Napoléon et la musique (2) – Reconstitution historique réussie aux Champs-Élysées

En cette année du bicentenaire de la mort de l’Empereur, c’est à un événement d’envergure que nous convie le chef d’orchestre Julien Chauvin qui a choisi de (re)créer l’une des pièces jouées lors du Sacre de Napoléon : la Messe pour le Sacre de Napoléon écrite par Giovanni Paisiello. Lors de cette cérémonie, était également donnée à entendre une autre pièce de Paisiello, le Te Deum. Julien Chauvin a préféré associer à la messe le Requiem de Mozart, tel que les Parisiens l’ont découvert en 1804, deux semaines après le sacre. Cette version diffère sensiblement de celle habituellement donnée de nos jours tant dans la durée que dans l’enchaînement des pièces et l’absence de certaines. Le choix de cette pièce s’explique aussi par le fait qu’elle fut donnée à Paris lors du Retour des Cendres de Napoléon en 1840, créant un lien supplémentaire entre Mozart et l’Empereur bien après leur disparition à tous deux.

Première partie : Messe pour le Sacre de Napoléon de Paisiello

On a longtemps cru que l’auteur de la messe du sacre était Jean-François Lesueur, compositeur fort apprécié du Premier Consul et le chef d’orchestre qui dirigea l’œuvre lors du sacre. On a ensuite attribué à Méhul la paternité d’une messe dite « du Sacre » : de récentes recherches montrent en fait qu’il s’agit d’un mythe, cette messe ayant été en réalité composée par Kleinheinz [1].  Mais la préférence de Napoléon alla finalement au compositeur italien Giovanni Paisiello, qu’il avait remarqué lors de la campagne d’Italie et qu’il avait fait venir à la cour consulaire comme Directeur de la Chapelle des Tuileries. Celui-ci a accepté et écrit la messe en question mais Paisiello, déjà âgé, est reparti dans son Italie natale avant l’événement et c’est donc Lesueur qui dut assumer la direction des quelque 700 exécutants, 300 musiciens et 400 choristes (selon les témoins de l’époque), répartis en deux orchestres et deux chœurs dans le transept de Notre-Dame de Paris. Les partitions annotées retrouvées dans les années 1960 par le musicologue Jean Mongrédien, auteur d’un remarquable article sur « la musique du sacre de Napoléon » paru dans La Revue de Musicologie en 1967, indiquent un effectif plus proche de 120 musiciens et 100 chanteurs. Étant donné le côté exceptionnel et grandiose de la cérémonie, 300 à 400 interprètes semblent plus près de la réalité.

Créée le 2 décembre 1804 dans la cathédrale Notre-Dame il faut imaginer la nef immense pleine à craquer de dignitaires d’Empire empanachés, de dames aux parures les plus somptueuses, les fourrures précieuses (il neigeait ce 2 décembre et l’attente avait duré jusqu’à 6 heures dans le froid), les splendeurs des tenues ecclésiastiques contrastant avec la blancheur immaculée de la robe du Pape Pie VII. Et sur les côtés, dans les transepts, deux chœurs et deux orchestres pour un effet stéréophonique assez inédit pour l’époque. N’oublions pas non plus le temps de résonnance très long dans Notre-Dame avec lequel le compositeur a joué, coupant brusquement les phrases musicales qui devaient résonner 6 à 7 secondes dans l’église, ce qui n’est évidemment pas le cas dans un théâtre.

L’œuvre, toute en contrastes est en mode majeur, exprimant la joie des festivités du couronnement. À la pompe grandiloquente souvent de mise dans ce type d’événement, Paisiello préfère la légèreté et la virtuosité sans omettre toutefois la solennité de l’instant. Cela donne une suite de pièces enlevées, vocalisantes, nécessitant des voix particulièrement agiles dans le plus pur style classique italien. Bien sûr, l’acoustique d’un théâtre, si bonne soit-elle, ne peut rivaliser avec les 6 à 7 secondes de réverbération de Notre-Dame que le compositeur a intégrées à la conception de son œuvre.

Deuxième partie : Requiem de Mozart dans la version inédite présentée pour la première fois aux Parisiens le 21 décembre 1804

L’orchestre et les chœurs accompagnent 5 voix solistes au lieu de 4 habituellement (2 sopranos se partageant les solos, alto, ténor, basse). Très attendue par le public parisien de 1804, l’œuvre débute par un « Introït » qui n’est pas de Mozart mais de Niccolò Jommelli. Ces petits arrangements étaient fréquents à l’époque. D’une durée nettement plus courte que la version plus connue donnée aujourd’hui, cette version avait fait l’objet, à l’époque de son audition parisienne, d’une analyse dithyrambique parue dans « La Correspondance des Musiciens » [2], mettant l’eau à la bouche du public nombreux qui la découvrait enfin. Ce concert donnait le coup d’envoi de la notoriété, de la gloire et de l’amour que les Français portent à Mozart qui ne s’est jamais démenti jusqu’à ce jour.

