Opéra de Nice- Le choix courageux et réussi d’Akhnaten de Philip Glass en ouverture de saison

La puissance sonore du minimalisme de Philip Glass emporte l’adhésion d’un public qui aura rempli le vénérable théâtre de la rue St-François de Paule : pari largement gagné pour Bertrand Rossi et ses équipes.

Pour donner une idée du choc ressenti par l’auditoire tandis que les dernières notes, lancinantes et répétitives, du trio final d’Akhnaten s’évanouissaient dans la salle cossue et pleine à craquer de l’Opéra de Nice, il suffisait d’observer atour de soi les regards fascinés et émus de la majorité des spectateurs.

Un choc musical et scénique

Dans le cas précis de cet opéra de Philip Glass, l’un des ouvrages lyriques les plus emblématiques du mouvement minimaliste d’outre-atlantique au XXe siècle, le terme de choc, musical et scénique – quand une maison d’Opéra se risque à le monter ! – n’est pas exagéré : dès les premières mesures d’un prélude aux courtes cellules rythmiques répétées qui ne cesseront plus de se développer et de grandir, mais jamais sans emphase ni boursouflure, le spectateur – pour peu qu’il accepte de s’y laisser conduire – est projeté dans un univers sonore entêtant dont il ne ressortira que longtemps après le baisser du rideau. À l’heure où j’écris ses lignes, je n’en suis personnellement pas encore ressorti ! Mais, lorsque ce choc musical s’accompagne d’une déflagration scénique au moins d’ampleur égale, on comprend soudain qu’Akhnaten n’est pas seulement une partition post-sérielle au langage minimaliste venue se nicher dans un genre vénérable, mais bel et bien un authentique opéra, c’est-à-dire une œuvre d’art totale.

Un voyage initiatique…

La nouvelle production qui, un an après son sauvetage par captation en streaming a vu enfin le jour, remplit largement tous les critères sur l’échelle du séisme opératique.

Tout d’abord parce que Lucinda Childs, émouvante personnalité du monde chorégraphique avant-gardiste nord-américain, compagne de route de Glass et Bob Wilson, et Bruno de Lavenère, son scénographe (également en charge des costumes) se sont intelligemment fondus dans l’esthétique du livret d’un ouvrage qui procède par touches successives pour aborder dans sa globalité la fascinante histoire du pharaon Amenhotep IV devenu Akhenaton. Ici, aucun risque de se retrouver dans une production kitsch d’Aïda ! Sous-tendue par les lumières de David Debrinay et une vidéographie magistrale signée Etienne Guiol, aux réminiscences directement sorties du cinéma SF et pouvant projeter cité en construction ou statue d’Amenhotep IV s’effritant lentement, la mise en scène utilise certains symboles incontournables, comme cette représentation du disque solaire, à la fois diurne et nocturne, qui occupe la plus grande partie du plateau : c’est au gré de ses inclinaisons/élévations, rapides ou méditatives, que se déroule l’action chantée et dansée comme c’est le cas lors du ballet, à l’esthétique particulièrement soignée, célébrant la construction de la nouvelle capitale ou dans le magnifique octuor, chanté par la famille réunie du pharaon. On ne peut s’empêcher soudain de penser à l’esthétique d’un Wieland Wagner pour le « nouveau Bayreuth » et, bien évidemment, aux influences du théâtre japonais, si présentes dans l’esthétique de l’école minimaliste. Du très grand spectacle.

Orchestre, chœur, danseurs et solistes en osmose avec la partition de Philip Glass

De son côté, le travail réalisé par le jeune chef Léo Warynski avec l’Orchestre Philharmonique de Nice est admirable tout au long d’une partition de plus de deux heures de musique. Dirigeant avec rigueur et précision, mettant ainsi à l’honneur les pupitres les plus sollicités (vents, bois et percussions) sans pour autant jamais perdre de vue l’architecture d’ensemble, ce chef parvient à conduire un public, à la qualité d’écoute étonnante et qui, dans sa majeure partie, découvrait la partition, dans les développements vertigineux mais aussi les déphasages et autres décadrages du matériau minimaliste.

