LES GÉNÉRATIONS DU FESTIVAL D’AMBRONAY –
Carnet de bord 3/3 : : Baroque, mais pas que !

Au cœur du Bugey (Ain), le dernier week-end du festival d’Ambronay déploie une offre de choix. Les atouts sont toujours ceux du lieu – l’abbatiale – et des « Générations Ambronay », thématique de cette 44e édition. En effet, depuis la fondation du Centre Culturel de Rencontre (2003), la présence d’artistes et d’orchestres fidélisés est un atout pour les (générations de) publics !

Le dernier jour du 44e Festival d’Ambronay est un feu d’artifice des Générations Ambronay : le matin avec l’ensemble La Palatine (Académie d’Ambronay en 2021), l’après-midi avec Stéphanie d’Oustrac (Académie en 1998) et Vincent Dumestre (Académie en 1993), le soir avec les Quattro stagioni sous les jeunes archets du Consort.

Les nocturnes de La Palatine

Ensemble sélectionné par le programme européen EEEmerging+, La Palatine présente sa troisième prestation au festival d’Ambronay, après leur premier album paru sous le label Ambronay éditions (Il n’y a pas d’amour heureux, 2022) et chroniqué par notre rédacteur en chef.

Spécialement conçu pour la salle Monteverdi de l’Abbatiale, Au fil de la nuit est une sorte de Livre d’heures nocturnes tour à tour dansantes, rêveuses et amoureuses jusqu’à l’aurore. Fondé en 2019, le jeune quatuor explore ici un répertoire en partie inédit d’airs de cour du XVIIe siècle, de chansons traditionnelles (du Béarn au Bourbonnais) et de pièces instrumentales langoureuses (Les Ombres) en y interpolant plusieurs titres de la chanteuse Barbara. Ce parcours hétérogène, construit avec intelligence et sensibilité, favorise de subtils échos entre bergers et bergères de tout temps (poésie), comme de subtils enchaînements musicaux. Le réveil sonne avec l’ostinato instrumental d’ « Aux plaisirs, aux délices bergères ».

Autre atout, ce cheminement buissonnier valorise chaque artiste de La Palatine, tant le délicat théorbiste Nicolas Wattinne (en sus de guitare, flûte à bec) que la gambiste raffinée, Noémi Lenhof, ou que le claveciniste Guillaume Haldenwang, arrangeur talentueux des chansons traditionnelles et de Barbara. Marie Théoleyre, soprano au timbre fruité, déploie une aisance dans tout registre et une sincérité solaire dans quelque genre qu’elle aborde. Elle joue la simplicité primesautière de la chanson, l’éloquence précieuse de l’air de cour et se confronte avec naturel au répertoire de Barbara en glissant sur les allitérations … comme la dame en noir. Relevons quelques pièces marquantes qui scellent la complicité des quartettistes, telle Amarante de François Richard pour le processus de variation au fil des entrées, ou bien la virtuosité chaloupée (syncopée) de « Si tu veux apprendre les pas à danser » de Pierre Guédron, d’ailleurs sélectionné en bis. Quant au Sommeil de Barbara, son intimité poétique nous soulève sur les ailes d’oiseaux au clair de lune. Un doux voyage au bout de la nuit …

Les amants de la Saint-Jean : une nouvelle Voix humaine ?

Dans la pénombre de la scène pas encore installée, une accordéoniste s’échauffe, une régisseuse en salopette noire installe les pupitres et esquissant Voi che sapete sur les basses de l’accordéon … Le spectacle de music-hall  a débuté, furtivement, avant même l’entrée des sept musiciens du Poème harmonique. Cette étape décisive du montage d’un spectacle n’est pas seulement une astuce destinée au public, mais elle nourrit la dramaturgie du tour de chant de Stéphanie d’Oustrac, Mon amant de Saint-Jean, en affinité avec Vincent Dumestre. Dans la fiction, la chanteuse est successivement régisseuse sur le retour d’une carrière de diva, jeune recrue exploitée par son impresario (mélancolique chanson, La Fille au roi Louis), héroïne des premiers opéras vénitiens (Monteverdi, Cavalli) dans ses somptueuse atours baroques, enfin chanteuse de music-hall dans un élégant pantalon-bustier. Ce jeu d’échos entre passé et présent s’organise autour du répertoire vocal amoureux, décliné au féminin. Pour assurer le job, l’artiste à la belle carrière déploie ses qualités de prosodie et de caractérisation vocale comme scénique. Avec le Poème harmonique, ce jeu prend une forme originale par la coloration d’instruments anciens, regroupés autour de l’excellent luthiste Vincent Dumestre, mêlée à l’accordéon d’Ambre Vuillermoz. Le tout dans de subtils arrangements à la Kurt Weil ou à la baroque, signés par Vincent Bouchot. Côté lamento vénitien (Lamento d’Arianna), l’interprétation vocale vire au grandguignolesque, bien que le sens tragique soit indéniablement dans les cordes de l’artiste. Côté music-hall, d’Oustrac se place dans le sillage d’Yvette Guilbert, célèbre diseuse des chansons canaille de la Belle Epoque, mais aussi des Vieilles Chansons de France (alors arrangées par Séverac).  Liés par des monologues d’une souveraine maîtrise, les numéros s’enchaînent avec humour, dérision, effets irrésistibles (les yodels des Canards tyroliens), sans reléguer le pathétique violent des Petits pavés de M. Vaucaire. Le show se clôt sur la célèbre rengaine Mon amant de Saint-Jean (E. Carrara), une lettre de rupture plus crue que celle de La Périchole ! On peut toutefois regretter les choix quasi unanimes de la narratrice – la défaite des femmes – à l’exception des érotiques Nuits d’une demoiselle (de G. Breton et R. Legrand) célébrant le plaisir féminin à coup d’expressions imagées. Entre temps, les instrumentistes, bouillonnants dans la Canzone de J. Vierdanck, manient également l’humour si l’on prête l’oreille au canard échappé de Pierre et le loup ou accents tango du bis (Tango stupéfiant, Marie Dubas en 1936). Ce spectacle bluffant, grand succès public, ne peut qu’activer celui de l’album au titre éponyme (cd Alpha Classics, 2023).

