Bouleversante liturgie pascale à Radio France

À la tête de la Maîtrise de Radio France et de l’ensemble L’escadron volant de la reine, Sofi Jeannin et Morgan Jourdain composent un troublant Office de la Semaine Sainte qui rassemble des compositeurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles dans le cadre de l’Auditorium de Radio France.

C’est avec quelques jours d’avance sur le calendrier liturgique de la Semaine Sainte que Sofi Jeannin et Morgan Jourdain présentaient vendredi 31 mars ce spectacle qui réunissait des œuvres de compositeurs français, italiens et allemands des XVIIe et XVIIIe siècles, des inconnus comme d’autres plus familiers, Alessandro Scarlatti, Georg Muffat, Jan Dismas Zelenka, Nicolas Clérambaut ou Marc-Antoine Charpentier. Intitulé « Passion et ténèbres », ce concert-spectacle empruntait principalement ses textes aux Leçons de Ténèbres de la Semaine Sainte, à la séquence du Dies Irae de la Messe des morts et au Stabat Mater Dolorosa, le plus largement cité, pour terminer par « Erbarm’ dich mein, O Herre Gott » BWV 721, choral harmonisé par J. S. Bach, dont il met le texte en musique dans sa Passion selon St Matthieu. Comme dans les Offices des Ténèbres, des mélodies de plain-chant ponctuaient l’ensemble de ces morceaux présentés sans solution de continuité, sans entracte et sans donner une impression de disparate, grâce à des enchainements de tonalités judicieux, ce qui accentuait la concentration du public et créait un climat de ferveur tel que le malheureux spectateur qui applaudit après les Meditationes Sacrae d’Andrej Makor se trouva bien seul et vite censuré par le public.

Concert-spectacle, dis-je, puisque, pour cet espace de l’Auditorium qui peut évoquer la rotonde du Saint Sépulcre, Morgan Jourdain avait conçu une dramaturgie fondée sur les entrées et les sorties des membres de la Maîtrise de Radio France, divisés en trois groupes, si je ne m’abuse. Chemisier blanc et pantalon noir ou tout en noir, placés autour de l’orchestre ou à la tribune de l’orgue, (« Oh ces voix d’enfants chantant sous la coupole » aurait dit Verlaine) ou au premier balcon ou en fond de scène, leurs déplacements en silence (et en chaussette), réglés au millimètre, rappelaient les évolutions du chœur de la tragédie antique, et créaient autant de tableaux que les éclairages de Laurent Schneegans étaient censés dessiner, si le préavis de grève de la CGT ne les avaient pas supprimés. À cette dramaturgie visuelle répondait celle de la musique avec l’alternance du chœur a capella, de l’orchestre seul, du chœur et de l’orchestre ou des voix solistes avec le continuo et celle des différents plans sonores.

On regrettera l’absence des créations lumières de Laurent Schneegans, mais le seul éclairage de scène contribua lui aussi à unifier ces différents morceaux de musique en un troublant rituel de déploration dans lequel l’inclusion des contemporains Andrej Makor et Tine Bec se fit sans heurt. Les frottements de seconde et de septième des pièces du premier se mariaient avec les chromatismes et les figuralismes du Qui sinum Patris de Ristori et les procédés d’ostinato du second font partie du vocabulaire traditionnel du lamento. Je ne me livrerai pas à l’analyse de chaque courte pièce, mais soulignerai le côté apparemment guilleret du Tristis est anima mea de Charpentier, (à comparer, par exemple, avec le dramatisme et la tristesse de celui de Poulenc dans ses Quatre Répons de Ténèbres), les longues tenues mystérieuses du glass-harmonica dans le Meditabor de Makor ou le lyrisme de Tine Bec dans son Deliver me, O Lord. La Maîtrise, sous la direction inspirée et souple de Sofi Jeannin et Morgan Jourdain, présentait une unité de ton et de voix et de justesse remarquable pour ce répertoire essentiellement à voix égales, détaillant sans faiblesse ces intervalles de seconde et de septième qui sont le B-A BA de cette musique de la déploration et ne souffrent pas l’à-peu près. Ses solistes, avançant un peu tremblantes à l’avant-scène, ajoutaient de l’émotion à l’émotion par leurs voix graciles et pures ou plus affirmées pour certaines. L’ensemble L’escadron volant de la reine, nom qui évoque plutôt pour votre serviteur, lecteur de Dumas et de Robert Merle la volte de vertugadins du service d’espionnage de la reine Catherine de Médicis et ses armoires à poison, a apporté son enthousiasme et son soutien rigoureux et expressif à cette très belle cérémonie.

Les artistes

Ensemble L’Escadron volant de la reine
Maîtrise de Radio France
Sofi Jeannin et Morgan Jourdain, direction

Le programme

Passion et Ténèbres
Paris, Auditorium de Radio-France, concert du vendredi 31 mars 2023.

Alessandro Scarlatti
Concerto grosso n°1 en fa mineur
II. Largo

Guillaume Nivers
Plain chant « Zelus domus tuae comedit me »

Carlo Lenzi
Troisième Lamentation pour le Vendredi Saint

Giovanni Alberto Ristori
Divoti Affetti alla Passione di Nostro Signore : « Qui sinum Patris deserit »

Andrej Makor
Meditationes Sacrae (création française)
1. Visionem 2. Meditabor

Georg Muffat
Armonico Tributo – Sonata

Jan Dismas Zelenka
Lamentations pour le Vendredi Saint

Louis-Nicolas Clérambault
Miserere mei, Deus

Pasquale Soffi
Dies irae – Oro supplex

Marc-Antoine Charpentier
Second Répons après la seconde leçon du premier nocturne du Mercredi Saint

Guillaume Nivers
Plain chant « Deus meus, eripe me de manu peccatoris »

Giovan Gualberto Brunetti
Stabat Mater a due voci con strumenti

Tine Bec
Deliver us, O Lord (création française)

Giuseppe Valentini
Concerto n°11, op. 7

Giovanni Battista Ferrandini
Il pianto di Maria

Sulpitia Cesis
Stabat Mater

Emanuelle Imbimbo
Stabat Mater

Johan Sebastian Bach
« Erbarm’ dich mein, O Herre Gott », BWV 721