Orphée ressuscité à Versailles

La morte di Orfeo (Stefano Landi), Versailles, 18 juin 2025

Quelle soirée ! Quelle réussite !

La morte dOrfeo de Stefano Landi est une œuvre malheureusement trop oubliée, éclipsée par l’Orfeo de Claudio Monteverdi (donné ici même par Les Épopées en novembre dernier), voire l’Euridice de Jacopo Peri[1]. Pourtant, sa musique, son dramatisme en font une partition puissante et innovante tant par le sujet si rarement traité que par des moments comiques qui s’insèrent dans une trame profondément dramatique.

Un opéra ? Une tragicomedia pastorale en cinq actes et deux heures de musique. Landi a choisi de nous faire vivre la suite de l’histoire que racontait l’opéra de Monteverdi une douzaine d’années auparavant. Il s’agit donc de la mort du poète, fils d’Apollon et de Calliope, déchiqueté par les Ménades jalouses de sa fidélité à son Eurydice perdue.

Cette partition – qu’il dirige comme toujours de son clavecin – Stéphane Fuget le connait bien. J’avais eu la chance de l’écouter il y a plus de cinq ans, lorsqu’il le proposa dans un autre tout autre cadre, celui du département de musique ancienne du CRR de Paris où il anime la classe, unique en France, d’opéra baroque. Avec seulement cinq instrumentistes et neuf jeunes chanteurs, il installait une tension musicale qui ne faiblissait jamais, source de drame et d’émotion.

À Versailles, accompagnant onze chanteurs, l’orchestre de onze musiciens changeait la donne et répondait à la moindre inflexion dessinée par le chef dans ce qui fait la marque de fabrique des Épopées : une  étoffe, riche de couleurs et de profondeur, déployée dans un geste musical, intense, qui ne cesse de varier les climats. Alors que violoncelle, basse de viole et contrebasse assurent une assise profonde et riche, là où les deux cornettistes se font parfois flutistes et ornementent avec virtuosité ; les deux violonistes distillent une douceur mélancolique ; théorbes et guitares créent un tissu magique, amplifié par une harpe subtile, mais parfois légèrement en retrait. Quant à Nora Dargazanli au clavecin, orgue positif et régale, son investissement de tous les instants est jubilatoire. La spatialisation des voix qui se répondent et dialoguent de cour à jardin, jusqu’à cet effet subtil d’écho à la fin de l’acte III, ajoutait au pur plaisir musical.

Autre caractéristique de l’ensemble : l’attention à la déclamation, basée sur des années de pratique instrumentale, de recherches organologiques et de réflexions très approfondies du chef sur le récitatif. À tout moment, le texte est magnifié. Dans ce parlar cantando cher à Monteverdi comme à Landi, Stephane Fuget donne clairement le ton : « Prima le parole », sans bien sûr aucunement sacrifier la musique, au contraire. Et l’art de l’ornementation est porté à un point extrême. Les multiples madrigaux venant ponctuer l’œuvre, à deux, trois… ou dix voix, prennent un relief tour à tour éclatant, grandiose, délicat, poétique. Le duo de basses de la fin du premier acte s’est inséré ainsi au cœur d’un moment de polyphonie majestueux, chaque fin d’acte étant souligné par de pures magnificences vocales et madrigalesques par un chœur formé de tous les solistes.

L’Orphée de Juan Sancho fut élégiaque dans l’acte II, solaire dans le quatrième. Le timbre, l’agilité confondante dans les ornements d’une redoutable vélocité ont fait de son interprétation un grand moment dans un concert qui n’en manquait pas – de la première intervention de Claire Lefilliâtre en Thetis, à la bouleversante intervention de la Calliope dessinée par Isabelle Druet, au quatrième acte. C’est le baryton Vlad Crosman qui a incarné ce messager du malheur et qui sut, par un chant déchirant, d’une retenue, d’une intériorité rare, rendre ce moment si fort qu’Isabelle Druet en grande comédienne, a réellement pleuré la mort d’Orphée. Et puis il y eut la tendresse de l’Euridice campée par Hasnaa Bennani, alors que Anaïs Yvoz et Floriane Hasler rivalisaient de séductions vocales. Le contre-ténor Paul Figuier a chanté un Mercure aérien et un Bacchus truculent. L’Apollon nuancé du ténor Marco Angioloni a contrasté avec les voix des deux basses, aussi profondes que l’Averne : Alessandro Ravasio a rendu Caron terrifiant et Alexandre Adra a campé un Jupiter impérial.

C’est un plateau de très haut vol qui a proposé cette Mort d’Orphée si rare. Heureusement que cette soirée mémorable venait, avec une intensité fulgurante, clore quatre journées d’enregistrement de l’œuvre. Vivement le disque !

[1] Au programme de la saison prochaine, le 8 avril 2026, par les mêmes interprètes.

Les artistes

Orfeo : Juan Sancho
Euridice, Primo euretto : Hasnaa Bennani
Teti, Nisa : Claire Lefilliâtre
Calliope : Isabelle Druet
Mercurio, Bacco, Terzo euretto : Paul Figuier
Aurora, Lincastro : Anaïs Yvoz
Fosforo, Secondo euretto : Floriane Hasler
Fato, Fileno : Vlad Crosman
Ireno, Apolline : Marco Angioloni
Furore, Caronte : Alessandro Ravasio
Ebro, Giove : Alexandre Adra
Les Épopées, dir. Stéphane Fuget

Le programme

La morte di Orfeo

Tragi-comédie pastorale en cinq actes de Stefano Landi, créée à Rome en 1619.
Salon d’Hercule du Château de Versailles, concert du mercredi 18 juin 2025.