Les festivals de l’été –
Beaune : de la Résurrection du Christ au Banquet Céleste

La Resurrezione, Festival de Beaune, 11 juillet 2025

L’oratorio La Resurrezione de Händel marque le retour du Banquet Céleste au Festival de Beaune

Le Festival de Beaune évolue

Le Festival international d’opéra baroque de Beaune affirme une certaine dynamique depuis la nomination du nouveau directeur ou “délégué général” Maximilien Hondermar. Soutenue par une armée de bénévoles toujours actifs aux quatre coins des spectacles, de nouvelles formules s’attachent à animer le centre-ville, par exemple la chapelle des Jacobins de la maison Jadot (la reine de la moutarde à Dijon) ; ou à créer un stage de chant choral baroque ; sans parler d’une nouvelle police typographique à l’ancienne dans les programmes… 

Le Festival s’étale sur les quatre week-ends du mois de juillet, chaque week-end offrant plusieurs concerts – car il s’agit d’un festival d’opéra en version de concert, et pour cause : il se déroule dans des lieux sacrés peu propices aux représentations. L’oratorio La Resurrezione de Händel résonne quant à lui dans la basilique-collégiale Notre-Dame. Il est toujours agréable de franchir le vaste porche de la basilique, construite sur le modèle de l’abbaye de Cluny, d’admirer les grandes orgues revisitées par le facteur Reipp au XVIIe s., et, au sortir d’une soirée passée sous les saintes voûtes, de s’attarder dans la fraîcheur estivale devant les colorations du mapping extérieur.

Voici un bel écrin mystique pour cette Resurrezione ô combien catholique. Mais il faut avouer que l’acoustique est, comme dans nombre d’églises, inégale. De même, le prix des places est élevé pour ce type de lieu et de représentation « concertante », favorisant des vacanciers de classe aisée : la dynamique du festival ne va pas jusqu’à encourager la diversité des publics moins favorisés… Beaune, capitale mondiale des grands vins, maintient un certain standing.

Du spectaculaire dans la musique elle-même

Haendel est le grand spécialiste de l’oratorio ; citons entre autres le fameux Messie (1741). La Résurrection (1708) est son premier essai, écrit à l’âge de vingt-trois ans. Le pape interdisant toute représentation opératique à Rome, ce genre est une alternative favorisant les effets dramatiques et spectaculaires. Lors de la création, un théâtre provisoire était aménagé dans un palais. Les deux personnages de l’Ange et de Marie Cléophas étaient chantés par des castrats. La fresque händelienne réserve des moments terribles mais aussi resplendissants. En effet, l’oratorio fait un choix osé : introduire la figure de Lucifer dans cet épisode de la vie de Christ, pour apporter des clairs-obscurs baroques.

À Beaune, un long entracte de trente minutes apporte une respiration entre deux parties d’une heure environ, elles-mêmes rythmées par une succession de récitatifs et d’airs. Le style händelien est très italien mais déjà d’une belle force et clarté, sans encore les subtilités mélodico-harmoniques que l’on connaîtra ; rares sont par exemple les chromatismes.

Des hauts et des bas dans la distribution

Une sinfonia d’ouverture fait entendre une belle cantilène au hautbois. Un ange demande à entrer dans les enfers. C’est la soprano Suzanne Jerosme, au timbre coloré, qui – de robe rouge vêtue – entame l’histoire de façon décidée et puissante, avec un dramatisme virtuose, des gammes effrénées, des trilles et un La aigu impressionnants lors du célèbre air de bravoure « Disserratevi, o porte d’Averno » (aria da capo en Ré). Le Christ est mort. Lucifer – en costume noir –, déclare qu’il n’a pas perdu ses forces. L’ange déchu est incarné par  Thomas Dolié, qui égrène de grands intervalles et affirme la profondeur de ses graves ; son registre étendu possède aussi des couleurs et un médium de baryton. Furieux, aux prises à des « puissances redoutables », il brave Dieu. Pendant ce temps à Jérusalem, avant d’entrer dans la grotte et d’embaumer son corps, Marie Madeleine et Marie Cléophas pleurent la mort de Jésus. Ce sont l’expressive soprano Céline Scheen et la magnifique alto (avec des potentialités de mezzo) Margherita Maria Sala – de gris et de rouge vêtues. Jean les rassure et leur redonne espoir car le Christ reviendra le troisième jour ; la voix veloutée du ténor Thomas Hobbs – également en costume noir – correspond bien à la sagesse du futur évangéliste. La seconde partie impose la victoire définitive du Christ, l’annonce de la bonne nouvelle ; elle se clôt par un chœur d’une énergie et d’une efficacité qui préfigure les grandes réussites de Händel.

