MÉDÉE de Charpentier au Théâtre des Champs-Élysées :  « L’allégresse en ces lieux ne peut être plus grande ! »

C’est une soirée exceptionnelle qui a eu lieu lundi soir au Théâtre des Champs-Elysées, avant tout grâce au Concert Spirituel et à Hervé Niquet, qui ont fait de cette Médée de Charpentier un moment absolument unique. Sous la baguette de son chef, le Concert Spirituel (en très grand effectif !) a fait preuve d’une impétuosité, d’une chaleur, d’un sens du drame en tous points remarquables. Le rendu sonore est ample, richement coloré, « charnu » tout en étant dépourvu de toute lourdeur. L’orchestre porte, exalte magnifiquement les voix en permanence, aiguillonné pas une direction pleine d’idées, ne cédant jamais à l’hédonisme mais toujours orientée vers l’expression du tragique et l’efficacité dramatique. Le chœur n’est pas en reste, avec les qualités de musicalité, de précision et de diction que nous lui connaissons bien.

Quant à la distribution vocale, nous sommes dans le (très) haut de gamme ! Les interprètes disposent tous des qualités requises pour le chant français en général, et pour la tragédie lyrique en particulier, avec une diction et un respect de la prosodie qui mettent en valeur les lumineuses beautés du livret que Thomas Corneille rédigea à partir de la tragédie de son frère aîné. 

Véronique Gens est, une fois encore, grandiose dans ce répertoire (nous avions eu un avant-goût très prometteur de son interprétation du rôle-titre avec deux airs chantés lors de son récital Back to Lully, donné avec les Surprises au TCE il y a un an, de même que dans son CD Passion). Nonobstant un petit accident à la scène 4 de l’acte 3, dans la transition entre le magnifique « Quel prix de mon amour » et son appel aux Enfers, sa prestation est absolument exemplaire : sa Médée, femme avant d’être sorcière, privilégie l’émotion et la sensibilité plutôt que la rage ou la véhémence, 

et c’est in fine une incarnation du personnage d’autant plus  bouleversante qui nous est proposée qu’elle ne se départit jamais d’une belle sobriété – Véronique Gens s’autorisant juste une sortie de scène un peu théâtrale à la fin de l’opéra, avec un geste rappelant curieusement (effet calculé ou pur hasard ?…) celui… d’Adèle Haenel quittant la cérémonie des Césars en 2020 !

Cyrille Dubois, en Jason, fait entendre un timbre magnifique, ainsi qu’une ligne de chant et un style parfaits, mis au service d’une interprétation pleine de nuances et chargée d’émotion – qui nous a paru plus convaincante encore que son récent Achille dans Iphigénie en Aulide. J. van Wonroij est égale à elle-même : si la voix est un peu froide et la projection un peu étriquée, le style est idoine et l’interprétation d’une constante musicalité. Thomas Dolié, voix homogène sur toute la tessiture, interprétation mordante, est quant à lui un remarquable Créon. 

Des seconds rôles, on retiendra les belles interventions de Jehanne Amzal et Marine Lafdal-Franc, et surtout les excellents Floriane Hasler, Hélène Carpentier, Adrien Fournaison, et Fabien Hyon, parfaits dans leurs emplois respectifs.

Si la salle du TCE n’était remplie qu’aux deux tiers (dommage…), cette soirée (une coproduction Centre de Musique Baroque de Versailles, TCE et Le Concert Spirituel) ne s’en solde pas moins par un magnifique triomphe. Les interprètes, à l’issue du spectacle, arboraient tous un immense sourire, rendant ainsi visible le plaisir éprouvé à chanter et jouer cette œuvre, un plaisir de toute évidence égal à celui procuré au public ! Avis aux amateurs, le spectacle a été capté par Mezzo. Et l’Opéra de Paris proposera l’an prochain une version scénique de cette même Médée de Charpentier, cette fois ci dirigée par William Christie et avec Lea Desandre et Reinoud Van Mechelen dans les principaux rôles.

Les artistes

Médée : Véronique Gens 
Jason : Cyrille Dubois 
Créuse : Judith van Wanroij 
Créon : Thomas Dolié 
Oronte : David Witczak 
La Victoire / Nérine / l’Amour : Hélène Carpentier 
Le Chef du peuple / Un habitant / Un Argien / La Vengeance : Adrien Fournaison 
Bellone : Floriane Hasler 
Un berger / Le premier Corinthien / Un Argien / Le troisième captif / Un démon / Le troisième fantôme : David Tricou 
Un berger / Arcas / Le deuxième Corinthien / La Jalousie : Fabien Hyon
Une Italienne / Cléone / 1re bergère / 1re captive / 1er fantôme : Jehanne Amzal
La Gloire / 2e bergère / 2e captive / 2e fantôme : Marine Lafdal-Franc |

Orchestre et chœur Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet

Le programme

Médée

Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes de Marc-Antoine Charpentier, livret de Thomas Corneille d’après Pierre Corneille, créé le 04 décembre 1693 à l’Académie royale de musique (Paris)