Triomphal Zoroastre au Grand Manège de Namur

Re-création de la version originale de Zoroastre de Rameau à Namur

Dans le tout pimpant Grand Manège de Namur (une nouvelle salle de concert sur laquelle nous aurons bientôt l’occasion de revenir) a été proposée à un public enthousiaste la première version de Zoroastre, jamais jouée depuis la création de l’œuvre.

Retour aux sources

Si Zoroastre est un opus important du catalogue ramélien, sa notoriété n’a pas atteint celle de Platée ou des Indes galantes. Qui plus est, on ne connaît de cette « tragédie en musique en 5 actes » créée en 1749 – et qui ne rencontra alors qu’un semi-succès – que la version (largement) remaniée par les auteurs en 1756. Le spectacle présenté dimanche dernier à Namur (une coproduction entre le Centre de musique baroque de Versailles, le Centre d’Art Vocal et de musique ancienne de Namur et l’Atelier lyrique de Tourcoing) redonne vie, pour la première fois depuis la création de l’œuvre, à la version originale, laquelle diffère très sensiblement de la version remaniée : plus ramassée, elle comprend moins de grands solos pour les chanteurs, ne comporte pas la scène d’initiation maçonnique de Zoroastre au second acte, accorde moins d’importance au personnage d’Érinice (qui se verra confier trois scènes supplémentaires en 1756), mais fait entendre plusieurs pages inédites – ou du moins, jamais entendues depuis… 1749 (entre autres exemples, le duo entre Abénis et Cénide au deuxième acte : « Sommeil, fuis de ce séjour » qui, en 1756, sera chanté par Zoroastre et Amélite au troisième acte, ou encore le dernier duo entre Zoroastre et Abramane suivi du chœur « Dieux tout-puissants, lancez la foudre » au cinquième acte).

Une exécution magnifique, heureusement sauvegardée par un enregistrement

À Namur, le plaisir de découvrir une version inédite s’est doublé de celui d’assister à un concert exceptionnel, accueilli aux saluts finals par une salle exprimant debout son enthousiasme et sa reconnaissance. Il faut dire que tout a été fait pour redonner toutes ses chances à cette première version de Zoroastre : le choix d’un orchestre, d’un chœur et d’un chef qui comptent parmi les spécialistes les plus unanimement reconnus dans ce répertoire, et l’invitation de solistes de premier plan.

Marine Lafdal-Franc (membre des chœurs) apporte une contribution de qualité dans ses interventions en tant que Zélise, une Fée et une Furie, de même que sa consœur Gwendoline Blondeel (voix pure et souple, efficacement projetée), qui confirme les très bonnes impressions qu’elle nous a faites ces derniers temps, notamment à Versailles en février 21 ou à Beaune en juillet dernier.
David Witczack incarne à lui seul quatre personnages (Zopire, Ahriman, un Génie et la Vengeance). La voix est parfois un peu couverte par l’orchestre dans les moments de paroxysme dramatique, mais les incarnations sont soignées et rendues percutantes par une diction claire et incisive, particulièrement pour les interventions de la Vengeance. Si la voix de Mathias Vidal semble atteindre ses limites dans les imprécations d’Orosmade, elle se mêle avec grâce à celle de Cénide (Gwendoline Blondeel) pour former les mélismes vocaux qui célèbrent l’apparition de l’aurore au début du deuxième acte.
Restent les deux couples rivaux, Zoroastre/Amélite et Abramane/Érinice, le premier incarnant le Bien, le second consacré aux forces du mal. Le couple infernal est admirable de présence et de puissance dramatique. Le rôle d’Abramane conduit plus d’une fois Tassis Christoyannis dans les zones les plus graves de sa tessiture, sans que la qualité de sa diction ou l’efficacité de sa projection vocale en pâtissent. Quant à Véronique Gens, son chant toujours noble, porté par le timbre chaud et immédiatement émouvant qui caractérise la chanteuse (on en vient regretter que la version de 1749 ne lui donne pas plus souvent l’occasion de chanter !) lui permet d’incarner une Érinice plus malheureuse que véritablement malfaisante. Jodie Devos égrène les malheurs et tourments d’Amélite avec charme et délicatesse.  Son « Soutien des malheureux » qui ouvre le dernier acte est sobrement émouvant, le « Vole, lance de nouveaux feux » final idéal de grâce et de légèreté. Zoroastre, enfin, trouve en Reinoud Van Mechelen un interprète pleinement à la hauteur de ce rôle exigeant, demandant à l’interprète d’être tout autant à l’aise dans le lyrisme tendre, la vaillance et l’héroïsme, mais aussi la virtuosité pure – avec les difficiles vocalises de « Aimez-vous, aimez-vous sans cesse, / L’amour va lancer tous ses traits ».

Bien sûr, le succès n’aurait pas été complet sans une interprétation orchestrale et chorale de premier plan : le Chœur de chambre de Namur (comme d’habitude idéal de musicalité, de plasticité et de précision) et « Les Ambassadeurs – La Grande Écurie » ont apporté une  contribution plus que précieuse à la réussite de ce spectacle. Élégie, divertissement, terreur,  tragédie, fantastique : aucun des nombreux registres requis par la partition n’a échappé à l’orchestre, placé sous la direction passionnée d’un Alexis Kossenko à l’enthousiasme communicatif. Fort heureusement, ce concert a fait l’objet d’un enregistrement. D’ici sa parution, ne manquez pas les reprises prévues le 28 et 30 avril prochains, à Anvers et Tourcoing.

Les artistes

Zoroastre : Reinoud Van Mechelen
Abramane : Tassis Christoyannis
Abénis, Orosmade, une Furie : Mathias Vidal
Zopire, Ahriman, un Génie, la Vengeance : David Witczak
Amélite : Jodie Devos
Érinice : Véronique Gens
Céphie, Cénide : Gwendoline Blondeel
Zélise, une Fée, une Furie : Marine Lafdal-Franc
Une Furie : Thibaut Lenaerts

Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, Chœur de chambre de Namur (préparé par Thibaut Lenaerts), dir. Alexis Kossenko

Le programme

Zoroastre

Tragédie en cinq actes de Jean-Philippe Rameau, livret de Louis de Cahusac, créée le 5 décembre 1749 à l’Académie royale de musique (Paris)

Concert du dimanche 24 avril 2022, Grand Manège de Namur