FROM – Journal de bord 4 : Coup de roulis sur A Sea Symphony

From England au FROM : l’intégralité des oeuvres interprétées par l’Orchestre national de France et le Chœur de Radio-France sont britanniques, ce 21 juillet, à l’Opéra Berlioz (Montpellier). D’Elgar à Vaughan Williams, ce programme est dédié à la mer à quelques encablures de la Méditerranée. Le coup de roulis fut imprévu, mais les solistes chanteurs eurent le pied marin !

La mer, d’Elgar à Vaughan Williams

Autour de 1900, suggérer ou décrire la mer est une tentation pour quantité de compositeurs. Car les peintres impressionnistes et les grandes découvertes maritimes élargissent l’horizon des artistes et des auditoires de tout pays. Au tournant du siècle, Ernest Chausson compose son Poème de l’amour et de la mer, puis Debussy suggère les lumières et la mobilité de l’océan dans son triptyque La Mer (1905). De l’autre côté du Channel, les britanniques explorent d’autant mieux cette thématique que ce peuple de marins a vogué sur tous les océans pour coloniser des terres lointaines et que l’œuvre picturale de Turner a magnifié les éclairages ou intempéries océanes.

Cependant, point de pittoresque dans les évocations maritimes d’Elgar, encore moins chez Vaughan Williams, deux compositeurs participant au renouveau musical anglais sous le règne d’Edouard VII. Le cycle de cinq mélodies d’Edward Elgar – Sea Pictures op. 37 (1899) – tente de traduire chaque poème d’auteurs différents (dont celui de son épouse, Caroline Alice Elgar). Hélas, on ne retrouve ni le talent d’orchestrateur du compositeur des Variations Enigma, ni l’ossature formelle dans ce cycle de mélodies, dont seule la dernière – The Swimmer (Le nageur) – échappe à l’ennui par son écriture agitée. La véhémente vision de l’interprète, Marianne Crebassa, semble même un sauvetage opportun.

Emancipée de l’influence française et allemande, la vaste A Sea Symphony (1909) de Vaughan Williams représente un projet original et emphatique au vu des moyens – grande formation orchestrale, chœur mixte et deux solistes – et de sa durée – près d’une demi-heure pour le final The Explorers. Lorsque la mobilité du Scherzo (3e mouvement) anime ce lourd paquebot, les autres mouvements sont plus atones et peinent à imprimer une direction. Les vers chantés de Walt Withman interrogent certes plus le sens de l’existence (« Que cherches-tu, âme inquiète ? ») que les sensations maritimes. Mais la fibre métaphorique n’est pas celle de Gustav Mahler et le style « pompier » n’est pas celui de la Sécession viennoise …

Bel équipage d’interprètes

Fort heureusement, les interprètes sont de haut vol. Le vibrant mezzo de Marianne Crebassa donne vie au cycle d’Elgar par une ampleur nouvelle, des graves somptueux de contralto et un épanouissement aigu (jusqu’au la) tous captivants. L’œuvre fut créée par la contralto britannique Clara Butt, et la jeune Marianne Crebassa, fanciulla del Sud (héraultaise) et future maman, se place dans la lignée de Janet Baker.

L’océan ménage des surprises … Peu après le début de la symphonie de Vaughan Williams, le coup de roulis provoque une sérieuse secousse lorsque la jeune Jodie Devos s’évanouit sur scène. L’artiste remplaçait depuis moins d’une semaine le soprano britannique Lucy Crowe. A la suite de longs secours prodigués sur le plateau, puis de son évacuation, le directeur du FROM, Jean-Pierre Rousseau, calme les inquiétudes et demande au public de patienter d’ici la reprise.

De fait, les mouvements symphoniques avec baryton solo et chœur sont interprétés, puis une seconde pause permet à Jodie Devos de se joindre à l’équipage alors au complet pour le final, sous le commandement de Cristian Mãcelaru. La grandiloquence orchestrale et chorale se déploie dans l’Opéra Berlioz, avec notamment les cuivres rutilants et bois chambristes de l’Orchestre national, tandis que le Chœur de Radio-France est excellement préparé par Christophe Grapperon (à quelques imprécisions près, lors d’entrées du contingent masculin), on apprécie particulièrement les sections chorales dans le style anglais renaissant ou même de psalmodie grégorienne. Le baryton canadien Gerald Finley n’est pas encore le capitaine maudit du Vaisseau fantôme (saison 2023) ; ses soli valorisent le registre poli du médium et de l’aigu. Les ponctuations du soprano Jodie Devos sont lumineuses ou ragaillardies dans cette partition, sans faire oublier son triomphe dans Ophélie d’Hamlet une semaine auparavant. Décidément, l’eau est l’élément dont l’artiste devra se méfier ou s’affranchir …

Si l’Entente cordiale entre britanniques et français (1904) fut scellée à l’époque de ces deux œuvres, la sélection de cette soirée festivalière semble peu séduire l’auditoire au vu des conversations. En revanche, l’engagement des artistes est très applaudi dans une salle à moitié remplie.

Les artistes

Marianne Crebassa, mezzo-soprano
Jodie Devos, soprano
Gerald Finley, baryton

Orchestre national de France, dir. Cristian Mãcelaru
Chœur de Radio-France, préparé par C. Grapperon

Le programme

Edward Elgar, Sea Pictures 37, mélodies pour mezzo-soprano et orchestre

Ralph Vaughan Williams, A Sea Symphony pour soprano, baryton, choeur mixte et orchestre

Festival Radio-France Occitanie de Montpellier – Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, concert du jeudi 21 juillet 2022.