Célébration du mariage de la voix et de l’orgue en l’église Saint-Vincent de Roquevaire

Festival particulièrement bien implanté dans le paysage culturel régional, Roquevaire (commune des Bouches-du-Rhône située aux portes d’Aubagne) et sa magnifique église Saint-Vincent de style classique accueillent chaque année depuis 1997 des organistes de niveau international, allant de Jean Guillou à Olivier Vernet, comme en témoigne une riche discographie où l’on trouve, entre autres, la Via Crucis de Liszt ou l’intégrale de l’œuvre pour orgue de Jean-Louis Florentz (disponibles auprès de l’association des Amis du Grand Orgue de Roquevaire : A.G.O.R). L’instrument en soi est une merveille d’originalité puisqu’entièrement reconstruit en alliant un impressionnant buffet début XIXe à un matériel issu pour partie de l’orgue personnel du grand Pierre Cochereau (une quarantaine de jeux et, surtout, une console à 5 claviers). Au total, près de 5000 tuyaux et, sur une idée de Jacques Garnier – l’organiste titulaire – une console située non en tribune mais dans la nef, permettant ainsi une plus grande convivialité avec le public et avec les autres musiciens. Dans un contexte sanitaire particulièrement sensible en ce moment pour Marseille et ses alentours, il convient de saluer tout d’abord une organisation parfaitement conduite, rassurante et sans aucun risque pour des spectateurs venus nombreux : bravo donc au Président et directeur artistique de l’Association des Amis du Grand Orgue, le dynamique Jean-Robert Caïn ainsi qu’à son équipe car, par les temps qui courent, ce n’était pas gagné !

Ayant toujours su donner à l’association de l’orgue et du chant lyrique l’importance qui fut souvent la sienne (il existe, s’il fallait s’en persuader, un bel album enregistré ici même sous le label Ligia Digital par Isabelle et Olivier Vernet), cette 24e édition s’est ouverte vendredi soir avec un concert pour voix et orgue qui aura permis de réunir les talents d’interprète et de musicien accomplis de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (orgue) et d’Anne Calloni (soprano).

Organiste parmi les plus doués de la jeune génération au sein de l’école française actuelle, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, titulaire des grandes orgues de Saint-Eustache à Paris, mène de pair une carrière de concertiste à travers le monde et d’enseignant. Particulièrement attiré par le mélange des genres musicaux et des autres disciplines artistiques avec l’orgue, le choix de ce musicien semblait donc naturellement s’imposer pour un programme dont une grande partie était consacrée à l’univers de l’Opéra.

Baptiste-Florian Marle-Ouvrard. © Service communication ville de Roquevaire.

Dès l’introduction de la Fantaisie en fa mineur kv. 608, on sent que le jeu de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard sera placé sous le signe du lyrisme, c’est-à-dire à la fois de la fougue et de la retenue. Très vite s’impose à l’esprit l’idée d’une source qui fait son lit et qui, tout au long d’un programme nous conduisant de Mozart à Poulenc en passant par des maîtres de l’art lyrique tels que Verdi, Puccini , Gounod ou Massenet, pourra devenir ruisseau, affluent ou carrément torrent. C’est en particulier dans des adaptations pour orgue de grandes pièces lyriques telles que la « Marche hongroise » de La Damnation de Faust ou l’ouverture de La Force du Destin que Baptiste-Florian Marle-Ouvrard donne à entendre la plus large palette de couleurs et de registres dont son instrument est capable. En ce qui nous concerne, c’est en particulier dans sa composition Passacaille improvisée sur un thème d’Henry Purcell, que l’organiste se fait quelque part sorcier et nous révèle des contrastes saisissants voire inquiétants (on croit reconnaître, un instant, la sonorité de l’armonica de verre utilisé par un certain Donizetti dans la scène de la folie de Lucia di Lammermoor !) qui ne nous étonnent guère quand on lit dans la biographie du jeune musicien qu’il se passionne pour l’accompagnement de films muets…

Cette magnifique pièce pour orgue trouve son accomplissement dans la Mort de Didon extraite du Didon et Énée où la voix d’Anne Calloni achève de faire de l’ensemble de ce moment Purcell l’un des instants suspendus de la soirée.

