Un Requiem pour le confinement à Bordeaux

Dans une maison d’opéra, le choeur est d’abord une des forces du spectacle lyrique, crédité bien après les solistes, le chef, et même l’orchestre. Sans le réduire aux utilités, il n’est pas très souvent mis en avant pour lui-même, même si certaines soirées peuvent lui être dédiées. Dans la série de programmes qu’il consacre à son choeur, l’Opéra national de Bordeaux ne se contente pas de mettre l’accent sur le répertoire, mais s’attache également à défendre la musique contemporaine – s’inscrivant dans un élan initié par des ensembles comme Aedes ou Les métaboles, qui n’hésitent pas à commander des œuvres nouvelles. Ainsi le concert du 10 décembre, présenté en partenariat avec la Licra Bordeaux & Gironde, propose-t-il, après une première partie pianistiques sous le signe de Liszt et les doigts de Maria Luisa Macellaro La Franca – Funérailles ; Sonata quasi una fantasia ; après une lecture de Dante ; Ode funèbre S112 n°2 La notte ; Mephisto walzer – la première du Requiem XIX de Laurent Couson.

Imaginé pendant le confinement du printemps 2020, l’ouvrage renouvelle la tradition de la messe des morts, dans une méditation sur le destin de l’humanité à l’heure de la pandémie de covid 19. Dans une époque marquée par les divisions communautaires, le musicien français a choisi l’oecuménisme, en répartissant le texte de l’office funèbre dans les langues des trois religions du Livre – hébreu, latin et arabe –, ainsi que dans l’idiome vernaculaire, le français. Après l’introduction, Babel et Lux aeterna, mêlant français et latin, c’est ce dernier que l’on retrouve dans le Lacrimosa et le Dies irae, avant le Qoboûr, en arabe littéraire, sur un texte du poète marocain Mohammed Ennaji. Le Gloria laisse ensuite la place à l’hébreu du Shir Hashirim, tandis que la Dernière prière, succédant au Tuba mirum, croisent les trois langues, avant l’envoi du Kaddish et de l’Apothéose, qui se referme sur l’égrenage des vingt-deux lettres de la Torah.

Cette rencontre des rituels, par-delà les clivages religieux, se nourrit de l’histoire de la musique, et ne craint pas la consonance. Cette indifférence aux explorations d’avant-garde, qui privilégie la facilité mélodique, n’hésite pas à s’inspirer de grands modèles du répertoire, à l’exemple de la véhémence du Dies irae assumant une filiation avec le sculptural homologue verdien. Réduite à un quatuor de cuivres – trompette, trombone, trombone basse et tuba – soutenu par les pulsations des timbales, la partition orchestrale, sous la houlette de Salvatore Caputo, également en charge du choeur de l’Opéra national de Bordeaux, accompagne, comme un écrin sobre et efficace, la puissance expressive d’ensembles choraux jamais monolithiques, desquels se détachent un quatuor d’interventions solistes – Hélène Derache, Jingchao Wu, Woosang Kim et David Ortega. Mais c’est surtout le lyrisme engagé de Melody Loudedjan, à la sensualité généreuse, sans sacrifier la noblesse du propos, que l’on retiendra dans cette création à l’inspiration sympathique et sans doute circonstancielle.

Les artistes

Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, dir. Salvatore Caputo
Soprano : Melody Louledjian

Le programme

Maria Luisa Macellaro La Franca
La mort vue par Franz Liszt
Funérailles (extrait des Harmonies poétiques et religieuses)
Franz Liszt
« Sonata quasi una fantasia » après une lecture de Dante
Odes funèbres S 112/2 La Notte
Mephisto Walzer
Laurent Couson
Requiem XIX (Melody Louledjian)

Concert Choeur de l’Opéra national de Bordeaux, Auditorium, Bordeaux, concert du 10 décembre 2021