Les festivals de l’été –
Musicancy : retour gagnant des Curious Bards en terre bourguignonne

Sublimation à Ancy-le-Franc et Mini-concert hors les murs à Pimelles

Trois semaines après un premier week-end enthousiasmant, Musicancy donnait rendez-vous à ses festivaliers les 29 et 30 juillet pour un cycle de concerts de la formation The Curious Bards spécialisée depuis huit ans dans les musiques traditionnelles d’influences gaéliques, celtes et scandinaves. Ces deux rendez-vous musicaux ont fait souffler sur le Tonnerrois une rafraichissante brise venue du nord de l’Europe !

Une nuit scandinave

Entre autres vertus, les petits festivals comme celui d’Ancy-le-Franc cultivent celles d’attirer au concert un public qui ne fréquente pas nécessairement les grandes maisons d’opéra et de mettre en lumière des formations qui, tout en creusant un sillon musicologique original et exigeant, ne bénéficient pas toujours de l’exposition médiatique et artistique qu’elles méritent.

Ce samedi 29 juillet, Musicancy offrait l’opportunité aux mélomanes bourguignons de retrouver les musiciens de l’ensemble The Curious Bards qui se sont déjà produits à Ancy-le-Franc en 2022 et qui semblent avoir noué avec l’équipe du festival et cette petite région du Tonnerrois un lien de complicité et de confiance réciproque. Pour des raisons de météo capricieuse, le concert initialement prévu dans la cour du château est programmé dans un immense salon aux murs peints à fresque des blasons de la famille de Clermont-Tonnerre qui fit construire Ancy au XVIème siècle. Dénommé salle des gardes et surmonté d’un grand portrait équestre du roi Henri III qui séjourna au château, ce salon s’avère in fine un choix judicieux pour accueillir un programme original de danses et de chansons scandinaves du XVIIIe siècle concocté par Alix Boivert, musicologue, violoniste et fondateur des Curious Bards en 2015 au terme de ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon.

Après s’être fait une spécialité du répertoire populaire irlandais et écossais du XVIIe siècle jusqu’à en enregistrer les pièces les plus significatives pour Harmonia Mundi en 2017 (un second opus consacré au même répertoire sera disponible dès le 1er septembre 2023 sous le même label), les Curious Bards proposent sous le titre Sublimation une plongée dans la musique nordique qui est l’aboutissement de tout un méticuleux travail de récolement de partitions qui, pour la plupart, n’ont jamais été imprimées et sommeillaient sur les pages manuscrites de carnets conservés dans les bibliothèques d’Oslo et de Stockholm. Il en résulte un concert éminemment pédagogique au cours duquel Alix Boivert, avec un enthousiasme communicatif, présente chaque œuvre, la contextualise et disserte avec passion d’instruments aussi improbables que la nyckelharpa (une vielle à clavier), le cistre suédois ou le hardingfele (appelé aussi violon Hardanger) qui se caractérise par la présence, sous le chevalet, de cordes sympathiques qui résonnent avec les cordes frottées par l’archet et conférent à cet instrument une richesse de son inouïe.

Dans la pénombre qui envahit progressivement le grand salon du château d’Ancy-le-Franc, la prestation des Curious Bards séduit immédiatement l’oreille du spectateur par la sincérité et l’énergie tellurique que chacun des quatre instrumentistes met à faire revivre un répertoire largement méconnu. Qu’il s’agisse de Sarah Van Oudenhove, gambiste virtuose dont la silhouette semble échappée d’une toile de Pieter de Hooch, de Jean-Christophe Morel dont les doigts font tinter les cordes de son cistre comme s’il était la réincarnation d’Ossian, ou de Colin Heller, musicien largement autodidacte qui habite chacune des pièces du concert d’un jeu intériorisé et d’une vraie jubilation à partager son art, tous les Curious Bards forment autour d’Alix Boivert, leur mentor, une vraie troupe où circulent en permanence des œillades complices, des sourires de grands adolescents béats et un authentique plaisir à partager la musique avec le public.

Parmi les nombreuses danses inscrites au programme de ce concert aux saveurs nordiques, le spectateur néophyte retient notamment la Polonesse d’Anders Larsson et son introduction jouée pizzicato avant que la mélodie ne se développe sur un tempo alangui, la Vals d’Ole Olsen Kruge dont le rythme chaloupé à trois temps est encore empreint d’accents villageois ou bien encore la pièce anonyme intitulée Madame Trifes Liri e Dans au cours de laquelle Alix Boivert et Colin Heller se livrent un véritable duel de violons sur un enchainement de rythmes country électrisants !

