« L’Amour à la française », concert péripatéticien joyeux

Hervé Niquet et les Solistes de l’Académie de l’Opéra-Comique, en association avec l’Opéra-Comique, le Palazzetto Bru Zane – Centre de Musique Romantique Française et le Musée d’Orsay, présentent sous les voutes du musée un « spectacle déambulatoire », concert vocal de musique dite « légère », pour définir l’Amour à la Française

Paris sera toujours Paris, et pour nos visiteurs d’Outre-Manche ou d’Outre-Atlantique, ce « Gay Paree » (pas d’anachronisme, s’il vous plait !) qui mène le Baron de Gondremarck à venir s’en mettre jusque-là dans La Vie parisienne de Jacques Offenbach, opéra-bouffe crée en 1866 pour coïncider avec l’Exposition Universelle de 1867. Paris, ville des plaisirs, vieux fantasme, et il est assez cocasse que ce concert intitulé « L’Amour à la Française » se passe dans le musée parisien qui abrite l’Olympia de Manet qui, en son temps (1863), souleva tant de protestations, et Les Romains de la Décadence de Thomas Couture (1847), allégorie à peine voilée des pratiques du temps, et qu’il ait lieu en cette année préolympique.

L’idée d’un parcours musical au sein d’un musée n’est certes pas nouvelle mais toujours intéressante ne serait-ce par la confrontation entre musique, peinture et sculpture, réunissant des œuvres que par leur nature on a tendance à séparer et qu’il s’agit ici de mettre en résonance. Ce spectacle reconduit les artistes et le propos de la série de représentations qui se sont déroulées Salle Favart en octobre dernier et la déambulation est ici limitée par la nécessité du point d’ancrage du piano. Elle commence dans la grande nef mystérieusement enténébrée, près du carré des sculptures, monte vers les cabinets devant l’Origine du monde de Courbet (pour mon groupe de gauche) sous la houlette d’une des chanteuses, avant de revenir dans la nef au son d’« Il nous faut de l’amour » de La Belle Hélène d’Offenbach, de stationner devant Les Romains de la Décadence et de finir devant les marches menant aux grands formats de Courbet. Des accessoires en forme d’éventail ou d’affiches présentent d’autres tableaux comme l’Olympia ou Le Déjeuner sur l’herbe de Manet.

Un texte, dont on suppose qu’il émane d’Héloïse Sérazin, la metteuse en scène cherche avec gravité à définir ce qu’est l’Amour à la française et relie ces airs ou ensembles qui posent avec légèreté, élégance, jeux de mots et doubles sens, des questions essentielles et toujours d’actualité sur l’amour, le sexe, le mariage et l’adultère. Le répertoire choisi se trouve grosso modo en accord avec les œuvres exposées au Musée d’Orsay, qui balayent la période de 1848 à 1914, avec les précurseurs de l’opérette et de cette musique dite « légère » comme Hervé et les très oubliés Laurent de Rillé et Frédéric Toulmouche ; ceux dont seule une œuvre parmi toutes les leurs résonne encore dans les souvenirs, ô foules inconstantes, ô peuples ingrats et sans mémoire !, comme Louis Varney des Mousquetaires au couvent ou Edmond Audran de La Mascotte ; et ceux dont la cote est encore solide dans ce siècle marchand adonné au Black Friday et aux marchés de Noël, Jacques Offenbach, Jules Massenet, Reynaldo Hahn et André Messager. Il n’y manquait, mais je m’égare, que le Phi-Phi de Christiné, dont on ne peut que souhaiter l’exhumation.

À côté d’extraits des valeurs sûres et confirmées de L’Amour masqué de Messager, de O mon bel inconnu de Reynaldo Hahn, de La Vie parisienne, La Périchole et des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, on trouvait des pépites comme Le Petit Poucet de Laurent de Rillé. Le séduisant quatuor féminin de Camille Chopin et Florianne Derthe, sopranos, et Juliette Gauthier et Marion Vergez-Pascal, mezzo-sopranos, a défendu avec verve et élégance son point de vue sur la chose, mettant en déroute un Don Juan de pacotille incarné avec grâce par le ténor Abel Zamora, faisant sonner les échos de la grande nef et partager aux auditeurs le plaisir de leur complicité dans ce gracieux marivaudage, avec le concours d’Héloïse Bertrand au piano. Un délice !

Les artistes

Camille Chopin, soprano ;
Florianne Derthe, soprano ;
Juliette Gauthier, mezzo-soprano
Marion Vergez-Pascal, mezzo-soprano
Abel Zamora, ténor
Héloïse Bertrand, piano
Héloïse Sérazin, mise en scène

Hervé Niquet et Alexandre Dratwicki, direction artistique

Le programme

Louiguy (1916-1991)
La Vie en rose, pour piano seul

André Messager (1853-1929)
Passionnément, Couplets de Julia, « L’amour est un oiseau rebelle »

Reynaldo Hahn (1874-1947)
Ô mon bel inconnu, Trio transformé en quatuor, « Ô mon bel inconnu »

Louis Varney (1844-1908)
L’Amour mouillé, Couplets de Carlo, « En ce bas monde, Toute femme me plaît »
Miss Robinson, Duo transformé en quintette, « Je ne vous dis que ça Lily », « Capédiou »

André Messager (1853-1929)
Le Bourgeois de Calais, Couplets, « Vous êtes une femmelette »

Laurent de Rillé (1824-1915)
Le Petit Poucet, Duo, « L’Amour ? Qu’est-ce donc que l’amour ? »

Frédéric Toulmouche (1850-1909)
La Saint-Valentin, Couplets de Maud, « Le Flirt »

André Messager (1853-1929)
L’Amour masqué, Couplets, « J’ai deux amants, c’est beaucoup mieux »

Jacques Offenbach (1819-1880)
La Vie Parisienne, air de Gabrielle, « Je suis veuve d’un colonel »

Reynaldo Hahn (1874-1947)
Ô mon bel inconnu, Duo, « Mais… vous m’avez pincé le derrière ! »

Edmond Audran (1840-1901)
Les Petites Femmes, Couplets de Cécile, « On a, dit-on, chacun sa destinée »

Jacques Offenbach (1819-1880)
La Périchole, air de la Périchole, « Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche ».

Hervé (1825-1892)
La mère des compagnons, Couplets de Gaston, « Depuis la naissance du monde », « Cherchez la femme »

Reynaldo Hahn (1874-1947)
Ô mon bel inconnu, Strophes, « C’est très vilain, d’être infidèle »

Jules Massenet (1842-1912)
Don César de Bazan, Duo nocturne, « Aux cœurs les plus troublés, la nature sourit »

Jacques Offenbach (1819-1880)
Les Contes d’Hoffmann, Barcarolle

Louiguy (1916-1991)
La Vie en rose, quintette et piano

L’Amour à la française, 28 et 29 novembre 2023, Musée d’Orsay.