Autre triomphateur de cet excitant projet enfin concrétisé, le Chœur de l’Opéra, lui aussi parfaitement préparé par Giulio Magnanini. Dire que l’opéra de Glass fait la part belle aux masses chorales est une évidence quand l’on vient d’assister à une telle représentation ! En ce qui nous concerne, nous avons trouvé l’ensemble des voix précises avec, le plus souvent, le mordant indispensable à la scansion spécifique à ce chant.

De même, on doit à la troupe de danseurs réunis pour l’occasion et bien évidemment chorégraphiés par Lucinda Childs assistée d’Eric Oberdorff, quelques uns des moments de grâce de ce spectacle qui en regorge.

Enfin, la distribution des solistes réunis ici sait conjuguer le côté abrupt, voire austère, voulu par l’écriture vocale de certains rôles masculins (Horemhab, Aye, Amon) et les moments lyriques donnés aux personnages féminins (Nefertiti, la reine Tye, les filles d’Akhnaten) et à la personnalité solaire du rôle-titre.

De fait, le trio formé par Joan Martín-Royo, Frédéric Diquéro et Vincent Le Texier est particulièrement homogène : par sa technique de projection impeccable, il passe au-dessus du chœur et sait souvent se montrer inquiétant.

On retrouvait avec plaisir Patrizia Ciofi qui, même éloignée de cette esthétique vocale, affronte avec sa technique bien rôdée et son élégance naturelle les vocalises rythmiques données à la reine Tye dans son duo de l’acte II avec son fils. Belle découverte, scénique et vocale, pour ma part, que celle de la mezzo Julie Robard-Gendre, Nefertiti au timbre moiré parfaitement complémentaire avec celui du pharaon. N’oublions pas d’accorder une mention toute particulière aux artistes du CALM (Centre Art Lyrique de la Méditerranée) qui prêtent leurs voix aux filles d’Akhnaten et qui alternent, selon les soirées, dans le magnifique trio avec leur père, l’un des moments les plus apaisants de la partition. Interprète du rôle-titre, le contre-ténor Fabrice Di Falco fait retentir son timbre si particulier, caractérisé par une grande douceur et une capacité de projection appréciable venant enrichir le portrait d’un personnage émouvant, à la fois jeune et déterminé.

La programmation niçoise est lancée et part très fort ! Hâte de pouvoir entendre et voir la suite…


Les artistes

Akhnaten Fabrice Di Falco
Nefertiti Julie Robard-Gendre
Reine Tye Patrizia Ciofi
Horemhab Joan Martín-Royo
Amon Frédéric Diquero
Aye Vincent Le Texier
Amenhotep (rôle parlé) Lucinda Childs
Six filles d’Akhnaten Mathilde Le Petit*, Laeticia Goepfert, Rachel Duckett*, Mathilde Lemaire* Vassiliki Koltouki*, Aviva Manenti*

Mise en scène et chorégraphie Lucinda Childs
Collaborateur à la chorégraphie Eric Oberdorff
Scénographie et costumes Bruno De Lavenère
Lumières David Debrinay
Vidéo Étienne Guiol
Vidéo rôle narrateur David Michalek

Orchestre Philharmonique de Nice
Chœur de l’Opéra de Nice
Direction musicale Léo Warynski

*Artistes du CALM, Centre Art Lyrique de la Méditerranée

Le programme

Akhnaten 

Opéra de Philip Glass (né en 1937) en trois actes (avec prologue et épilogue)
Livret de Philip Glass, Shalom Goldman, Robert Israel, Richard Riddell
Création au Württembergisches Staatstheater de Stuttgart le 24 mars 1984

Nouvelle production

Opéra Nice Côte d’Azur, représentation du dimache 14 novembre 2021, 15h00