Vous reprendrez bien une dose de bonne humeur avec Le Comte Ory ?

© Alain Hanel

Un réjouissant Comte Ory à l’Opéra de Monte-Carlo

L’Opéra de Monte-Carlo accueille la trépidante production de Patrice Caurier et Moshe Leiser du dernier chef-d’œuvre bouffe du « cygne de Pesaro » : jubilatoire !

Le Comte Ory ou l’éclat de rire rabelaisien de Rossini

Donné pour la première fois à l’Opéra de Monte-Carlo, Le Comte Ory (1828) représente une sorte de testament musical de son compositeur vers cette veine bouffe qu’il aura su magnifier avec un génie sans équivalent.

N’ayant, longtemps, pas bénéficié au répertoire de la même aura que les Barbiere di Siviglia (1816), Italiana in Algeri (1813) et autres Turco in Italia (1814), il faut attendre la deuxième moitié du xxe siècle, et le chef italien Vittorio Gui, pour voir Le Comte Ory sortir – enfin ! – de l’oubli injuste dans lequel il était plongé. Depuis lors, et tout particulièrement avec la « Rossini Renaissance » des années 1980, le succès de l’ouvrage ne s’est plus démenti permettant aux plus illustres divi du bel canto rossinien de donner libre cours au brillant de sa vocalité et… de s’amuser comme des fous !

Car c’est bien à un pastiche mêlant de façon géniale, à partir d’un vaudeville d’Eugène Scribe et Delestre-Poirson, opéra bouffe italien et opéra-comique à la française, que nous convie Rossini. Au-delà des auto-citations toujours pratiquées chez lui – et réutilisant ici, plus particulièrement, bon nombre de thèmes composés pour Il Viaggio a Reims – Rossini, désormais parisien, loin de composer avec ce Comte Ory une œuvre de circonstance, passe avec maestria d’un genre et d’une sensibilité à l’autre, faisant se côtoyer l’humour le plus ravageur à une authentique délicatesse.

Une production menée tambour battant… qui sait mettre en évidence les différentes expressions du compositeur

Créée à l’Opéra de Zurich en 2011, la production de Patrice Caurier et Moshe Leiser est un bonheur permanent : situant l’action dans l’immédiat après-guerre – le final du 1er acte, avec ses multiples drapeaux tricolores, est un clin d’oeil à la France des provinces sortant du traumatisme de l’Occupation, le portrait militaire du général de Gaulle est brandi, comme la Croix, pendant l’orage par les épouses apeurées et les Croisés de retour de Terre Sainte sont ici soldats des FFL et des troupes coloniales ! – les décors de Christian Fenouillat n’oblitèrent pas pour autant le côté médiéval de l’ouvrage : au lever de rideau, même si l’œil est tout d’abord accaparé, à l’avant-scène, par la caravane de l’intriguant ermite – le comte Ory déguisé -, le château de Formoutiers se dresse bien au fond, tel qu’indiqué dans les didascalies du livret.

C’est surtout le travail réalisé sur le jeu des acteurs, tant solistes que choristes, qui est le point fort de cette production : indubitablement, Caurier et Leiser savent mettre chaque personnage en situation de comique souvent truculent, soit par une entrée en scène inattendue (Isolier et le Gouverneur arrivent en jeep et la comtesse Adèle en…2CV !), soit par une tenue vestimentaire propice à déclencher le rire (au lever de rideau de l’acte II, toutes ces dames du château attendent le retour de leurs époux en bigoudis et filets à cheveux , enveloppées dans leurs robes de chambre matelassées !). Ainsi, à l’acte I, le « ballet » des choristes féminines sortant, dans tous leurs états, de la caravane de l’ermite ou, à l’acte II, la scène hilarante de prière collective et avinée des – fausses – pèlerines permettent, dans leur démesure quasi rabelaisienne, voire proche de certains contes de Boccace, de jouer la carte d’un comique franc mais sans vulgarité aucune. Ce sont, en outre, les ambiguïtés des rapports entre les personnages principaux qui font du Comte Ory une partition unique et beaucoup plus subtile qu’il n’y paraîtrait au premier abord. Là encore, la mise en scène sait dégager le côté vaudevillesque de la partition, culminant, on s’en doute, dans le fameux trio: « À la faveur de cette nuit obscure… », dont un récamier sera le réceptacle où chacun se mélange…

Une distribution qui joue à fond la carte de l’homogénéité

Dès le prélude, si singulier dans la production rossinienne, les atermoiements harmoniques sont à l’honneur et nous conduisent dans une atmosphère de déguisements et d’exploits galants. En véritable maître d’œuvre, la baguette de Jean-Christophe Spinosi transmet un souffle bienvenu à l’ensemble des « musiciens du Prince », orchestre crée en 2016 sur une idée de Cecilia Bartoli en collaboration avec Jean-Louis Grinda. Aucun temps mort dans ces tempi incisifs et nerveux qui s’adaptent à merveille à la scénographie.

