénéité dans les registres mais davantage d’émission engorgée et d’absence fréquente de legato pourtant indispensable dans ce rôle. Quant au jeu scénique, il semble totalement oblitérer le fait que Scarpia doit conserver dans son vice et sa lubricité un côté « grand seigneur ».

Déjà connue dans l’hexagone par ses apparitions à l’Opéra National de Paris en Leonora du Trouvère, la  jeune soprano américaine Jennifer Rowley dispose de l’abattage indispensable au rôle-titre. Dotée d’une puissance dans l’aigu rappelant quelques-unes de ses illustres devancières (ainsi le redoutable « Io quella lama gli piantai nel cor » ne semble lui poser aucune difficulté), la chanteuse conserve élégance du phrasé et assise dans le grave, jamais poitriné, délivrant un « Vissi d’arte » sur le souffle de parfaite tenue. Sans nul doute, une interprète à suivre…qui devra se montrer prudente dans la fréquentation de rôles lourds vers lesquels son matériau naturel semble la prédisposer.

La captation vidéo de ce spectacle sera disponible à compter du 28 février prochain, 17h.

Les artistes

Tosca   Jennifer Rowley
Mario Cavaradossi   Marcelo Puente
Scarpia   Samuel Youn
Angelotti   Patrick Bolleire
Le Sacristain   Jacques Calatayud
Spoletta   Loïc Félix
Sciarrone   Jean-Marie Delpas

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille, dir. Giuliano Carella
Mise en scène / Décors / Costumes Louis Désiré

 

Le programme

Tosca

Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Victorien Sardou, créé à Rome, Teatro Costanzi, le 14 janvier 1900.

Opéra de Marseille, représentation du dimanche 14 février (faisant l’objet d’une captation)