Mais pour les amateurs de chant, c’est la présence à Ancy-le-Franc de la mezzo grecque Ilektra Platiopoulou qui vient encore rehausser la performance des Curious Bards et donner tout son sel à ce concert de musique populaire scandinave. La coopération entre tous ces jeunes artistes ne date pas d’aujourd’hui puisque certains d’entre eux se connaissaient avant même la création du groupe et c’est tous ensemble qu’ils ont déjà travaillé à l’enregistrement de deux albums. Pour Musicancy, les Curious Bards se sont donc adjoint une fois encore le talent de leur chanteuse mascotte et ont composé autour d’elle un programme qui allie, en plus des danses populaires déjà mentionnées, un ensemble de sept chansons qui vont comme un gant au timbre rond et opulent d’Ilektra Platiopoulou.

Dès la chanson suédoise Spelaren, la chanteuse originaire de Salonique fait entendre une voix aux riches harmoniques et laisse entrevoir un tempérament de comédienne qui lui permet d’utiliser au mieux les quelques minutes de chaque mélodie pour camper immédiatement une atmosphère et raconter une véritable histoire aux spectateurs : œillades, gestes des mains et attitudes théâtrales n’ont rien d’artificiel mais viennent au contraire soutenir le chant pour le rendre mieux intelligible.

Les couplets mélancoliques de Konung Eric och Spakvinnan dévoilent une autre facette du talent de la chanteuse. À l’opposé de la gouaille dont elle sait faire montre, on y découvre cette fois une fine musicienne habile à filer de longues notes et à chanter legato de manière à toucher les cœurs aussi bien que les oreilles du public, qualités que met aussi en avant l’interprétation très intériorisée d’une mélodie norvégienne héritée du Moyen-Âge intitulée Signe Lita.

Ce qui séduit chez Ilektra Platiopoulou, c’est l’aisance avec laquelle cette généreuse voix du sud – idéalement faite pour chanter le répertoire baroque italien, le bel canto rossinien et les mélodies helléniques gorgées de soleil dans lesquels elle excelle déjà – réussit à s’acclimater aux mélodies scandinaves dénichées par Alix Boivert ! Il faut pour cela un solide bagage technique et un talent d’interprétation dont la chanteuse grecque n’est pas avare sur scène tant son chant se révèle d’une débordante générosité.

La surprise musicologique de ce concert ô combien riche en découvertes provient d’une chanson suédoise composée au début du XIXe siècle par Arvid Afzelius : Necken. Lorsqu’Ilektra Platiopoulou l’entonne dans un silence recueilli, sa voix flottant sur le velours des arpèges de la viole de Sarah Van Oudenhove, un sentiment de « déjà entendu » met immédiatement en action la mémoire musicale du spectateur jusqu’à rapidement identifier la mélodie de « Pâle et blonde, dort sous l’eau profonde » chantée au IVe acte par Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas. Cette ballade défendue ordinairement par les voix plus claires de Natalie Dessay et Sabine Devieilhe n’est donc pas tout du cru d’Ambroise Thomas : au moment de composer la mort d’Ophélie, pour donner une tonalité authentiquement nordique à la partition de son opéra consacré au prince danois Hamlet, le compositeur est allé piocher dans le répertoire des chansons populaires suédoises d’Afzelius la source de son inspiration… Ce n’est pas le moindre des mérites des Curious Bards que de nous avoir enfin permis d’entendre la version originale de cette nostalgique ballade… (Pour écouter la mélodie suédoise originale reprise par Ambroise Thomas pour la mort d’Ophélie dans son Hamlet, regardez notre « vidéo du jour », à découvrir sur la  page d’accueil de Première Loge !)

Concert en clairière

Le lendemain de ce passionnant concert scandinave, les Curious Bards donnaient rendez-vous au public de Musicancy sous un beau soleil estival à la sortie du village de Pimelles, devant un vieux lavoir ombragé, pour un concert de musique irlandaise et écossaise sans programme prédéfini. Bucolique en diable, cette clairière bourguignonne est l’écrin idéal pour une rencontre musicale un dimanche après-midi : réduits à trois instrumentistes (Colin Heller a déjà quitté Ancy-le-Franc), toujours accompagnés d’Ilektra Platiopoulou et simplement vêtus de t-shirts et de chaussures de sport, les Curious Bards se mêlent d’abord au public venu nombreux dans un esprit bon enfant avant qu’Alix Boivert n’entame le concert par une lente déambulation au violon qui impose progressivement le silence aux badauds et campe l’atmosphère recueillie du concert.