Pour enclencher la théâtralité, Händel multiplie les figuralismes et les métaphores. Lorsque Marie Cléophas évoque le « frêle esquif voguant sur l’onde », une masse confuse et agitée aux cordes graves s’oppose à la fragile ligne mélodique signifiant l’espoir, accompagnée du doux chant des hautbois, des arpèges ascendants et des marches harmoniques. Ailleurs, la musique oppose clairement une « tourterelle » à des « oiseaux féroces ». Au début de la 2e partie, le « lever de soleil » est la métaphore de la nouvelle ère chrétienne ; la ligne du ténor surplombe les cordes graves bouillonnantes, traduisant musicalement l’ascension du Christ solaire au-dessus du chaos.  

Quelques nuances doivent être apportées concernant la musicalité. L’on regrette chez Céline Scheen et dans une moindre mesure Suzanne Jerosme un maniérisme des nuances rompant la continuité du volume sonore (comme lors de l’enchaînement appoggiature-finale). Cela estompe l’intelligibilité de la musique, surtout dans le contexte acoustique d’une église, et dissout l’homogénéité des voix. Par ailleurs, les timbres vocaux de Céline Scheen et Thomas Hobbs ne sont pas convaincants ; ces deux chanteurs connaissent également des limites dans les aigus. À l’inverse, Margherita Maria Sala n’accuse aucune faiblesse de ce genre, tant son timbre chaud est servi par un style intelligent, un phrasé cohérent, une diction efficace, une technique sûre ; une belle découverte musicale. L’ensemble de la distribution vocale est donc assez inégal, plutôt de bonne qualité, un peu en-deçà de ce que l’on peut entendre habituellement à Beaune, sans parler des grands festivals lyriques qui, par surcroît, proposent l’immense défi de la mise en scène.

Le beau retour du Banquet Céleste

La Résurrection convoquait un orchestre nombreux lors de la création : une cinquantaine d’instruments, notamment vingt violons (d’après les documents Ruspoli). C’est ce que nous propose Le Banquet Céleste, contenant force violons (1er violon, Marie Rouquié) et altos – jouant debout ! –, violoncelles, viole de gambe (Lucile Boulanger), contrebasse, luth, clavecin, orgue, hautbois (Patrick Beaugiraud), flûtes à bec (Marine Sablonnière, Nathalie Petibon), traverso, trompettes (Russell Gilmour, Jean Bollinger), trombone – dont la position très en arrière enlève un peu de l’éclat à certains passages. Le Banquet Céleste, qui ne s’est pas produit à Beaune depuis 2019, est d’une belle énergie. Les moments où jouent les solistes sont savamment expressifs et justes. Saluons en passant les engagements sociaux et écologiques de cet orchestre, grâce à son inscription dans le réseau Arviva-Arts vivants.

Le public a applaudi chaleureusement l’ensemble des artistes avant de s’en retourner dans les ruelles bourguignonnes en passant une dernière fois sous le porche ciselé et les grandes orgues endormies de la Basilique Notre-Dame.

Les artistes

Angelo : Suzanne Jerosme
Maddalena : Céline Scheen
Cleofe : Margherita Maria Sala
Giovanni : Thomas Hobbs
Lucifero : Thomas Dolié

Le Banquet Céleste

Le programme

La Resurrezione

Oratorio de Georg Friedrich Haendel, livret de Carlo Sigismondo Capece, créé au palais Bonelli de Rome le 8 avril 1708
Beaune, Basilique Notre-Dame, concert du vendredi 11 juillet 2025.