Quattro stagioni avec Théotime Langlois de Swarte

Symboliquement, c’est la jeune génération d’Ambronay qui clôture cette 44e édition avec Le Consort et Théotime Langlois de Swarte, violoniste concertiste et chef du jeune ensemble baroque. S’attaquer au monument culturel des Quattro stagioni d’Antonio Vivaldi est un défi de taille, mais leur album Vivaldi (Specchio Veneziano , Alpha Classics) fut une belle rampe de lancement. Ce soir, les quatre musiciens fondateurs du Consort élargissent leurs rangs pour proposer un nouvel imaginaire lié à ce cycle de la virtuosité violonistique. En lever de rideau, le jeune prodige confie que son écoute dans l’enfance a déclenché sa vocation, à l’instar de quantité de collègues.

Deux vecteurs du concert renouvellent l’écoute des Quattro stagioni face au public qui remplit l’immense Abbatiale. Le premier semble résider dans la proximité et le rajout de pièces vivaldiennes en préambule des Concerti – qui une improvisation au clavecin par Justin Taylor, qui un mouvement dans la tonalité future du Concerto ou encore la Tempesta di mare d’un opéra. Le second instaure une sorte de bipolarisation des tempi. Chaque mouvement lent (de l’Adagio au Largo) est étiré pour exalter son lyrisme vocal (le Vivaldi des opéras vénitiens) dans des nuances pianissimi. Chaque mouvement rapide (qu’il soit Allegro ou Presto) est poussé au maximum de la vitesse métronomique, un tempo d’enfer incroyablement assumé par les pupitres de violons, de l’altiste et du formidable continuo, en sus de l’énergique soliste. Associé à ce goût de la vitesse, le jeu éruptif (fusées mélodiques dont on perçoit la première et dernière note) et le Forte uniformisent ces mouvements rapides, à l’exception des délicieux gazouillis susurrés au début du Printemps. Dès lors, comment goûter à la ronde des saisons dans une telle bipolarisation ? Avouons-le, ce nouvel imaginaire plaît au public qui acclame les musiciens et réclame son bis.

Autant nous avons follement apprécié le récital W. Christie / T. de Swarte de la veille, autant cette performance nous laisse perplexe par son absence de nuancier et donc, de poésie. Cet imaginaire « olympique » serait celui de notre décennie ? A vous de répondre, après votre écoute sur France.tv / Culturebox !

Les artistes

. La Palatine
Marie Théoleyre, soprano
Noémi Lenhof, viole de gambe
Nicolas Wattine, théorbe, guitare, flûte à bec
Guillaume Haldenwang, clavecin, orgue

. Mon amant de Saint-Jean :
Stéphanie d’Oustrac, mezzo soprano
Le Poème harmonique, dir. Vincent Dumestre

. Les Quatre saisons : ensemble Le Consort, Théotime Langlois de Swarte, violon et direction

Le programme

. La Palatine : Œuvres de Guillaume Chastillon de la Tour, François Richard, Pierre Guédron, Etienne Moulinié, François Dufaut, Du Buisson, Antoine Boësset, Barbara, et œuvres anonymes.

. Mon amant de Saint-Jean : Œuvres de Marin Marais, Georges Martine & Ted Grouya, Johann Vierdanck, Cluadio Monteverdi, Francesco Cavalli, Paul Marinier, Raymond Legrand, Léon Fossey & Thérésa, C. A. Cachan, Emile Carrara.

. Les Quatre saisons : Antonio Vivaldi, Adoramus te (transcr.) ; Concerto RV 356 ;  Concerto RV 357 ; Concerto RV 813 ; Concerto La Primavera RV 269, Concerto L’Estate RV 315 ; Concerto L’autunno RV 293 ; Concerto L’Inverno RV 297 ; « La tempesta di mare » (La Fida ninfa) .

Concerts donnés le dimanche 08 octobre dans le cadre du Festival d’Ambronay.