Les festivals de l’été –
Cap vers l’Italie (2/2) avec I Gemelli aux Semaines musicales de Quimper

Au cœur de la Cornouaille, la 44e édition des Semaines musicales de Quimper choisit le cap des « Nuits italiennes » du 16 au 20 août. Sous les voûtes de la cathédrale Saint-Corentin, l’ensemble I Gemelli exporte la vocalité théâtrale du Seicento avec un duo de ténors ébouriffants : Emiliano Gonzalez Toro, Anders J. Dahlins.

Un festival au cœur de la Cornouaille

Depuis quelques éditions, les Semaines musicales de Quimper se diversifient sous le directeur de programmation Andoni Aguirre. Du chœur citoyen au concert apéro au bar éphémère, des tarentelles traditionnelles au récital lyrique, tout public trouve son bonheur, y compris celui de se détendre lors d’un atelier « massages sonores ». D’autant que les lieux investis permettent de musarder dans le cœur historique de la cité, entre les Jardins de l’Evêché au pied des rives de l’Odet et les rues piétonnes bordées de demeures à colombages.

Première Loge assiste à deux concerts dont la qualité pourrait vous inciter à séjourner dans la fraîcheur finistérienne … et son brumisateur naturel !

I Gemelli : jubilatoires !

Furieusement baroque, l’ensemble I Gemelli est un OVNI de la scène européenne depuis sa fondation en 2018. Dès leur apparition, leurs découvertes du XVIIe siècle italien (Seicento) collectionnent tant les succès en concert que les distinctions discographiques, sous l’impulsion de leur chef, le ténor Emiliano Gonzalez Toro.

Pour la soirée de clôture des Semaines musicales, I Gemelli enflamment l’auditoire en « jouant » les saynètes des airs issus de leur album A Rooms of Mirrors ( Gemelli factory, 2022) avec un charisme et une musicalité hors pair. Devant le chœur de Saint-Corentin, cette théâtralité d’un Cabinet des miroirs décline tous les effets du Seicento : exubérance, surenchère, mouvement en contrastes, ornementation. Au prisme de cette esthétique, I Gemelli apportent leurs spécificités qui les distinguent dans la planète baroque : ils sont découvreurs d’œuvres (en compagnie de musicologues) et leur virtuosité spectaculaire est autant instrumentale que vocale. En outre, Emiliano Gonzalez Toro est aussi un conteur humoristique lorsqu’il présente les pièces en un tour… de paroles et de mimiques.

Du côté de la sélection d’airs, duos et pièces instrumentales, l’auditoire est comblé de découvrir les compositeurs tels Castaldi, D’India, Calestani, Castello, Marino, empreints de l’influence de Monteverdi comme le directeur de la programmation (A. Aguirre) l’explique au public. Ne pouvant évoquer ici la surprise que ménagent les 12 pièces, je me limite à un échantillon représentatif. Très commedia dell’arte, la Damigella tutta bella de Vicenzo Calestani est sorte de joute masculine burlesque, située au comptoir d’un bar. Le duo vocal s’arboute sur la section rythmique pulsée par les cordes pincées : un swing dynamique qui recueille une réception enthousiaste… jusqu’au bis du concert ! Dans le registre élégiaque, Dove ten’vai de Francesco Turini sculpte les vers entrelacés d’Orfeo et de l’Allégorie « dolcissima » lors de l’arrivée aux Enfers. L’écriture se rapprocherait-elle de celle de l’Orfeo d’A. Sartorio ? Toutefois, la palme de la créativité surgit de pièces signées par Sigismondo d’India (ca 1582-1629). Celle instrumentale, d’une audace contrapuntique et d’une émotion contenue, précède le lamento de Tancrède (Giunto alla tomba) aux ruptures éloquentes. L’intrusion du stile concitato est probablement une allégeance au Combattimento di Tancredi e Clorinda de son contemporain Monteverdi.

Côté interprètes, les duos de ténors jouent de timbres différenciés, « en miroir ». A celui corsé (voire barytonné dans le grave) et velouté d’Emiliano Gonzales Toro, répond celui d’Anders J. Dahlin (relevant le défi sans être l’interprète de l’album), clair et d’une projection plus allégée. De ce fait, leurs duos alternés déploient les volutes avec brio (dont la chaconne conclusive de Gregori), tandis que les duos simultanés créent une couleur mixte, qui enrichit celle de l’instrumentarium déjà chromatique. Si le programme privilégie la virtuosité dans de joyeux tempi dansants, l’expression douloureuse est également investie. Tel le recueillement meurtri de Tancrède sur la tombe de Clorinde (Giunto alla tomba) par le ténor Gonzales Toro, tels les pleurs de l’amoureux (Piangono al pianger mio ) par son homologue Dahlin. N’omettons pas la tendre pastorale en duo (Dialogo della rosa, Marino) qui s’épanche dans le voluptueux accompagnement instrumental.

Car l’ensemble de huit instrumentistes brille par son excellence et son autonomie réactive, en dépit d’un placement derrière les ténors. La prépondérance des cordes pincées (clavecin, luth, théorbe, guitare, harpe) sur celles frottées s’avère une richesse exploitée par des combinaisons variées au fil des pièces. Ainsi, la guitare exubérante de Elias Conrad, théorbiste également accompli, répond au scintillement de la harpe baroque à 3 rangées de cordes, sous les doigts de Marie-Domitille Murez. Peu après l’excellent tandem basse de viole/ gambiste (pièce de D’India), les deux violonistes rivalisent  quant à elles de leurs archets endiablés (souplesse inégalée de Stéphanie Paulet), tout en faisant virevolter les ritournelles de la Sonata a quattra de Dario Castello.

Après ces belles soirées chroniquées par Première Loge, prenons date pour l’édition 2024 des Semaines musicales de Quimper : une escale en Espagne, du 14 au 18 août.

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Pour aller plus loin :

14 octobre 2023 : Il Ritorno di Ulisse in patria de C. Monteverdi aux Concerts d’automne de Tours et le 28 octobre 2023 à l’Opéra de Nantes, avec E. Gonzales Toro, A. J. Dahlin, Fleur Baron, Z. Wilder, etc.

Les artistes

Ensemble I Gemelli, dir. Emiliano GONZALEZ TORO.

Emiliano GONZALEZ TORO, ténor
Anders J. DAHLIN, ténor
Louise PIERRARD, viole de gambe
Annabelle LUIS, basse de violon
Violaine COCHARD, clavecin/orgue
Stéphanie PAULET, violon
Marie-Domitille MUREZ, harpe
Leonor DE LERA, violon
Elias CONRAD, théorbe et guitare
Vincent FLÜCKIGER, luth

Le programme

A room of mirrors

Bellerofonte Castaldi : Quella che tanto – Francesco Turini : Dove ten’vai – Biagio Marini : La vecchia innamorata – Sigismondo D’India : Langue al vostro languir ; Giunto alla tomba – Andrea Falconieri : Folia echa para mi señora – Girolamo Frescobaldi : Se l’aura spira – Vicenzo Calestani : Damigella tutta bella – Sigismondo D’India : Piangono al pianger mio – Dario Castello : Sonata Quarta – 11. Giambattista Marino : Dialogo della rosa – Annibale Gregori : Mai non disciolgasi.

Concert du 20 août 2023, Semaines musicales de Quimper