On l’a écrit plus haut, dans cette production, le chœur, toujours intelligemment préparé par Stefano Visconti, est traité comme un personnage à part entière : c’est d’autant plus pertinent sur la scène monégasque où l’on connait la qualité artistique de ses membres, renforcée ici par une vis comica à toute épreuve !

Sans se dégager par des prouesses vocales particulières, la distribution réunie joue délibérément la carte de l’homogénéité. Bien évidemment, il y a des valeurs sûres sur le plateau, au premier rang desquelles on se doit de faire figurer Pietro Spagnoli , qui demeure encore l’un des meilleurs représentants en activité de la tradition des barytons-bouffes. Son air « Dans ce lieu solitaire » maîtrise parfaitement le parlando d’une écriture vocale pleine de panache.

De même, l’air de basse-bouffe « Veiller sans cesse, craindre toujours », que chante le gouverneur de Nahuel di Pierro, est particulièrement bien négocié jusqu’à un fa grave de belle tenue. Si l’on s’interroge encore, à l’heure où l’on écrit ces lignes, sur le choix de confier à un soprano le rôle du page Isolier, on reconnaîtra à Rebeca Olvera un abattage scénique qui ne fait cependant pas oublier que, sans attendre dans ce rôle les moyens d’Arsace ou d’Isabella, il est tout de même nécessaire d’entendre un timbre suffisamment troublant pour faire du trio « À la faveur de cette nuit obscure », le moment d’exception souhaité par Rossini.

Si la Ragonde de Liliana Nikiteanu rachète par son engagement une voix qui ne répond pas toujours aux exigences d’un rôle a priori secondaire, les deux interprètes principaux de la distribution remportent, comme on pouvait s’en douter, les faveurs d’un public enthousiaste : Si on peut souhaiter plus de brillant dans la projection chez le comte de Maxim Mironov – en particulier lors de l’ensemble du deuxième acte : « Ah ! la bonne folie » – le personnage est campé avec beaucoup d’allure et est souvent hilarant – depuis sa soutane mi-abbé mi-gourou au premier acte jusqu’à sa robe de pélerine au second – et la prononciation française est de très belle tenue. Il partage ce côté racé avec la comtesse Adèle de Cecilia Bartoli qui, dès son entrée en scène, dans une tenue vestimentaire toute droit sortie d’un film italien des années cinquante, joue la carte de la séduction et d’une délicieuse – et fausse ! – retenue. Si certaines des notes piquées dans l’air « En proie à la tristesse » ne sont plus toujours au rendez-vous, la prestation demeure irrésistible tant Cecilia Bartoli, dans chacune de ses apparitions et après plus de trente ans de carrière, continue de convaincre par des incarnations ne pouvant laisser le spectateur indifférent. C’est donc pour elle que, demain, beaucoup de passionnés continueront de courir les grandes scènes du théâtre lyrique.

Au vu des rires du public pendant le spectacle et des nombreux rappels au rideau final, où le chef fait même rejouer le chœur de conclusion, on se réjouit de constater que la scène monégasque continue de créer l’évènement.

Les artistes

Le Comte Ory   Maxim Mironov
Le Gouverneur   Nahuel di Pierro
Raimbaud   Pietro Spagnoli
La Comtesse Adèle   Cecilia Bartoli
Isolier   Rebeca Olvera
Ragonde   Liliana Nikiteanu
Alice   Jennifer Courcier

Les Musiciens du Prince-Monaco, Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, dir. Jean-Christophe Spinosi
Mise en scène   Patrice Caurier & Moshe Leiser

Le programme

Le Comte Ory

Opéra en deux actes de Gioachino Rossini, livret d’Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson, créé à l’Opéra, Salle Le Peletier, le 20 août 1828.

Opéra de Monte-Carlo – Salle Garnier, représentation du dimanche 21 février 2021.