Pendant une petite heure, le lavoir de Pimelles prend alors des allures de cadre de scène tandis que les frondaisons alentour recomposent un paysage gaélique fantasmé. L’illusion est parfaite : au gré de leur inspiration, les Curious Bards interprètent leur répertoire de prédilection et, comme la veille, font alterner les danses populaires avec des mélodies piochées dans les folklores écossais et irlandais.

Dans By moonlight on the green, Ilektra Platiopoulou s’attache à rouler les “r” d’une manière parfaitement idiomatique comme si elle avait des ancêtres écossais puis elle interprète successivement Kikeni is a handsome place, une ballade en gaëlique et la délicieuse mélodie Old Towler durant laquelle elle joue avec l’acoustique du lavoir et dont elle conclut le dernier refrain à l’unisson avec ses compères musiciens ! Donnée en bis, My Harry was a galant gay emporte l’enthousiasme du public et vaut à tous les artistes une longue et chaleureuse ovation qui augure probablement du retour des Curious Bards dès la prochaine édition de Musicancy.

Au terme de cette parenthèse musicale enchantée, le public s’attarde longuement dans la clairière de Pimelles pour échanger avec les musiciens et faire quelques achats sur les étals d’un mini-marché de producteurs locaux (Terre d’Isis, Margot Dutilleul et les Papilles tonnerroises) qui proposent confitures, vins et faïences du terroir tonnerrois.

On sait gré à Fannie Vernaz, directrice artistique de Musicancy, de savoir créer ces moments de convivialité sincère autour des artistes et de maintenir une programmation musicale aussi enthousiasmante, hors des sentiers battus. Pour qui serait curieux de venir découvrir Ancy-le-Franc, le festival se poursuit le dimanche 6 août par une série de promenades musicales dans le parc du château et se conclut le 3 septembre avec Geoffroy Jourdain et son ensemble choral Les Cris de Paris.

Les artistes

Sublimation
The Curious Bards
Viole de gambe :   Sarah Van Oudenhove
Cistre suédois :   Jean-Christophe Morel
Violon et nyckelharpa :    Colin Heller
Violon et hardingfele:   Alix Boivert
Artiste invitée :   Ilektra Platiopoulou (mezzo-soprano) 

Mini-concert hors les murs
The Curious Bards
Viole de gambe :   Sarah Van Oudenhove
Cistre :   Jean-Christophe Morel
Violon :   Alix Boivert
Artiste invitée :   Ilektra Platiopoulou (mezzo-soprano)

Le programme

Sublimation
Polonesse n°74 (Andreas Dahlgren, 1784)
Spelaren (chanson suédoise tirée de « Glada Qväden », Johan Elers, 1792)
Polonesse (Anders Larsson, 17 ??)
Bruredansen / Paalsdans / Paalsdans (Johannes Nielsen Schodsberg, 1822)
Huldra a’en Elland (chanson norvégienne tirée de « Essai sur la Musique Ancienne et Moderne », Jean-Benjamin de Laborde, 1780)
Vals (Ole Olsen Kruge, 1834)
Konung Eric och Spakvinnan (chanson suédoise tirée de « Svenska Folkvisor », Erik Gustaf Geijer, 1826)
Springdans (Ole Olsen Kruge, 1834)
Pollonoise n°9 (Andreas Grevelius, 17 ??) / Polonesse (Johan Eric Blomgren, 1785)
Frieras a Ongkar’n te Gjente (chanson norvégienne tirée de « Samling af Sange, Folkeviser og Stev i Norske Almuedialekter, Ludvig Mathias Lindeman, 1840)
Västanmadspolskan (Carl Ersson Bössa surnommé Byss-Calle, 18 ??)
Madame Trifes Liri e Dans (Anonym, Ringerike)
Necken (chanson suédoise de Arvid Afzelius, 18 ??)
Polsdans (Ole Olsen Kruge, 18 ??)
Suite de trois danses norvégiennes :
Englis
n°2 (Ole Aamodt, 1750)
Riil
(Johannes Nielsen Schodsberg, 1822)
Riil
(Johannes Nielsen Schodsberg, 1822)
Signe Lita (chanson norvégienne médiévale)
Polsdans (Ole Olsen Kruge, 18 ??)
Polska (Ludvig Olsson, 1772)
Grannas Lasse ! Klang pa lyran (chanson suédoise tirée de Fredmans sanger, Carl Michael Bellman, 1791)
Salle des gardes du château d’Ancy-le-Franc, samedi 29 juillet 2023

Mini-concert hors les murs
Musique de tradition populaire du XVIIIème siècle au gré de l’inspiration des musiciens
Lavoir de Pimelles, dimanche 30 juillet 2023