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Britten, LE SONGE DUNE NUIT D’ÉTÉ à l’Opéra de Montpellier (2019)

S’il faut en croire Britten, en juillet 1959, son compagnon Peter Pears et lui-même se trouvent sans livret d’opéra pour l’édition 1960 de leur Festival d’Aldeburgh et, dans l’urgence, se jettent sur la comédie de Shakespeare pour en tirer ce livret-ci. De fait, ils connaissent bien la comédie et sa version très corrigée donnée à Londres en 1692 avec la musique d’Henry Purcell sous le titre de The Fairy Queen. Ils s’autorisent de ce précédent pour compresser les cinq actes volontairement décousus de l’original (et la moitié de son texte !) en trois actes qui rendent plus lisible les jeux d’écho des trois intrigues parallèles, la dispute entre Obéron, roi des fées et sa parèdre Tytania, le chassé-croisé des amants et les répétitions des artisans-comédiens dont la star est le tisserand Bottom. Britten élimine le premier acte original pour centrer son propos dans le bois mystérieux et sombre, image de l’obscure forêt de Dante ou de l’inconscient, où règne, suprême, Obéron, flanqué de Puck, son complice. Thésée et Hippolyta deviennent des personnages secondaires et leur mariage le prétexte à la représentation des comédiens. C’est Obéron et Puck qui tirent les ficelles du drame et ont le dernier mot. Comme le dit Tytania, pas question de sortir du bois.

Obéron, roi des Aulnes

William Blake, Obéron, Titania et Puck avec des fées (vers 1786)​

Pas question pour Britten de donner une vision des fées exquises danseuses qu’illustre la peinture romantique ou la merveilleuse musique de Félix Mendelsohn. Britten est frappé par la rudesse et l’étrangeté des fées de Shakespeare qui, selon la tradition médiévale anglaise, sont des êtres de sexe masculins, minuscules et méchants. Bottom apeuré ne les salue-t-il pas d’un « good mounsieur » obséquieux et révélateur ? D’où ici ces personnages déroutants de maîtres d’hôtel en frac blanc-gris, semblables à des mannequins de celluloïde, uniforme unisexe qu’abandonne un instant Tytania pour un collant rose, image de son fol amour pour cet âne de Bottom qui dédaigne ses caresses et le charme d’un solo de clarinette. Comme dans la production originale, qui vit les débuts à la scène du très grand Alfred Deller et la renaissance des contre-ténors à l’opéra, l’Obéron de James Hall la domine physiquement, surtout avec son haut de forme. Dieu merci, les parties des fées sont confiées aux enfants du Chœur Opéra Junior de Montpellier (et non pas à des voix de femmes) dont le timbre légèrement acide se marie étrangement à celui des voix d’adultes. À l’image de son roi, Britten distille une inquiétante magie. Le célesta qui l’accompagne rappellera au spectateur les enchantements que déploie Quint dans Le Tour d’écrou pour s’attacher le petit Miles, et la dispute qui l’oppose à la Gouvernante pour le posséder : le partenariat que propose alors Quint à Miles semble s’être réalisé ici dans l’alliance entre Puck et Obéron. La beauté de l’air d’Obéron à l’acte I « I know a bank», magnifiquement vécu par James Hall, où Britten rend hommage à son cher Purcell, ne doit pas faire oublier sa cruauté vis-à-vis de sa parèdre et la violence dont il est capable envers Puck. La leçon donnée à Tytania, excellente Florie Valiquette, semble porter ses fruits puisqu’après son réveil ses interventions sont bien sages comparées au feu d’artifice vocal qu’elle déploie pour charmer Bottom.

La même violence, celle des passions non partagées et des illusions de l’amour fou, s’empare des deux couples d’amants, très propres sur eux et vêtus de rose et mauve dans un style des années Quarante qui rappelle le film Brève rencontre de David Lean. Mal assortis au départ, Britten leur accorde finalement sa tendre indulgence et sa bénédiction après les épreuves qu’ils traversent, fait unique dans tous ses opéras. Il faut saluer la performance physique des quatre chanteurs, Thomas Atkins, Roxana Constantinescu, Matthew Durkan et Marie-Adeline Henry, souvent dans le paroxysme vocal mais à la ligne de chant impeccable. Les rustiques aux trognes couperosées et aux vêtements tâchés apportent le soulagement nécessaire après tant de tension. Britten déploie des trésors de cocasserie dans sa parodie de la Lucia de Donizetti, et dans le rôle de Bottom, le jeune Dominic Barberi fait merveille. N’oublions pas l’excellent Puck de Nicholas Bruder, Peter Pan prolongé et virtuose acrobate. Enfin Tito Muñoz dirige avec doigté une partition au charme parfois vénéneux qui accompagne une mise en scène réjouissante de sensibilité, signée Ted Huffman

À voir absolument.

Joseph Noel Paton, La Réconciliation d’Obéron et Tatiana (1847)

Les artistes

Les fées
Obéron   James Hall                                          
Tytania   Florie Valiquette
Puck   Nicholas Bruder (rôle parlé)

Les amants
Lysandre   Thomas Atkins                                
Hermia   Roxana Constantinescu
Demetrius   Matthew Durkan                         
Helena   Marie-Adeline Henry

Les artisans
Bottom   Dominic Barberi                                
Quince   Nicholas Crawley
Flûte   Paul Curievici                                          
Snug   Daniel Grice                                            
Snout   Colin Judson                                          
Starveling   Nicholas Merryweather

La cour
Thésée   Richard Wiegold                                
Hippolyta   Polly Leech

Chœur Opéra Junior Montpellier – Classe Opéra, orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Tito Muñoz                     

Mise en scène   Ted Huffman             

Le programme

Le Songe d’une nuit d’été

Opéra en trois actes et quatre tableaux de Benjamin, livret de Benjamin Britten et Peter Pears d’après la comédie de William Shakespeare, créé le 11 juin 1960 au Festival d’Aldeburgh.

Production de l’Opéra de Montpellier, 2019. Spus-titres disponibls en français. 

L’enregistrement de 1960, dirigé par Britten

                        Alfred Deller dans le rôle d’Oberon