Monteverdi à Beaune : Alessandrini, un guerrier amoureux du Festival

Festival international Opéra baroque & romantique de Beaune – Monteverdi : Il Combattimento di Tancredi e Clorinda & Madrigaux du 8e Livre de Monteverdi ; 17 juillet 2022 ; Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini, à la Basilique Notre-Dame.

À l’occasion de son quarantième anniversaire, le Festival a choisi de programmer ses compositeurs emblématiques, parmi lesquels Monteverdi, et d’inviter pour cette année et les suivantes tous les grands artistes qui ont contribué à son rayonnement. « Car le festival, en pionnier, a accompagné l’évolution, voire la « révolution baroque » sur instruments d’époque, dès sa création en 1983[1] », comme le rappelle la directrice et fondatrice du Festival, Anne Blanchard.

Nous retrouvons pour ce concert le légendaire Rinaldo Alessandrini à la tête du Concerto Italiano, qui intervient depuis pas moins de vingt-cinq années à Beaune pour y produire l’intégrale des opéras et des madrigaux de Monteverdi. Élève de Tom Koopman, Alessandrini fait partie de la troisième vague de baroqueux que rien n’effraie : il s’est fait connaître en fondant le Concerto Italiano en 1984 avec le violoniste Fabio Biondi, dont l’interprétation radicale et quasi bruitiste des Quatre Saisons de Vivaldi fait à quelques endroits songer à de la musique contemporaine.
Plus sage mais tout de même très passionnée, la succession de madrigaux et sinfoniae donné en cette chaude soirée de juillet fait échos aux propos du chef concernant l’art montéverdien : « Tout est théâtre[2] ». Dans cette veine se signale le très caractéristique Combat de Tancrède et de Clorinde (1624), un modèle absolu – plus concis que l’Orfeo (1607) et plus imposant qu’un simple madrigal – pour s’instruire de ce qu’est le stile reppresentativo, la théorie des affetti, la naissance de l’opéra et de l’art baroque.

Le Concerto Italiano, composé de deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un luth, un théorbe, un clavecin et un second clavecin (joué par le chef), entoure les ténors Riccardo Pisani (Tiesto) et Massimo Lombardi (Tancrède), et la soprano Sonia Tedla Chebreab (Clorinde). Tous ces chanteurs possèdent un art consommé de l’interprétation dite baroque ; le timbre de Lombardi est particulièrement agréable ; Sonia Tedla possède une voix plus « plate », façon baroque, qui se joue des difficultés.
La pièce écrite pour le Carnaval de Venise associe les climats de la bataille et de la lamentation, sur un poème du Tasse ; elle possède un argument étonnant : l’affrontement d’un chrétien avec un musulman qui s’avère être, in fine… une femme, Clorinde, et plus encore : celle qu’il aime et qu’il n’a pas reconnue. Se succèdent les effets portés à leur paroxysme de la colère, avec force trémolos et ornements, tel le trait sur un intervalle de onzième que Riccardo Pisani entonne avec conviction sur « alta memoria », dans le plus pur style concitato (agité). Le programme a été très bien ficelé ; un concert sans mise en scène et sans entracte ; ainsi, le Combat prolonge une sinfonia (tirée du Couronnement de Poppée) et s’enchaîne aussitôt avec le madrigal à cinq voix « Volgendo il ciel per l’immortal sentiero ».

C’est une « séquence baroque », un flash émotionnel : nous entrons d’emblée dans la bataille (« Tancrède, prenant Clorinde pour un homme, Veut se mesurer à elle… ») ce qui enclenche une série d’effets descriptifs comme le maniement des armes (ce qui n’est pas nouveau depuis Janequin…). L’on termine abruptement par une parole de Clorinde (que par ailleurs on entend très peu) : « Je m’en vais en paix… », chanté de façon très épurée par Sonia Tedla. C’est le narrateur (Testo) qui occupe très largement l’espace de la pièce : Riccardo Pisani montre son art de l’ornementation baroque et son implication émotionnelle.

Les autres œuvres chantées par l’ensemble vocal, elles-mêmes souvent très contrastées, sont aussi magiques que le Combat, ce « semi-opéra », et elles appartiennent comme lui au Huitième livre de madrigaux. La richesse harmonique et polyphonique est admirablement mise en valeur par les chanteurs.

Pour être complet, les sinfoniae sont de la plume de Biago Marini, à part celle précitée ; quant à la sinfonia de l’Orfeo qui était prévue au début, elle n’a pas été donnée. Pour que la soirée soit parfaite, la voix de première soprano pouvait être mieux choisie ; Sonia Tedla se singularise un peu dans les ensembles vocaux, alors que la seconde soprano, Cristina Fanelli est à la fois expressive et mieux fondue à l’ensemble. Gabriele Lombardi est une basse ample, suave et sûre ; ses solos sont magnifiques.
Enfin cette soirée fait ressurgir la question de l’interprétation de madrigaux (par surcroît « guerriers et amoureux »), dans une église à la réverbération importante : la finesse descriptive du texte, les ornementations et subtilités polyphoniques en pâtissent. L’ensemble instrumental, deux fois plus nombreux que les chanteurs, qui par moments étaient couverts, n’a pas aidé non plus à l’équilibre sonore.

En somme, ce programme était à la hauteur de la capitale mondiale des vins, rondement interprété, et du contexte festif de cette saison non covidée… ce que le public venu en nombre a lui aussi célébré avec enthousiasme.

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[1] « Edito des 40 ans », programme du 2e week-end, 2022, p. 7.

[2] Rinaldo Alessandrini cité in ibid.

© Nicolas Darbon

Les artistes

Testo : Riccardo Pisani
Tancredi : Gabriele Lombardi
Clorinda : Sonia Tedla

Soprano : Cristina Fanelli
Alto : Andres Montilla
Ténors : Luca Cervoni, Massimo Lombardi

Concerto italiano, dir. Rinaldo Alessandrini

Le programme

Il Combattimento di Tancredi e Clorinda (& Madrigaux du 8e Livre)

Semi-opéra en un acte de Caudio Monteverdi, livret extrait de La Jérusalem délivrée du Tasse, créé lors du carnaval de Venise en 1624.

Concert du 17 juillet 2022,  Basilique Notre-Dame de Beaune