Entendue pour la dernière fois en mars dernier à l’Opéra de Nice où elle incarnait une étonnante Prilepa dans La Dame de Pique mise en scène par Olivier Py, la jeune soprano lyrique bastiaise surprend par l’ampleur prise dans le haut et le bas médium, dès ses deux premiers airs au programme, le  « Laudate Dominum »  extrait des Vêpres solennelles d’un confesseur et le  « O Salutaris Hostia »  de La Petite Messe solennelle de Rossini. On est loin désormais des prestations, pourtant prometteuses, données dans cette dernière œuvre en 2017 avec le Chœur Régional PACA (enregistrement existant sur You Tube) mais l’on se souviendra avec intérêt qu’à la création publique de l’œuvre – en 1869 – la partie de soprano était confiée à Gabrielle Krauss, l’un des grands soprano lyrique de l’Opéra de Paris, habituée aux Leonore du Trouvère et aux Elsa de Lohengrin !

Anne Calloni. © Gérard Mersier

Très vite, une véritable osmose se crée entre ces deux jeunes artistes qui se produisaient ensemble pour la première fois : cela permet d’entendre des moments particulièrement magiques  tels qu’un « Vidit suum » du Stabat Mater de Poulenc où la voix d’Anne Calloni et le jeu de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard tout à la fois s’élèvent vers des cimes mystiques et descendent dans des abîmes douloureux.

D’un strict point de vue lyrique, l’autre belle surprise de la soirée est l’adéquation de la soprano avec ce qu’il convient d’appeler le « style » français, représenté ici par l’émouvant « Repentir » extrait de la Messe solennelle de Sainte-Cécile de Gounod et par l’air d’entrée de Salomé dans l’Hérodiade de Massenet « Il est doux , il est bon ». La couleur charnue et moirée du timbre jointe à une véritable intelligence dans la prononciation du texte, dont on comprend chaque mot, doivent encourager Anne Calloni à continuer à travailler ce répertoire où elle a toute sa place ! On se plaît déjà à entendre ici les accents de Mireille, un rôle qu’elle devrait bientôt aborder… Le chemin parcouru dans le répertoire italien est, de même, significatif : le fait d’attaquer l’air d’Adriana Lecouvreur « Io son l’umile ancella » par le récitatif, extrait de la tirade de Bajazet, ou le déchirant « Addio del passato » de La Traviata par la lecture de la lettre de Germont permet à l’interprète de donner un réel impact dramatique à ces deux moments, même dans un cadre forcément éloigné du théâtre lyrique. Et le public est loin d’y être insensible, d’autant plus que l’art des « clairs-obscurs », si important dans la partition de Cilea comme dans l’air « In quelle trine morbide » de la Manon Lescaut de Puccini, est de mieux en mieux maîtrisé.

© Service communication ville de Roquevaire

À l’issue d’un concert au programme particulièrement lourd, nos deux interprètes surprennent totalement un public qui leur était déjà acquis en changeant un instant les rôles : Baptiste-Florian Marle-Ouvrard s’empare de la partition du « Libera me » de Fauré et nous dévoile un talent de baryton tandis qu’Anne Calloni – par ailleurs diplômée en classe d’orgue du CRR de St Maur-des-fossés – se met au clavier et donne les attaques d’un air enthousiaste ! Chacun reprend finalement son rôle pour un dernier bis… presque incroyable pour la voix actuelle de la soprano puisqu’il s’agit de l’allegro de l’Exsultate, jubilate, délivré avec les vocalises qu’il convient et sans doute plus en adéquation avec son créateur, le castrat Venanzio Rauzzini (créateur de Cecilio dans Lucio Silla), qu’avec une candidate aux pyrotechnies d’une Reine de la Nuit !

On espère vivement une réplique de ce beau programme… pourquoi pas à Saint-Eustache ?

Les artistes

Anne Calloni   soprano
Baptiste-Florian Marle-Ouvrard   orgue

Le programme

ÉGLISE SAINT-VINCENT DE ROQUEVAIRE, concert d’ouverture « Voix et orgue », vendredi 18 septembre 2020

PROGRAMME
Extraits d’oeuvres de Mozart, Rossini, Poulenc, Berlioz, Gounod, B-F Marle-Ouvrard, Purcell, Cilea, Puccini, Bizet, Massenet, Verdi – Improvisations