Richard Cœur de Lion à Versailles, un Grétry à en perdre la tête…
Photos : Copyright Agathe Poupeney
Pour fêter les 250 ans de l’Opéra Royal, Laurent Brunner, le directeur artistique de l’institution versaillaise, redonne vie à l’opéra-comique le plus célèbre de son siècle.
Il y a dix ans déjà et après deux ans de travaux, Laurent Brunner rouvrait la salle, édifiée en 1770 par Ange-Jacques Gabriel, avec Grétry et son Amant jaloux. Aujourd’hui, c’est avec le Richard Cœur de Lion du même Grétry que nous sommes à la fête. Un beau clin d’œil à l’histoire puisque c’est cette même musique qui a été entendue pour la dernière fois à Versailles en octobre 1789. Et on s’y croirait presque, ambiance fin de règne en moins.
Décors sur toiles peintes, costumes d’époque et chorégraphie tourbillonnantes, les codes esthétiques de l’époque sont bien là mais mâtinés de l’énergie et de l’immédiateté sensorielle contemporaines et parsemé d’un soupçon de romantisme et de Sturm und Drang. Ce Richard Cœur de Lion versaillais catalyse les idées dans l’air du temps des époques qu’il traverse. Le metteur en scène Marshall Pynkoski évite aussi toute relecture hasardeuse tirant sur le coté bouffe de l’œuvre de Grétry et conserve à cet opéra-comique ce qui fait le charme et la spécificité du genre : le ton léger non dépourvu d’humour, l’exacerbation romancé du sentiment et un suspense, léger, soutenu par la belle construction dramatique de l’œuvre.
Les performances des acteurs-chanteurs, très physiques, portent avec énergie et conviction la musique de Grétry et le livret de Sedaine. Ils s’amusent manifestement à habiter la scène et incarnent avec générosité les nombreux dialogues.
Musicalement et vocalement, les oreilles sont également à la fête. Même si les ténors se taillent la part du lion, les sopranos ne sont pas en reste. Marie Perbost fait valoir la souplesse de sa ligne de chant et les couleurs chatoyantes de son timbre, particulièrement mises en valeur dans les couplets d’Antonio : «La danse n’est pas ce que j’aime ». Melody Louledjian interprète Laurette et donc l’air expressif et amoureux « Je crains de lui parler la nuit », que Tchaïkovski fera chanter à sa vieille Comtesse dans La Dame de pique de 1890, lorsqu’il s’agira pour elle d’évoquer son passé galant à la cour de France, peu avant de mourir. La voix de la soprano d’origine arménienne, ronde sur toute la tessiture et rompue à des répertoires d’essence plus lyrique, fait de cet air un moment particulièrement émouvant.
Comme souligné précédemment, les ténors sont à l’honneur dans ce Richard Cœur de Lion et Rémy Mathieu et Reinoud Van Mechelen ont ce qu’il faut de contrastes en timbre et en couleurs pour caractériser avec variété et élégance les personnages de Richard et de Blondel. Leur duo « Une fièvre brûlante » met particulièrement en valeur la souplesse vocale et la diction du premier idéalement soutenu par la science du souffle du second. Une qualité que Reinoud Van Mechelen met habilement en avant dans son air de la prison : « Si l’univers entier m’oublie ». Les autres rôles ne sont pas en reste et mériteraient tous d’être cités, tant par leurs qualités de diction et de projection mais, après les sopranos et les ténors, faisons honneur aux barytons-basses Geoffroy Buffière et Jean-Gabriel Saint-Martin, ce dernier apportant une caractérisation des plus soignée à ses personnages.
Hervé Niquet, à la tête de l’orchestre et des chœurs du Concert Spirituel prouve une fois encore ses qualités de meneur de jeu variant les dynamiques et les ambiances avec efficacité et précision. Solistes, orchestre et chœur ne font qu’une bouchée de ce Richard Cœur de Lion tourbillonnant. Le public ne s’y est pas trompé, saluant chaleureusement une œuvre et son interprétation qui, nous l’espérons, feront tourner les têtes encore longtemps.
Rémy Mathieu : Blondel
Reinoud Van Mechelen : Richard
Melody Louledjian : Laurette
Marie Perbost : Antonio, La Comtesse
Geoffroy Buffière : Sir Williams
Jean-Gabriel Saint-Martin : Urbain, Florestan, Mathurin
François Pardailhé : Guillot, Charles
Cécile Achille : Madame Mathurin
Charles Barbier : Sénéchal
Agathe Boudet : Colette
Virginie Lefèvre : Béatrix
Le Ballet de l’Opéra Royal
Le Concert Spirituel Choeur et orchestre
Hervé Niquet, Direction musicale
Marshall Pynkoski, Mise en scène
Jeannette Lajeunesse Zingg, Chorégraphe
Antoine Fontaine, Décors
Camille Assaf, Costumes
Hervé Gary, Lumières
Géraldine Moreau-Geoffrey, Régleuse de combats
Charles Di Meglio, Assistant chorégraphique
Opéra Royal de Versailles, représentation du jeudi 10 octobre 2019