Streaming – Mariage sur gazon à Bergame, ou Le nozze in villa au Festival Donizetti

LE NOZZE IN VILLA clôturent en beauté l’édition 2020 du festival Donizetti de Bergame !

Le forfait de Domingo et les conditions sanitaires très contraignantes ne laissaient rien augurer de bon pour l’édition 2020 du Festival Donizetti de Bergame. Pourtant, grâce à la volonté des organisateurs et des artistes, le festival a été un vrai succès, et s’est achevé par une très réjouissante production des rares NOZZE IN VILLA du compositeur de Bergame ! 

Le spectacle est disponible en streaming en s’abonnant à la Donizetti web TV.

Une oeuvre peu connue

Après les deux opéras de la maturité qui encadrent Lucia di Lammermoor (Marino Faliero qui la précède et Belisario qui la suit), le Festival Donizetti présente le « dramma  buffo » en deux actes Le nozze in villa, troisième titre du copieux catalogue de Donizetti [1], deux cents ans après sa première lors du premier carnaval de Mantoue en 1819. Nous ne savons rien de plus sur cet ouvrage : il n’existe pas de partition autographe, le livret de la première a disparu, les journaux de l’époque n’en rendent pas compte et il n’en est fait mention dans aucune lettre. L’œuvre ne semble pas avoir rencontré le succès, bien qu’elle ait été reprise à Trévise et à Gênes avant de disparaître de l’affiche.

« La partition correspond exactement à un exercice de routine peu inspiré, permettant d’apprendre à mettre en pratique les formules de composition de l’époque » : tel est le jugement sévère que William Ashbrook porte sur cette œuvre, composée sur un livret de Bartolomeo (ou Bortolomeo ou Bartolommeo ou encore Bartolameo…) Merelli, tiré de la comédie Die deutschen Kleinstädter (1801, traduite en italien par Tommaso de Lellis sous le titre I provinciali) d’August von Kotzebue – un auteur dont s’inspira également Merelli pour le livret d’Enrico di Borgogna.

Le livret

PREMIER ACTE
Trifoglio, le maître d’école du village, donne une leçon. Petronio, le podestat, vient le chercher. Il a décidé que Trifoglio épousera sa fille Sabina. Le maître d’école est sceptique, Petronio n’ayant pas consulté sa fille… Sabina est triste, elle regarde le portrait de Claudio, un jeune homme qu’elle a rencontré en ville et dont elle est amoureuse : malgré de nombreuses promesses échangées, elle n’a pu revoir le jeune homme. Arrive Anastasia, la grand-mère. Sabina cache le portrait, mais rien n’échappe à sa grand-mère. La jeune fille raconte alors que l’image représente leur roi bien-aimé. Anastasia prend possession du portrait. Petronio et Trifoglio entrent alors : le podestat présente le maître d’école à sa fille comme son futur mari, et Trifoglio se lance dans une déclaration d’amour pitoyable.

Pendant ce temps, Petronio est averti de l’arrivée d’un homme de haut rang :  Claudio. Sabina frémit : c’est lui ! Anastasia est à deux doigts du malaise : l’étranger est celui du portrait de Sabina, le roi est donc dans leur maison ! Alors que Sabina et Claudio se jurent fidélité, ils sont interrompus par Petronio, qui prépare la réception pour le prétendu souverain. Claudio demande des explications et, au milieu de la confusion générale, Sabina est obligée d’expliquer le malentendu.

DEUXIEME ACTE
Petronio est furieux mais ne change pas d’avis : Sabina va épouser Trifoglio. Les préparatifs du mariage battent leur plein. Pendant ce temps, Claudio se dispute avec Trifoglio : aux doutes que le premier tente d’instiller dans son esprit, l’autre répond qu’il est convaincu de l’amour de sa jeune épouse. Claudio attend Sabina : elle arrive enfin et tous deux, cachés par l’obscurité de la nuit tombante, se déclarent de nouveau leur amour. Mais on entend une guitare : c’est Trifoglio qui donne une sérénade à la future mariée ! Tous les habitants de la maison arrivent, allument une lanterne et surprennent les deux amants. Trifoglio exige des explications. Le contrat n’est pas signé, son désir d’épouser Sabina lui est passé, mais dans tous les cas, il demande une dot. Petronio lui fait une liste interminable de ce qu’il peut lui donner : des titres, des cartes, cinquante-huit perruques, une montgolfière et six douzaines de verres, mais pas un sou ! Trifoglio rompt alors les fiançailles. Sabina médite : elle n’aura finalement ni Trifoglio, qu’elle ne voulait pas, ni Claudio, qu’elle aime…
Mais Claudio ne renonce pas. Il sait comment amadouer Petronio : il ne réclamera aucune dot. Petronio est vaincu : Sabine épousera Claudio !

Le langage musical du jeune Donizetti

Le langage musical du « jeune homme de Bergame » est celui de l’opéra napolitain revu dans l’esprit de Rossini, alors le plus célèbre des compositeurs d’opéras, même si la plus grande influence est sans doute celle de Mayr, le maître de Donizetti. Si Le nozze in villa ne sont pas un chef-d’œuvre, l’œuvre est constamment agréable, et qu’un festival comme celui de Bergame le fasse connaître au grand public se justifie parfaitement. Le problème de la perte du quintette du deuxième acte a été résolu d’une nouvelle manière, en en confiant l’écriture à Elio et Rocco Tanica (oui, ceux du groupe Elio e le storie tese !) avec des résultats plus qu’acceptables : on sent, aux jeux harmoniques, que la pièce n’est pas d’époque … mais elle ne sonne malgré tout pas mal du tout !

