De rêveuses fêtes galantes aux Invalides

Il y a 300 ans mourait Antoine Watteau, à l’âge de 36 ans. À cette occasion, Le Musée des Invalides avait prévu une exposition autour des œuvres du peintre. La crise du Covid en a décidé autrement. Pour autant, la Saison musicale des Invalides a judicieusement choisi de ne pas changer une programmation originale et plutôt inattendue dans ce cadre militaire.

Pourtant les premières œuvres de celui qui fut un temps un peintre d’Histoire étaient consacrées aux fatigues et délassement de la guerre. Mais c’est bien davantage pour d’autres contrées bien plus pacifiques que Watteau nous est resté célèbre – celles où l’on vogue vers Cythère, celles où la musique est omniprésente[1].
Innombrables guitares, mais aussi luths et théorbes, flûtes et violon forment non un décor mais un vrai leitmotiv, tant le monde de Watteau était imprégné de musique. Une de ses sanguines croque ainsi le délicat portrait de deux musiciens assis, jouant basse de viole et guitare – comme une invite faite à Florence Bolton et Benjamin Perrot pour se saisir du miroir. Ce qu’ils firent avec l’ineffable poésie qui est leur marque de fabrique musicale au cours de ce programme agencé autour du thème des « Fêtes galantes ».

Proposant un spectacle entrelaçant musiques et textes, La Rêveuse jouait à quatre. Trois musiciens et Benjamin Lazar qui nous régalait tantôt du trop méconnu Songe de Vaux signé Jean de La Fontaine (avec, bien sûr, prononciation restituée), tantôt d’éléments de la vie du peintre racontée par lui-même ou vue par Gersaint dans son Abrégé de la vie de Watteau, ou par Théophile Gautier évoquant L’embarquement pour Cythère. Et puis, en contrepoint, un texte des Contes fantastiques de Hoffman et – en toute logique – les Fêtes galantes de Verlaine, croisées avec l’entêtante ritournelle plaintive, mélancolique de la Musette signée Jean-Marie Leclair. Ce moment fut d’ailleurs un des plus réussis de la soirée, tant l’adéquation semblait évidente entre paroles et musique. À ce moment, Verlaine semblait avoir fêté la vie, ses douceurs, ses amertumes, sa sensualité, avec Watteau lui-même.

Il y eut plus d’un moment de grâce et aussi de clin d’œil avec les Caractères de la guerre signés Jean-François Dandrieu, musique descriptive  pour clavecin, jouée avec malice par Clément Geoffroy : tour à tour deux fanfares, la charge puis un coup de canon et voilà la mêlée, les cris, les plaintes anticipant la victoire et même le triomphe.

Pourtant, loin de cette anecdote, ce sont les œuvres de Louis de Caix d’Hervelois, tour à tour profondes ou joyeuses, méditative ou entraînantes, qui fournissaient l’essentiel du festin musical. Florence Bolton y excelle avec sa basse de viole ou son pardessus de viole, Benjamin Perrot lui donnant réplique au théorbe et à la guitare baroque. Ces partitions n’ont plus guère de secret pour les deux fondateurs-animateurs de l’ensemble La Rêveuse. Ils viennent de lui consacrer un magnifique enregistrement dont la pochette est illustrée par… Watteau. 

Dans la belle acoustique de la salle Turenne, aux fresques du XVIIe siècle évoquant les victoires louis-quatorziennes, le concert se terminait par trois œuvres signées du maître de Caix d’Hervelois : Marin Marais dont la musique se déployait délicatement comme un éventail rêvé par Watteau.

En sortant de ce concert, il est évident que cette création se doit d’avoir une suite. Avec, en plus de ces moments subtilement distillés, une illustration visuelle autour du peintre des fêtes galantes ?

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[1] Le catalogue de l’exposition « Watteau, la leçon de musique » (Bruxelles, 2013) est à découvrir de toute urgence (Skira – Flammarion).

Les artistes

Ensemble La Rêveuse
Florence Bolton, viole de gambe
Benjamin Perrot, théorbe et guitare baroque
Clément Geoffroy, clavecin

Benjamin Lazar, récitant

Le programme

Fêtes galantes

Louis de Caix d’Hervelois (1677-1759)
Suite en sol mineur
Plainte

François Couperin (1668-1733)
Prélude – Les Bergeries

Jean-François Dandrieu (1682-1738)
Les Caractères de la guerre

Jean-Marie Leclair (1697-1764)
Musette

Marin Marais (1656-1728)
Le Petit badinage
Fête champêtre
La Biscayenne