TANCREDI au festival de Beaune…ou le triomphe d’Argirio !

Tancredi de Rossini, mélodrame héroïque en 2 actes d’après la tragédie de Voltaire, est donné en version oratorio au Festival international d’opéra baroque et romantique de Beaune, et voit le triomphe de Michele Angelini en Argirio.

© Jean-Claude Cottier

Le Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune en Côte d’Or fête cette année ses quarante ans. Les plus grands spécialistes de la musique baroque jouant sur instruments anciens s’y sont succédé et pour certains, s’y sont fait connaître. L’édition 2022 ne déroge pas à la réputation d’excellence qui accompagne ce festival. Le cadre sublime de la Cour d’honneur des Hospices de Beaune dont l’acoustique souligne finement les œuvres données est un écrin parfait pour la redécouverte d’ouvrages quelquefois oubliés.

Ce Tancredi de Rossini, dans sa version originale de février 1813 qui a la particularité de proposer une fin heureuse à la différence de certaines versions ultérieures qui suivront davantage la trame de Voltaire (version de Ferrare en mars 1813), contient déjà tout ce qui fera la renommée de son auteur. Cet opéra de jeunesse particulièrement abouti, même s’il fut plusieurs fois remanié, fut qualifié par Stendhal, le premier biographe de Rossini, de chef-œuvre et de « coup de foudre dans le ciel bleu et clair du théâtre lyrique italien », et propulsa son auteur au firmament des compositeurs d’opéra à seulement 21 ans ! Cette œuvre opère véritablement la transition entre l’esthétique baroque encore très perceptible par la forme de ses récitatifs souvent accompagnés au clavecin, et les caractéristiques de la musique romantique, comme l’importance donnée aux ensembles vocaux qui s’enchaînent pour faire avancer l’action.

La représentation du 16 juillet a enchanté un public nombreux et connaisseur. Donné dans sa version oratorio, sans mise en scène, tout était (presque) parfait. Le choix judicieux de l’orchestre Le Cercle de l’Harmonie, spécialiste de cette époque, sous la direction à la fois dynamique et souple de son chef Jérémie Rhorer (à retrouver en interview ici), qui fête ce soir les 15 ans de ses débuts à Beaune, permet d’apprécier toutes les subtilités et richesses de cette musique. On remarquera particulièrement la prestation de l’hautboïste Jean-Maurice Messelyn dont la sonorité sublime et le jeu raffiné nous ont enchantés. On ne peut malheureusement en dire autant du cor anglais, au timbre criard. Le Chœur de Chambre de Namur, exclusivement masculin pour l’occasion, est fidèle à sa réputation. Les voix sont homogènes et puissantes, la diction parfaite, l’émotion bien présente.

L’histoire nous emmène dans la Sicile du XIe siècle, où s’affrontent les Normands (Tancredi est un chevalier normand) et les Sarrazins (Solamir en est le chef mais il n’est pas présent). La cité de Syracuse est la proie de divisions qui ont mené à l’exil de Tancredi. Le roi Argirio, pour sceller sa réconciliation avec Orbazzano du parti adverse, consent à lui accorder la main de sa fille Amenaïde. Mais celle-ci aime secrètement Tancredi, banni par Orbazzano. Tancredi revient à Syracuse dans le but de protéger sa patrie et retrouver son rang. En le voyant, Amenaïde refuse d’épouser Orbazzano. Celui-ci, pour se venger, accuse Amenaïde de haute trahison et présente une lettre qu’elle a envoyée à Tancredi sans le nommer et qu’Orbazzano a interceptée. Il prétend qu’elle était destinée à l’ennemi Solamir. La mort dans l’âme, Argirio doit condamner sa fille à mort. Tancredi décide alors de se faire le champion d’Amenaïde même s’il la croit infidèle. Il tue Orbazzano, gagne la bataille contre les Sarrazins, et avant de mourir, Solamir rétablira la vérité sur l’innocence d’Amenaïde. Tancredi retrouve donc sa bien-aimée et l’épouse.

Le rôle de Tancredi est un rôle de travesti, écrit pour mezzo-soprano. Il est interprété par Anna Goryachova avec beaucoup de conviction, malgré l’absence de mise en scène limitant le jeu des chanteurs. Sa voix chaude et veloutée, aux graves puissants et aux aigus ronds, envoûte et donne le frisson. Elle campe un Tancredi drapé dans sa dignité mais laissant affleurer ses sentiments, notamment dans son premier air « Di tanti palpiti ». Sarah Traubel est Amenaïde. L’agilité exceptionnelle de sa voix de soprano colorature, souple et admirablement conduite, sert à merveille des vocalises ardues dans le plus pur style rossinien nécessitant un souffle long et une égale puissance sur toute la tessiture. Andreas Wolf prête sa belle voix de baryton-basse au personnage d’Orbazzano qu’il interprète avec subtilité. Le ténor Valentin Thill, que nous avions découvert il y a trois ans au Festival de Salon-de-Provence, interprète avec brio l’air de Roggiero, ami de Tancredi, « Torni alfin ridente » et s’offre un joli succès. Nous suivons avec plaisir la carrière de ce jeune artiste français formé à Aix-en-Provence. Quant au rôle d’Isaura, suivante d’Amenaïde, il est joué par Deniz Uzun, jeune mezzo-soprano germano-turque très prometteuse.

Mais celui qui nous a le plus impressionnés est sans conteste Michele Angelini, remplaçant au pied levé le ténor Matthew Newlin, souffrant, dans le rôle d’Argirio. Alors qu’il assure dans le même temps le rôle de Rinaldo dans Armida au festival de Bad Wildbad (un rôle dans lequel il excelle et remporte un très grand succès : voyez notre compte rendu ici), le ténor n’a pas hésité à sauter dans un train, quittant la Forêt Noire pour les côteaux de Bourgogne et sauvant ainsi la soirée !  Dès son entrée en scène, la pureté et l’agilité de sa voix, assorties d’un timbre clair et chaud à la fois, déchaînent l’enthousiasme du public. Ses aigus sont parfaits, bien amenés et pleins ; la voix est conduite avec un goût très sûr et une grande virtuosité. Une très belle découverte d’un jeune artiste à la carrière internationale déjà bien fournie. Petite anecdote : son arrivée tardive ayant nécessité l’interruption puis la reprise du début du deuxième acte, lui valut une ovation du public, preuve s’il en est de la forte impression qu’il a faite !

© Laure Chauvris

Les artistes

Tancredi : Anna Goryachova
Amenaïde : Sarah Traubel
Argirio : Michele Angelini
Orbazzano : Andreas Wolf
Roggiero : Valentin Thill
Isaura : Deniz Uzun

Orchestre Le Cercle de l’Harmonie, Chœur de Namur, dir. Jérémie Rhorer

Le programme

Tancredi

Melodramme eroico en deux actes de Rossini, livret de Gaetano Rossi d’après la tragédie homonyme de Voltaire, créé le 6 février 1813 à la Fenice de Venise (version de Ferrare) 

Concert du samedi 16 juillet 2022, Festival international Opéra baroque et romantique de Beaune.