Cantates et symphonies d’héroïnes par l’ensemble Il Caravaggio à la Fondation Singer-Polignac

Le jeudi 19 mai, l’ensemble Il Caravaggio présentait un nouveau concert  à la Fondation Singer-Polignac, avec la participation de la mezzo-soprano Victoire Brunel et du baryton-basse Guilhem Worms. Le programme de musique ancienne et baroque mêlait des œuvres de Louis-Antoine Dornel, Madeloiselle Duval, Beatriz de Dia, Elisabeth Jacquet de la Guerre, Jean-Baptiste Lully ou encore Michel Pignolet de Montéclair : une variété bienvenue, permettant d’éviter toute monotonie tout en présentant une certaine cohérence, révélée par le sous-titre du concert : « cantates et symphonies d’héroïnes ».

Sous la direction vive et précise de Camille Delaforge, Il Caravaggio a fait montre de ses habituelles qualités : précision, variété des coloris, capacité à plonger l’auditeur en quelques mesures au sein d’ambiances on ne peut plus diverses. Les musiciens – Roxana Rastegar et Lucien Pagnon au violon, Benjamin Narvey au théorbe, Ronald Martin Alonso à la viole de gambe et Camille Delaforge au clavecin – s’écoutent entre eux (tel Benjamin Narvey ne perdant pas une miette de la longue et grave mélodie de la viole de gambe de Ronald Martin Alonso pendant « A chantar m’er de so qu’ieu non volria ») et écoutent les chanteurs (telle Roxana Rastegar suivant très attentivement le chant de Guilhem Worms pendant Le Tombeau de Clorinde) : cela se voit, cela s’entend, et cela contribue pleinement à l’impression de belle complicité artistique qui se dégage de leur interprétation.

C’est Guilhem Wormas qui ouvre le concert avec une pièce évoquant, quelque cent ans après Monteverdi, la mort de Clorinde tuée par le chevalier Tancrède. L’œuvre, très contrastée, permet au baryton-basse d’exprimer un large panel d’émotions et de briller aussi bien dans le registre de la déclamation grave que dans celui de la plainte (très beau dialogue avec le violon de Roxana Rastegar dans « La clarté du jour t’est ravie »), l’extrême douceur (superbe « Sans toi, tout me devient affreux » murmuré a capella) ou la véhémence de l’exhortation finale : « Hâtons-nous, vengeons-nous ! ». Les autres interventions de Guilhem Worms confirmeront l’excellente impression laissée par ce Tombeau de Clorinde en termes de beauté du timbre, richement coloré sur tout l’ambitus, ou encore de clarté dans la diction. Pourtant, c’est peut-être dans « Une fillette de quinze ans », composé par une main anonyme et narrant les amours d’une adolescente pour un homme qu’on lui interdit d’aimer (lequel homme finit par partir aux Amériques) que Guilhem Worms s’est montré le plus émouvant : dans ces couplets d’une écriture toute simple, le chanteur, accompagné par le théorbe sobre de  Benjamin Narvey, retrouve la poésie et l’émotion à la fois graves et naïves des chansons d’inspiration populaire…

Victoire Brunel n’est pas en reste : sa voix chaude et prenante se montre extrêmement expressive, tout particulièrement dans La Morte di Lucretia de Michel Pignolet de Montéclair, aux élans quasi « opératiques » ! Mais la soprano excelle également dans l’émotion plus retenue du superbe « Lieux écartés, paisible solitude » ou le registre plus léger de « Les rossignols, dès que le jour commence » (Céphale et Pocris d’Elisabeth Jacquet de la Guerre). La voix de la soprano se joint enfin à celle de Guilhem Worms pour clore le concert avec un superbe « Nos esprits libres et contents » (anonyme), raffiné et poétiquement phrasé. Le public, conquis, exige un bis, mais c’est tout le concert qui mériterait d’être « bissé » à l’occasion d’une reprise : espérons que les artistes pourront prochainement le proposer de nouveau à l’attention des mélomanes !

Les artistes

Victoire Brunel, mezzo-soprano
Guilhem Worms, baryton-basse

Ensemble Il Caravggio
Roxana Rastegar, Lucien Pagnon, violon
Benjamin Narvey, théorbe
Ronald Martin Alonso, viole de gambe
Camille Delaforge, clavecin et direction

Le programme

  • Louis-Antoine Dornel
    Le Tombeau de Clorinde
  • Mademoiselle Duval
    Suite imaginaire
  • Beatriz de Dia
    « A chantar m’er de so qu’ieu non volria«
  • Elisabeth Jacquet de la Guerre
    Céphale et Pocris, airs et danses
  • Jean-Baptiste Lully
    Les amours déguisés, plainte d’Armide
  • Anonyme
    « Une fillette de quinze ans »
  • Michel Pignolet de Montéclair
    La Morte di Lucretia
    Concert du jeudi 19 mai 2022, fondation Singer-Polignac