Le Barbier de Séville au théâtre des arts de Rouen

Photos : © Jean Pouget

Un Barbier de Séville pictural, drôle et poétique à l’Opéra de Rouen

Le Théâtre des Arts de Rouen proposait samedi 5 octobre Le Barbier de Séville (1816) de Rossini dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau créée à l’Opéra du Rhin en septembre 2018. Le spectacle n’a rien perdu de son efficacité en changeant de distribution. La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau et la direction du chef milanais Antonello Allemandi donnent une grande homogénéité à une œuvre servie par une troupe de chanteurs-acteurs manifestement au service du burlesque et du bel canto.

C’est dans une Espagne de carte postale (azulejos du premier tableau, inévitable bassin central pour rendre supportable la touffeur sévillane, éventail de la prima donna, le tout sous le patronage de la très baroque Vierge de la Macarena) que Pierre-Emmanuel Rousseau situe l’action. Les éléments burlesques propres au genre buffo sont habilement disséminés sur la scène et dans l’intrigue. Ils sont notamment portés par des personnages secondaires, telle l’inénarrable Berta, jouée par Julie Pasturaud, qui compose une duègne haute en couleurs.

Pierre-Emmanuel Rousseau choisit de représenter les lieux avec une grande sobriété. Trois murs aux teintes chaudes dessinent un quadrilatère qui figure tantôt la rue sévillane, tantôt l’appartement de Rosine. C’est dans cet espace géométrique qu’évoluent des personnages habillés à la mode du début du XIXe siècle. Tous paraissent sortis de tableaux de Francisco de Goya. Mieux : la dramaturgie paraît tout entière conçue comme un vaste tableau dont les personnages seraient magiquement saisis par le mouvement de la vie et par une frénésie croissante. Voilà une belle idée qui met en valeur les effets comiques et évite toute lourdeur. Dans ce spectacle où les persiennes claquent plus que les portes, la farce prend un tour poétique et fantasque ; la folie s’empare de tous dans un mouvement de plus en plus dansant, associant solistes et troupe militaire – remarquable chœur Accentus ! – et transformant le melodramma buffo en revue de music-hall lors du finale de l’acte I. Antonello Allemandi conduit l’orchestre de l’Opéra de Rouen avec assurance et fait danser la musique de Rossini.

Figaro – Joshua Hopkins / Rosine – Lea Desandre. © Jean Pouget

Certes, les personnages forment deux camps qui s’affrontent : d’un côté, la vivacité de Figaro, la passion du comte, les coloratures de Rosine ; de l’autre, la raideur empesée de Bartolo, soulignée par deux graves valets à perruque et par les effets cocasses de Basilio (dans l’air de la calomnie comme lors de son entrée inopportune de l’acte II). Pourtant tout ce petit monde s’amuse beaucoup et Mirco Palazzi joue un Basilio ravi d’être le centre d’un quiproquo et le pivot du quintette (II, 4). Le baryton Riccardo Novaro joue un Bartolo convaincant, volontiers emphatique, et son agilité vocale peut s’illustrer dans l’air A un dottor della mia sorte (« À un docteur de mon espèce »).

L’abattage du baryton Joshua Hopkins, habitué du rôle de Figaro, donne très vite le ton et surtout le rythme de l’ouvrage : l’action sera conduite allegro vivace. C’est un jeu très physique, notamment dans le 1er acte, que doit défendre le jeune chanteur canadien qui convainc particulièrement dans le séduisant et complice duo avec Rosine (acte I).

Lea Desandre, que l’on a coutume d’entendre dans le répertoire baroque, fait ici ses débuts dans ce répertoire. Le passage de l’aria da capo à la cavatine belcantiste emporte l’adhésion du public. Sa voix riche et souple de mezzo a suffisamment de légèreté pour rendre joliment les coloratures du très attendu Una voce poco fa (« À l’instant une voix vient [de toucher mon cœur] »). Une rossinienne est née et la voix épouse le caractère bien trempé de ce personnage trop assuré et peu amoureux que n’aimait pas Stendhal.

La Berta de Julie Pasturaud, bientôt à Marseille dans Les Puritains, attire d’abord l’œil, et amuse beaucoup le public surpris ensuite d’entendre, dans un pareil corps, une voix de mezzo à la belle maturité lors du savoureux Il vecchiotto cerca moglie (« Le vieillard cherche femme »).

Almaviva – Xabier Anduaga. © Jean Pouget

Il reste que le plus beau personnage du Barbier est sans conteste le comte, merveilleusement servi par Xabier Anduaga, que l’on ne se lasse pas d’entendre. Rossini lui a réservé les airs les plus lyriques, servis par une voix éminemment rossinienne : quelle bonne idée d’avoir enfin restitué l’air final Cessa di più resistere (« Cesse de résister ») si souvent coupé au motif qu’il n’a nulle fonction dramatique et que le compositeur l’a déplacé dans La Cenerentola ! Ce difficile air de bravoure vaut à Xabier Anduaga une très chaleureuse ovation.

Pour reprendre la formule que Stendhal applique à L’Italienne à Alger dans sa Vie de Rossini, c’est bien une folie « organisée et complète » qui est offerte au public du Théâtre des Arts et de toute la Normandie, le spectacle étant diffusé en direct sur de nombreux écrans de la région.

Les artistes

Almaviva : Xabier Anduaga
Figaro : Joshua Hopkins
Rosine : Lea Desandre
Bartolo : Riccardo Novaro
Basilio : Mirco Palazzi
Fiorello : Antoine Foulon
Berta : Julie Pasturaud

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Direction musicale : Antonello Allemandi
Mise en scène, scénographie, costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau
Chef assistant / Chef de chant : Frédéric Rouillon
Chef de chœur Chloé Dufresne

Le programme

Théâtre des Arts, Rouen, représentation du samedi 5 octobre 2019