Dans la restitution donnée ce vendredi au Théâtre des Champs-Élysées, l’orchestre Le Concert de la Loge et le Chœur de Chambre de Namur étaient placés sous la direction de Julien Chauvin. Les musiciens étaient masqués et les choristes séparés par des roll-up transparents, crise sanitaire oblige. La grande qualité de ces deux ensembles et la direction dynamique et toute en finesse du chef permettent une audition précise des différentes parties orchestrales et vocales. Les contrastes nombreux dans la Messe (alternance hommes/femmes, dynamiques contraires, arrêts subito, etc.) sont magnifiquement servis par un ensemble orchestral et un chœur de grande qualité, à la justesse parfaite, en symbiose avec le chef Julien Chauvin.

Quelques surprises attendent les auditeurs habitués des concerts sacrés : les interprètes ont pris le parti d’utiliser la prononciation latine à la française usitée à l’époque et jusqu’à la fin du XIXe siècle en France où les « u » deviennent [y] par exemple, respectant ainsi strictement la reconstitution historique.

Pour l’équilibre sonore, il est un peu dommage que les solistes aient été placés entre l’orchestre et le chœur contrairement à ce qui se fait couramment de nos jours de les mettre au premier plan. Malgré cela, les prestations de nos cinq solistes furent à la hauteur de l’enjeu que constituait cette reconstitution :

La jeune soprano colorature canadienne Florie Valiquette, est éblouissante de virtuosité et se rit des roulades et vocalises dans le plus pur style italien qui durent causer bien du tracas aux chanteuses françaises lors de la création de la messe du sacre. Sa voix au timbre clair et velouté à la fois, aux aigus pleins, nous enivre tant dans la musique joyeuse de la Messe du Sacre que dans les accents plus tragiques du Requiem.

La présence scénique de Chantal Santon Jeffery, soprano, qui partage avec Florie Valiquette les parties de soprano solo dans les deux pièces, n’a d’égale que la solidité de sa technique à toute épreuve et de superbes aigus. Si sa prestation fut parfaite dans le Requiem, les débuts de la Messe du Sacre au tempo enlevé nous ont semblé plus laborieux sur le plan dynamique. Cela fut vite corrigé dans la deuxième partie de la Messe, notamment dans le sublime Et incarnatus est avec accompagnement de cor solo et de harpe.

Les œuvres de ce soir ne permettaient pas à Éléonore Pancrazi, mezzo-soprano, de donner la pleine mesure de son talent, que nous avons pu apprécier il y a quelques semaines à l’Odéon de Marseille. Elle a cependant apporté dans les quatuors de solistes du Requiem les nuances de sa voix charnue et colorée, s’intégrant à la perfection à l’harmonie des autres voix.

Le jeune ténor, Sahy Ratia, aux aigus claironnants fait preuve d’une grande maîtrise du style ornementé de la Messe, ses vocalises sont précises, sa technique vocale parfaite lui permettant d’évoluer dans tous les registres de la voix avec une égale aisance. Sa palette de nuances est aussi riche que les couleurs qu’il sait donner à sa voix.

Le baryton Thomas Dolié réalise un grand écart vocal entre l’œuvre de Paisiello écrite pour un baryton ténorisant avec des vocalises dans le haut médium et l’aigu de la voix tandis que le Requiem nécessite plutôt un baryton-basse ayant des graves profonds et riches. La voix souple et agile de T. Dolié lui permet de se sortir avec les honneurs de cette difficulté. La voix ample donne toute sa mesure dans le Tuba Mirum et le Recordare du Requiem et le Domine Salvum avec trompettes et timbales qui clôt la messe de Paisiello.

La (re)découverte de ces œuvres nous donne à espérer les entendre bientôt dans les conditions réelles de leur création. Pourquoi pas en 2024, lors de la réouverture de Notre-Dame restaurée, pour le deux-cent-vingtième anniversaire du Sacre ?

———————————————–

[1] Voir l’article suivant : http://www.bruzanemediabase.com/fre/Parutions-scientifiques-en-ligne/Articles/Braam-G.-Dratwicki-A.-Troester-S.-Qui-a-compose-la-Messe-de-Mehul
Merci au Palazzetto Bru Zane de qui nous tenons cette information.

[2] Revue disponible à la BNF et sur son site Gallica.

Les artistes

Florie Valiquette : soprano
Chantal Santo Jeffrey : soprano
Éléonore Pancrazi : mezzo-soprano « recordare »
Sahy Ratia : ténor
Thomas Dolié : baryton

Le Concert de la Loge et le Chœur de chambre de Namur, dir.  Julien Chauvin

Le programme

  • Messe pour le Sacre de Napoléon de Giovanni Paisiello
  • Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart dans la version donnée en France pour la première fois le 21 décembre 1804.

Concert du 18 juin 2021, Paris, Théâtre des Champs-Élysées