Un spectacle réussi musicalement et scéniquement

À la tête de l’orchestre Gli Originali con strumenti d’epoca, Stefano Montanari choisit un diapason à 430 Hz pour respecter l’écriture d’une partition qu’il interprète avec la vivacité mais aussi la rigueur philologique qu’on lui connaît. Montanari intervient également  avec beaucoup de goût au pianoforte, et il est évident qu’il prend soin de ne pas couvrir les chanteurs, lesquels ont la difficulté d’avoir le chef presque toujours derrière eux – le spectacle est à 360 degrés : il n’y a pas de scène frontale, mais cela ne semble pas constituer un grand obstacle pour ces interprètes, tous rusés !

Comme toujours élégant et faisant preuve d’un beau sens de l’ ironie, le baryton Omar Montanari prête sa voix au Podestat Don Petronio. Son « Ombre degli avi miei » (« Les ombres de mes ancêtres ») est un air tributaire du Don Magnifico de La Cenerentola, créée deux ans plus tôt. Fabio Capitanucci est Trifoglio, devenu ici un planificateur de mariage arborant des  tenues colorées. Son chant illustre parfaitement son caractère pompeux, le librettiste lui faisant déclamer des vers aussi farfelus que
« Oh tu, Cupidine | d’amore artefice […] Auricrinito Apolline | dal bel Castaglio margine […] alla Parrasia cima…». Gaia Petrone est Sabina (une photographe de mariages), à qui le compositeur offre les pages les plus virtuoses comme la cavatine « Sospiri del mio sen » au premier acte et l’aria avec chœur du second « Non mostrarmi in tale istante ». Un timbre agréable, une belle agilité et une grande rigueur stylistique sont les caractéristiques de la jeune mezzo-soprano. Agilité et puntature caractérisent quant à eux le Claudio de Giorgio Misseri, qui émet brillamment ses aigus dans ses différentes interventions – entre autres, celle des « Affetti teneri » accompagnés par la clarinette. L’expérience de Manuela Custer est appréciable dans le rôle ironique de la  Nonna. Claudia Urru (Rosaura) et Daniele Lettieri (Anselmo) interviennent dans de  nombreux numéros d’ensemble, dont le quintette reconstitué « Aura gentil che mormori » et le finale quelque peu expéditif au cours duquel, comme dans un opéra baroque, tout le monde monte sur scène pour chanter la morale « de l’amour au doux enchantement » (« d’amore al dolce incanto / mai contrasto non vi fu / quando unite assiem si vede / grazia, fede, e gioventù »), aussi mielleuse que l’arrière-plan des photos des mariés… et aussi fausse que l’herbe dont le metteur en scène Davide Marranchelli (dans un spectacle amusant auquel ont également pris part Anna Bonomelli pour les décors et Linda Riccardi pour les costumes), a recouvert le parterre du théâtre Donizetti. Le public a été remplacé par un gazon synthétique sur lequel  les jeunes garçons jouent au football avant d’être rappelés par le chef Montanari qui récupère le ballon et entame l’ouverture de l’opéra, tandis que sur le parterre prennent place des cygnes constitués de ballons de baudruche, des photographes et des mariées de plus en plus nerveuses : le cadre retenu pour cette histoire divertissante est en effet l’un de ces lieux qu’on loue pour les mariages. Afin de respecter les mesures sanitaires, chacun se tient à une distance de sécurité, porte des gants et utilise un masque lorsqu’il ne chante pas, mais ces handicaps sont transcendés par l’habileté des acteurs-chanteurs, très bien dirigés par le metteur en scène qui actualise avec beaucoup d’ironie les éléments constitutifs de la farce.

Avec Le nozze in villa, le Festival d’Opéra Donizetti se termine glorieusement : il est parvenu en ces moments si compliqués à respecter presque entièrement le programme prévu. C’est un succès inattendu et qui fait honneur à la ville de Bergame, qui a été, comme on sait, l’une des plus touchées par la pandémie. Ce sont de tels exemples qui nous permettent de rester optimistes…

Pour lire la version originale de cet article (en italien) : Opera in casa

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[1] On a malheureusement perdu le livret et la partition de Una follia, la farce qui suit Enrico di Borgogna.

Lisez notre dossier sur Le nozze in villa ici !

Les artistes

Sabina   Gaia Petrone
Don Petronio   Omar Montanari
Trifoglio   Fabio Capitanucci
Claudio   Giorgio Misseri
Anastasia   Manuela Custer
Rosaura   Claudia Urru
Anselmo   Daniele Lettieri

Orchestra Gli Originali , Coro Donizetti Opera, dir. et pianoforte   Stefano Montanari
Mise en scène Davide Marranchelli

Le programme

Le nozze in villa

Dramma buffo en deux ates de Gaetano Donizetti, livret de Bartolomeo Merelli, créé à Mantoue (Teatro Vecchio) lors du carnaval 1820-1821.

Production du festival de Bergame 2020.